Nouveau gouvernement : Benkirane piégé

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Un mois et demi après avoir été chargé par le Roi de former un nouveau Gouvernement, Abdelilah Benkirane n’a toujours pas constitué de majorité.

Le blocage est évident, même si le chef de gouvernement le nie dans ses dernières déclarations à la presse.

En effet, Benkirane est pris dans un piège qu’il n’a pas vu venir…

Et c’est tout le pays qui est pris en otage, avec les institutions exécutive (Gouvernement) et législative (Parlement) en stand-by ; et un projet de Loi de Finances –également en mode pause- qui ne pourra pas être adopté dans les délais (date limite: le 31 décembre 2016), privant l’Etat et ses départements ministériels (tant que le blocage dure) d’une vision claire sur les dépenses et recettes autorisées pour 2017.

En quoi consiste le piège ?

Pourquoi Abdelilah Benkirane ne peut s’en dégager ?

Quels débats politique et juridique suscite le blocage ?

Quelles solutions possibles?

Au début, tout est allé très vite. Les élections législatives ont eu lieu vendredi 7 octobre 2016. Les résultats ont été donnés dans la nuit même (nuit du 7 au 8 octobre). Le PJD, arrivé en tête (125 sièges), n’a pas eu à subir de suspense. Dès lundi, le Roi recevait Abdelilah Benkirane et le chargeait de former un Gouvernement. La «Manhajiya dimocratiya» (méthodologie démocratique), si chère aux partis politiques –et qui veut que le chef de Gouvernement soit désigné au sein du parti arrivé en tête- a été appliquée sans tergiversations par le Roi.

Abdelilah Benkirane n’avait plus qu’à entamer ses consultations avec les partis politiques pour constituer sa majorité.

L’exercice ne paraissait pas compliqué outre mesure… Deux options se dégageaient à première vue. Soit –ce qui paraissait le plus probable- reconduire la même majorité. Soit en mettre sur pied une autre avec les partis de la défunte Koutla (le PPS, d’office puisqu’il avait conclu un accord avec le PJD dans ce sens avant les élections, l’Istiqlal et l’USFP) ; auxquels auraient pu s’ajouter les partis dont on pensait qu’ils étaient prêts à intégrer n’importe quelle majorité (à savoir: le Mouvement Populaire et l’UC). 

C’est alors que de nouveaux éléments interviennent, en cascade…

Les surprises du RNI

Premier coup de théâtre –du jamais vu dans la vie politique marocaine- le chef du RNI, Salaheddine Mezouar, annonce sa démission qu’il explique par les conclusions qu’il tire des mauvais résultats de son parti aux élections (37 sièges seulement). En même temps que cette démission, est annoncé son remplacement par Aziz Akhannouch. Une décision qui n’était encore qu’une proposition de la Direction du parti et qui devait être entérinée par un congrès du RNI fixé à la fin du mois d’octobre.

Ce 2ème coup de théâtre marquait le début des complications pour Abdelilah Benkirane. Il devait en effet attendre la fin du mois pour engager des pourparlers avec le RNI, le Président sortant de ce parti ne pouvant plus prendre de décisions et son successeur ne le pouvant pas encore…

En attendant, 3ème surprise du RNI: le parti annonce son alliance avec l’UC (Union Constitutionnelle, 19 sièges) prenant immédiatement effet. Ce qui fait de ce binôme la 3ème force au Parlement avec 56 sièges (37 du RNI+19 de l’UC) !

Chabat, vif comme l’éclair…

Abelilah Benkirane avait donc entamé son 1er tour de concertations avec les partis. Or, si les responsables du RNI prenaient tout leur temps, un autre acteur, lui, brûlait d’impatience… Il s’agit de Hamid Chabat, Secrétaire général de l’Istiqlal, pour qui faire entrer son parti au Gouvernement est une question de vie ou de mort politique. C’est le seul moyen qui lui reste de se maintenir à la tête du parti, ainsi que de contenir la déception et la colère des militants istiqlaliens qui n’ont jamais vu leur parti essuyer de telles défaites électorales ; le scrutin du 7 octobre étant tout simplement une bérézina pour ce parti jusque-là qualifié de machine électorale !

C’est pourquoi, vif comme l’éclair, Chabat a immédiatement et fermement exprimé à Abdelilah Benkirane sa volonté –et plus globalement celle de l’Istiqlal- de faire partie de la majorité gouvernementale.

Mieux. A la décision politique officiellement exprimée, il a ajouté les manœuvres politiciennes que l’opinion publique ne découvrira que plus tard, quand le PJD a mis en ligne, sur son site, la vidéo où Abdelilah Benkirane lâche tout, multipliant les dénonciations contre les partis consultés et criant au complot.

Abdelilah Benkirane : Le communiqué de la rupture

Dans cette vidéo (voir pages suivantes), Benkirane raconte que Chabat a «eu le courage» de refuser de participer à un plan selon lequel l’opposition aurait tenté de faire élire le Président du Parlement avant que le chef du Gouvernement ne constitue sa majorité, afin de le mettre devant le fait accompli avec une majorité constituée de facto. Voilà donc l’argument-massue de Chabat auprès de Benkirane !

C’est moi le chef de Gouvernement !

Pour Benkirane, Chabat a été loyal, voire a déjoué un putsch contre lui. Il fera donc partie du futur Gouvernement. Sa parole est donnée !

Oubliées les 5 années d’insultes de Chabat contre le chef du PJD, avec un acharnement tel que les internautes en ont fait des vidéos et caricatures à foison…

Balayées l’année de blocage imposée par Chabat, avant la sortie de l’Istiqlal du 1er Gouvernement Benkirane et les années qui ont suivi d’alliance du PI avec l’opposition…

Enterrées les déclarations incendiaires du N°1 de l’Istiqlal, jusqu’à la veille des résultats du scrutin du 7 octobre, Chabat criant à qui voulait l’entendre qu’un Gouvernement dirigé encore une fois par Benkirane conduirait le pays à la catastrophe…

Abdelilah Benkirane ne voit pas non plus que le choix qu’a fait Chabat de ne pas participer à une éventuelle élection anticipée du Président du parlement n’est pas dicté par une quelconque loyauté, mais par un calcul simple et évident. Chabat savait bien que si une élection pour la présidence du Parlement était organisée, ce n’était pas pour que cette présidence revienne à l’Istiqlal. Il avait bien compris que l’alliance entre le RNI et l’UC détrônait l’Istiqlal de sa place de 3ème force au Parlement et plaçait en meilleure position le RNI, aussi bien au sein de l’hémicycle que pour poursuivre les négociations relatives à l’entrée au Gouvernement.

La compétition entre l’Istiqlal et le RNI était en marche. Elle ne va pas tarder à se durcir.

Lorsque Benkirane reçoit Aziz Akhannouch, au lendemain du congrès du RNI, en sa qualité de nouveau Président de ce parti et que celui-ci lui fait part de sa conception de la future majorité, il le prend très mal. «Aziz Akhannouch, nouveau SG du RNI, est quelqu’un que j’apprécie. Mais qu’il vienne me poser ses conditions pour faire partie du gouvernement, je ne l’accepterai sous aucun prétexte. Je ne me plierai aux exigences de personne. Le chef  de de Gouvernement, c’est moi et je ne me laisserai pas faire», dira-t-il à ses militants (c’est la fameuse vidéo diffusée par le PJD).

L’impasse…

A ce moment-là, pour Benkirane il y a, d’un côté, Chabat, devenu «l’homme courageux et loyal» auquel il a donné sa parole ; et de l’autre, Akhannouch qu’il dit respecter, mais qui se comporte en chef et qui veut lui imposer ses conditions. Ce qu’il n’entend pas accepter…

Or, ces propos d’un Benkirane sûr de lui et prêt à affronter ses interlocuteurs ont été tenus le 5 novembre. Le lendemain, 6 novembre, anniversaire de la Marche verte, le Roi qui a prononcé son discours à cette occasion exceptionnellement à partir de Dakar, a aussi évoqué la formation du nouveau Gouvernement. Ce fût un sérieux recadrage. Il ne s’agit pas de partager un butin électoral, a mis en garde le Souverain qui a appelé à un Gouvernement compétent, harmonieux, efficace…

Depuis, Benkirane est dans une impasse.

Il a donné sa parole à Chabat, mais l’Istiqlal et le PPS ne suffisent pas à réunir les sièges d’une majorité (198 sièges nécessaires).

Le RNI a ses conditions. Vu sa compétition avec l’Istiqlal, il n’y a pas de place pour ces deux partis, ensemble, dans le Gouvernement.

Benkirane ne peut faire appel ni à l’UC, ni au Mouvement Populaire, les deux se veulent aux côtés du RNI.

Enfin, l’USFP pose également des conditions à sa participation, laissant tomber son annonce de rapprochement avec l’Istiqlal, faite lors du 1er tour des consultations.

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Abdelilah Benkirane sait que s’il renonçait à imposer l’Istiqlal, la majorité serait constituée. Mais il ne cesse de répéter qu’il a donné sa parole à Chabat et qu’il ne reviendrait pas dessus.

Chabat, lui, peut se féliciter. Il a réussi un coup de maître. Le chef du PJD ne veut pas le voir, mais en réalité, c’est Chabat qui l’a bel et bien piégé. Encore une fois, c’est à cause de Chabat que le pays attend un Gouvernement (comme en 2013).

L’éternelle théorie du complot

Pourtant, les interventions des responsables du PJD (Ramid, Yatim, Amina Maa Al Aynine, Rebbah…), comme celles de leurs supporters (Nabil Benabdallah, par exemple) et même celles d’autres observateurs, ne retiennent pas le rôle de Chabat. Les seuls arguments avancés sont ceux du complot contre le PJD.

L’impasse a, tout à fait normalement, déclenché un débat juridique. Les questions ont été posées de savoir que disent les textes quand une telle situation se présente. La Constitution n’est pas précise sur ce point. Il y a donc eu différentes interprétations des articles 42 et 47 de la Constitution.

L’article 47 énonce que le Roi nomme le Chef du Gouvernement au sein du parti politique arrivé en tête des élections. C’est la «Manhajiya dimocratiya» (méthodologie démocratique). Mais l’article 42 fait du Roi le garant de la continuité de l’Etat et du bon fonctionnement des institutions constitutionnelles. (Voir les deux articles de la Constitution en encadré).

Certains y ont vu la possibilité pour le Roi de nommer un autre chef de Gouvernement, soit au sein du PJD-même, soit dans un autre parti. Ou encore –solution extrême- d’organiser de nouvelles élections…

Aussitôt ces possibilités évoquées, l’éternelle théorie du complot et du «Tahakkom» a resurgi, accompagnée des vieilles (et dangereuses) rengaines sur la stabilité du pays qui courrait des risques…

Or, c’est là toute la différence entre un Benkirane et son PJD, toujours prompts à abattre la carte du complot et de la stabilité… Et un Driss Jettou, par exemple, qui aurait résolu le problème en prenant le pouls là où il faut, en invitant toutes les parties chez lui, pour les écouter et chercher une issue de sortie, et en tranchant.

Quelles solutions aujourd’hui ?

La question est de savoir quelles solutions seraient possibles aujourd’hui, alors que A. Benkirane dit rester chez lui, en attendant que Aziz Akhannouch revienne de la tournée royale en Afrique ?

La solution de nouvelles élections ne semble pas plausible.

Pas plus que le choix d’un autre chef de Gouvernement. Le Roi n’aime pas les complications, ni les solutions extrêmes.

Il revient alors au chef du Gouvernement de se comporter en homme d’Etat qui comprend –et met au-dessus de tout- les intérêts de l’Etat. Il est clair que le Maroc a d’énormes défis à relever. Certains membres du RNI ont lancé de grands chantiers sous la direction royale. S’il faut qu’ils les poursuivent, Abdelilah Benkirane devrait pouvoir pousser dans ce sens, en faisant preuve de flexibilité et, surtout, en abandonnant le lamento de la victimisation et du «Tahakkom». Dans toutes les démocraties que nous observons autour de nous, le combat politique est rude. Mais il est livré entre les parties en présence, sans que nul ne remette la stabilité du pays en question. En Espagne, il a fallu près d’un an pour la formation d’un Gouvernement et ce ne sont pas les plus grands partis qui bloquaient… En Belgique, près de deux ans sans gouvernement ! En France, on a vu se déchirer les candidats d’un même parti pour des primaires et ça continue (même si c’est un seul et même parti qui se retrouvera en fin de parcours). Enfin, Mr Benkirane notera que Donald Trump n’a jamais rien fait pour le peuple et pourtant le peuple l’a porté à la tête du pays…

Au Maroc, le Souverain voit loin pour le pays et place la barre très haut. Le Gouvernement doit incontestablement suivre. Ceux qui prétendent vouloir agir dans l’intérêt du pays doivent comprendre cela. Hamid Chabat le premier, puisque tel est son argument.

BA

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