Attahakkom, cas Benabdellah, affaire Kabbaj, candidats salafistes, épisode Ramid, marches «anti» et «pro» islamistes…
Les congés d’été et de Aïd Al Adha avaient quelque peu atténué l’intérêt de l’opinion publique pour les élections et les passes d’armes de leurs principaux protagonistes.
Mais revoilà chacun à son poste, d’acteur ou d’observateur… Et les événements se précipitent. Dire que la rentrée politique se révèle chaude est un euphémisme.
Tout commence avec «Attahakom»
Un mot met tous les nerfs à vif: «Attahakkom». Et pour cause… A lui seul, ce mot est une salve d’accusations. Il signifie à la fois l’autoritarisme, l’hégémonie, l’interventionnisme dans la décision politique… C’est un terme auquel avaient longtemps eu recours Recep Tayyip Erdogan et son parti islamiste (AKP), en Turquie, pour accuser l’armée de fausser le jeu afin de défavoriser l’AKP (PJD turc). Ce mot a fait une entrée en force au Maroc, le PJD marocain l’ayant repris à son compte. Sauf qu’au Maroc, si le parti de Abdelilah Benkirane a multiplié les «dénonciations» de Tahakkom, ces dénonciations n’indiquent jamais clairement la (ou les) cible (s) visée (s). Certes, le PAM (parti authenticité et modernité), ennemi juré du PJD, est la plupart du temps mis en avant dans ces attaques, mais nul n’est dupe. A travers le PAM (et même quand le PAM n’est pas cité), les accusations de Tahakkom visent plus haut… Elles visent le 1er fondateur du PAM, Fouad Ali Al Himma (qui s’est définitivement retiré du parti et de la scène partisane à la mi-2011 et occupe le poste de Conseiller du Roi depuis décembre 2011) et, accessoirement, les autorités centrales et, notamment, le ministère de l’Intérieur, accusés de mettre en œuvre Attahakkom…
Mais là non plus nul n’est dupe… Car pointer du doigt Fouad Ali Al Himma et ceux qui sont censés exécuter ses orientations, c’est laisser entendre que la hiérarchie ne s’arrête pas à Fouad Ali Al Himma… Or, ce dernier n’a qu’un supérieur hiérarchique: le Roi. Sous-entendus inadmissibles donc.
Le Souverain remet les pendules à l’heure dans son discours du Trône du 30 juillet dernier (2016). «Moi, je suis le Roi de tous les Marocains, candidats, électeurs et aussi ceux qui ne votent pas. Je suis également le Roi de toutes les formations politiques, sans discrimination ou exclusion. Comme je l’ai affirmé dans un précédent discours, le seul parti auquel je suis fier d’appartenir, c’est le Maroc». Mais cela n’arrête pas les accusations d’«Attahakkom». Pire, c’est un homme du sérail qui les ressert à l’occasion d’une interview: Nabil Benabdallah, ministre et chef de parti… La goutte de trop !
Le cas Benabdallah
Beaucoup se sont étonnés de la vive réaction aux propos de Nabil Benabdallah. Un communiqué du cabinet Royal ! Fait sans précédent, alors que jusque-là toutes les réactions aux dérapages liés aux élections étaient le fait du ministère de l’Intérieur. C’est que Nabil Benabdallah a, sans le nommer mais en le désignant clairement, défini Fouad Ali Al Himma comme l’homme qui incarne Attahakkom. Ses propos jetaient Fouad Ali Al Himma en pâture à la vindicte populiste et populaire. Ils faisaient monter d’un cran les accusations directes (ce n’est plus le PAM mais F. A. Al Himma qui est directement ciblé) et, ce faisant, ils ouvraient une brèche dans laquelle allaient s’engouffrer tous ceux qui avaient fait d’Attahakom leur arme de guerre pour ces élections 2016. Aux yeux de tous les analystes, le message du communiqué du Cabinet Royal s’adressait bien à Nabil Benabdallah, qui irritait déjà par son alliance avec le PJD, alors que les référentiels des deux partis sont à l’opposé l’un de l’autre, mais il ne s’adressait pas qu’à Nabil Benabdallah… Ce dernier, qui a lui-même réalisé (mais trop tard) son erreur, s’est ainsi retrouvé à «payer l’addition» pour lui et pour ses alliés. «Addition» lourde car, les uns par opportunisme, les autres par inimitié, nombreux sont ceux qui lui sont tombés dessus à bras raccourcis, entraînant une riposte sur les réseaux sociaux. Au point d’en faire, tantôt un stipendié, tantôt un héros, alors qu’il n’est ni l’un ni l’autre. Il est juste celui qui n’a pas pris la mesure du véritable enjeu de ces élections 2016. Et le véritable enjeu, au-delà de toutes les ambitions et querelles, c’est le choix du projet de société que se donnera le Maroc pour les 5 prochaines années: celui des islamistes ou celui des modernistes ? On le voit aux différents épisodes du feuilleton électoral de cette rentrée: c’est une guerre où il faut choisir son camp ; et dans une guerre, il y a toujours des morts. Nabil Benabdallah est tombé le 1er. Malgré le soutien de son parti (le PPS), il est aujourd’hui seul face à ses déclarations. Une question se pose cependant à ceux toujours prêts à tirer sur une ambulance: le cas Benabdallah est-il aussi préoccupant que celui du candidat salafiste Hammad Kabbaj ?
Le prédicateur Kabbaj et les candidats salafistes
En effet, lorsque le PJD a présenté, en tête de liste, à Marrakech-Guéliz, le prédicateur salafiste Hammad Kabbaj, le ciel a semblé s’écrouler sur la tête de toutes les ONG des droits humains luttant contre la misogynie, l’obscurantisme, le racisme, l’antisémitisme… Kabbaj s’est attaqué à toutes les valeurs que les Marocains progressistes ont fait leur et tentent de défendre. Ex-N°2 de l’association pour le Coran et la Sounna de Mohamed Maghraoui (celui qui veut marier les fillettes âgées de 9 ans), il dit avoir évolué. Mais sa dernière sortie contre Aïcha Chenna, militante associative qui a voué sa vie à la protection des mères-célibataires, prouve bien le contraire. Kabbaj l’a traitée de marraine de la débauche. Alors qu’au lendemain du scandale des deux amants du MUR (mouvement unicité et réforme, bras religieux et idéologique du PJD), Omar Benhammad et Fatima Nejjar, qui ont été pris en plein ébats sexuels, à 7h du matin, dans une voiture, sur la plage, Kabbaj a carrément comparé Fatima Nejjar à la femme du Prophète ! Et c’est cet homme-là que le PJD présente dans ce que Marrakech a de plus moderne: les quartiers du Guéliz, haut-lieu du tourisme et de l’ouverture sur la modernité. Le Wali de Marrakech a invalidé la candidature de hammad Kabbaj pour avoir «à plusieurs reprises, fait des déclarations portant atteinte aux principes démocratiques, aux articles de la constitution et incitant à la haine et à la violence…». Le PJD n’en a pas fait un plat, remplaçant rapidement Kabbaj par un candidat du parti (Youssef Aït Lhaj Lahcen) et le prédicateur a préféré adresser une plainte au Roi au lieu de saisir les tribunaux. L’affaire est close, mais la question des salafistes ne l’est pas. L’Istiqlal a emboité le pas au PJD, adoubant le salafiste Abou Hafs à Fès. Le débat est ainsi ouvert: faut-il intégrer les salafistes dans les partis politiques ? Ceux qui sont «pour» expliquent qu’il faut intégrer toutes les composantes de la société marocaine. Les modernistes, eux, sont révoltés. Après les islamistes, qui ont accédé au pouvoir à la faveur du «Printemps arabe», ils voient arriver plus radical encore: les salafistes. Certes, arguent-ils, les salafistes représentent une petite composante de la société, mais leur faut-il pour cela exercer le pouvoir ? Le cadre des associations et du «back office» de certains partis politiques ne leur suffit-il pas ? La révolte des modernistes atteint son paroxysme lorsqu’ils abordent l’interventionnisme américain. Depuis que l’information a couru d’une «recommandation» des Etats Unis selon laquelle il serait demandé au Maroc d’intégrer les salafistes aux partis politiques, la colère des modernistes ne retombe pas. La recommandation est assimilée –à juste titre d’ailleurs- à une ingérence dans les affaires intérieures du Maroc. Cette propension des Américains à soutenir les islamistes et salafistes est de plus en plus intolérable aux yeux de ceux, au Maroc, qui y voient une grande hypocrisie américaine et une volonté d’imposer un choix politique (sorte de Tahakkom américain auquel, pour le coup, applaudissent les islamistes).
Ramid, la marche ratée et la marche annulée…
Autre épisode de ce feuilleton électoral, celui de la marche anti-islamistes du dimanche 18 septembre. L’avis est unanime: cette marche a été une erreur et un échec.
Echec, parce qu’organisée dans l’improvisation et avec des méthodes révolues. Personne pour en assumer la paternité, une affluence discutable, des participants qui disent ne pas savoir ce qu’ils sont venus y faire, d’autres qui déclarent avoir été approchés par le Mokaddem ou le Caïd pour être embarqués dans des bus… La totale !!
Erreur, parce que non seulement cette initiative a eu l’effet contraire à celui escompté: les islamistes ont surfé sur la vague de la «victimisation» et… Retour à la case Tahakkom… Mais en plus, le pire a été évité de justesse. Cette marche n’ayant été ni autorisée ni interdite, selon les déclarations officielles, les islamistes ont décidé d’en organiser une à leur tour le dimanche suivant (25 septembre) et de montrer, eux, comment s’organise une marche…
Avec ce bras de fer annoncé, le feuilleton électoral devenait des plus inquiétants. Fort heureusement, la marche du 25 septembre a été annulée.
Le Pjidiste Ramid, ministre de la Justice, en a profité pour monter au créneau, dénonçant ce qu’il dit ne pas comprendre et jouant lui aussi la carte de la «victimisation». Le ministre de l’Intérieur Mohamed Hassad lui a rappelé ses droits, s’il pense être lésé et l’affaire en est restée là…
Mais ces élections 2016 ne ressemblent à aucune des précédentes.
Cette fois-ci, il y a deux ruptures essentielles. Les partis du peloton de tête ont changé et l’enjeu a changé (voir l’édito). Jusqu’au 7 octobre au soir, le suspense sera entier. Nous en suivrons les épisodes de ces deux prochaines semaines.
Bahia Amrani