Zohra, 30 ans, cuisinière, est célibataire. Cette jeune femme a été mise à la rue le jour du décès de sa mère adoptive. Voici son récit.
«Je n’arrive toujours pas à comprendre la cruauté qui anime ceux dont je porte le même nom de famille. Ceux-là même qui autrefois disaient que j’étais des leurs et ne cessaient de me témoigner une indéfectible affection. Du moins, c’est ce qu’ils prétendaient. C’est tellement triste, aujourd’hui, de me sentir trahie, écartée et mon moral mis à mal par tous ces gens. Je jure n’avoir trouvé de la compassion et une incroyable générosité que chez de petites gens, sans aucune fortune.
Ma mère adoptive était une femme qui, sans conteste, avait fait beaucoup de bien autour d’elle. Bien qu’elle ait été orpheline, tout comme ses autres frères et sœurs, elle avait reçu de l’instruction. Et ce, grâce à son oncle chez qui elle avait été placée. Chez lui, elle avait reçu la même éducation que ses propres enfants. Tous étaient scolarisés et excellemment traités. Elle était restée chez lui jusqu’au jour où elle avait été admise à son concours d’infirmière et qu’elle avait été affectée à un poste dans une autre ville que celle de sa résidence. Avec ce qu’elle avait reçu comme part d’héritage, elle avait pu acquérir un tout petit appartement, celui-là même où j’ai grandi et dans lequel elle a rendu l’âme.
Je devrais sans aucun doute commencer par parler du comment et du pourquoi de mon adoption. Tout d’abord, il est important de savoir que ma mère adoptive après avoir été bernée dans sa toute première relation sentimentale, avait fait serment de rester célibataire toute sa vie. Résignée à vivre seule, elle s’était passionnée à porter secours à toute personne en détresse qui se trouvait sur son chemin. Elle avait très exactement aidé beaucoup de femmes indigentes à ne pas se débarrasser de leurs nouveau-nés. Vers ses soixante ans, elle avait été en contact avec ma vraie mère qui l’avait suppliée de trouver quelqu’un pour m’adopter. En attendant et au vu de son état, ma mère adoptive lui avait proposé de m’installer chez elle.
J’y suis restée définitivement parce que ma vraie mère qui était une détraquée, de surcroit née dans la rue, s’était évanouie dans la nature sans plus jamais donner signe de vie. Plus tard, disons des années plus tard, ma mère adoptive qui ne pouvait plus se passer de ma présence avait saisi la justice pour que je puisse avoir un acte de naissance. Elle avait même réussi à ce qu’on m’attribua le même nom de famille qu’elle, sans pour autant être reconnue comme étant sa fille. Tout cela avait pris énormément de temps. Ce fut aussi la raison pour laquelle je n’avais jamais pu être scolarisée, ni avoir quelque autre pièce d’identité.
Alors sans jamais me poser de questions, j’ai vécu aux cotés de ma mère adoptive. D’ailleurs, je ne m’occupais de rien d’autre que d’elle et de notre petite maison. Avec le temps, je soupçonnais que peut être je n’étais ni plus ni moins qu’une bonne. Même si jamais personne n’avait osé me le dire en face et même si ma mère adoptive me faisait croire à moi et à tout le monde que j’étais sa fille. Était-ce calculé pour que je ne me rebelle jamais? En toute honnêteté, peut être que oui finalement.
Mais peu m’importait ce détail, je préférais ne jamais y penser tout en ne cessant pas d’être dévouée corps et âme à celle que j’appelais maman. Pour être rassurée en mon for intérieur, il me suffisait de l’entendre me rappeler combien elle était bien chanceuse de la présence de sa fille (en l’occurrence moi) auprès d’elle. Ce qu’elle faisait mille fois par jour depuis que la vieillesse ne lui avait plus permis de se tenir debout, ni d’exécuter le moindre pas seule. Pendant dix années, j’ai été celle sur qui elle pouvait compter pour la soutenir et lui déléguer tous les soins nécessaires à sa survie.
Elle se savait condamnée. Pourtant, malgré les nombreuses interventions de la part de ses amies intimes et jusqu’à son dernier souffle, elle n’avait jamais voulu entendre parler de me léguer le moindre bout de chiffon lui appartenant. Que voulez-vous, elle était comme ça… Ce matin où je l’avais trouvée gisant inerte dans son lit, je ne pourrais vous décrire combien était énorme ma détresse. Voir que ma mère était bel et bien morte et que dans les heures qui devaient suivre, je n’allais plus jamais la revoir, m’était insupportable. Je peux vous assurer qu’à ses funérailles personne n’avait versé autant de larmes que moi. Ce que je ne savais pas encore, c’est qu’après ce douloureux drame, il y avait pire qui m’attendait.
Croyez-le ou non, mais le quatrième jour après que tous les us et coutumes traditionnels d’une sépulture avaient été clôturés, les frères et sœurs de ma mère adoptive me sommèrent de boucler mes bagages sans demander mon reste. Ils le firent de cette manière et ça ne rigolait pas. Je m’étais exécutée tel un automate alors que je me savais livrée à la rue sans aucun moyen de survie. Ils sont allés jusqu’à la fouille au corps pour s’assurer que je n’emportais rien de ce qui leur appartenait désormais. D’ailleurs, sans honte, dès leur arrivée, ils avaient immédiatement procédé à l’inventaire de toute la maison.
Seule une brave femme qui venait m’aider une fois par trimestre pour le ménage de fond en comble de la maisonet qui se trouvait sur place ce jour-là pour s’occuper de ceux qui débarquaient pour présenter leurs condoléances, m’avait offert l’hospitalité chez elle. Le règne ambiant d’une extrême indigence chez elle fut choquant à découvrir mais étais-je en position de choisir? Bien sûr que non ! Et avec cela, j’avais vu mon état de santé se dégrader dangereusement. Je n’avais survécu à une crise d’anémie sévère et à une défaillance dans le système immunitaire que grâce à l’organisation d’une collecte de fonds, par solidarité, orchestrée par un voisinage vivant lui aussi dans la précarité. Je peux vous garantir qu’aucun membre de ma supposée famille, dont le seul nom impose de la considération et qui avait été mis au courant pourtant de ce que j’endurais, ne m’avait soutenue ou fait parvenir le moindre dirham.
Malgré tout cela, je n’avais pas sombré dans la déconfiture. Je m’étais dignement relevée puis j’avais trouvé un job de cuisinière chez un jeune couple que je connaissais. J’avais aussi rencontré un homme. Mais le chaos était revenu sur mon chemin, le jour où nous avions décidé, lui et moi, de nous marier. Sans ma carte d’identité nationale ce n’était pas faisable. Mieux encore, on ne pouvait m’en délivrer une sans certificat de résidence. Même mon futur époux s’était trouvé dans l’incapacité de me fournir cette pièce maitresse pour la constitution de mon dossier à déposer auprès de l’administration. Il vivait dans une sous location et donc sans un contrat en son nom, ni une facture d’eau et d’électricité, tout comme ceux chez qui j’étais hébergée à titre gracieux.
Vous savez, à cause de cela, mon projet de mariage avait définitivement capoté. Et à ce jour, mon problème de carte d’identité continue d’être sans solution à cause de ma nouvelle location sans contrat. Eh oui, vu ce que je gagne par semaine c’est ça ou rien. C’est fou mais je n’en finirai jamais avec les tracasseries à ce niveau…
Attendez, je n’ai pas fini. Rien que pour l’obtention de ce papelard, j’avais cru bon mettre ma fierté de côté et tenter de reprendre contact avec ceux qui faisaient partie intégrante de mon histoire. Une belle idiotie! C’est très simple, à peine avaient-ils reconnu ma voix à l’autre bout du fil qu’ils m’avaient raccroché au nez et bien sûr bloqué mon numéro. J’ai su plus tard qu’ils avaient osé prétendre qu’ils savaient que leur frangine était tarée, mais jamais à ce point. Ils oubliaient quand même qu’elle ne m’avait rien légué, ni assuré la protection d’une mise à la rue, ne serait-ce que jusqu’à mon éventuel mariage… Que Dieu veuille bien lui pardonner. Ils ont dit aussi qu’ils regrettaient de l’avoir laissée commettre le crime de me donner leur nom de famille. Tout en n’omettant pas de préciser que pour eux, je n’étais rien d’autre qu’une boniche et que je ne serai rien d’autre que cela».
Mariem Bennani