Les malades marocains boudent les médecins et les pharmaciens du Royaume. La question est de savoir pourquoi. L’histoire de Mohamed, jeune commerçant et père de famille, l’explique.
Nos malades préfèrent avoir recours à toutes sortes de thérapies, plutôt que d’aller consulter un médecin. De leur côté, les médecins marocains et les pharmaciens se plaignent de la baisse de leurs recettes. Pourtant, ils ne comprennent pas quand les malades leur disent que les traitements sont trop coûteux. Ils pourraient prescrire des génériques fabriqués dans le pays et s’inquiéter surtout du statut social de leurs patients en évitant de surcharger leurs ordonnances.
Mais il n’en est rien. Même si ces spécialistes du monde de la santé savent combien il est dangereux de ne pas se soigner ou d’avoir recours à l’automédication! Ils savent aussi que nous sommes menacés par le déversement de médicaments contrefaits, très toxiques, vendus sur Internet. L’OMS a déjà tiré la sonnette d’alarme dans les pays occidentaux sur des contrefaçons fabriquées en Chine, Inde et Ukraine et écoulées par le biais d’Internet. Un véritable filon pour les arnaqueurs. Faut-il en arriver à voir les marchands de pépites et l’épicier du coin vendre des antibiotiques contrefaits, prescrits par des charlatans qui se font passer pour des médecins?
Mohamed a 30 ans. Il est commerçant et père de famille; il est tombé malade mais n’a pas voulu consulter. Il raconte ce qui l’y a contraint.
«Je suis commerçant, je tiens une petite boutique dans la médina. J’y vends des vêtements de sport pour hommes. C’est de ça que je fais vivre ma petite famille, ma femme et mes deux enfants de 4 et 6 ans. Pour ma marchandise, je suis obligé de me déplacer pour me rendre là où se trouvent tous les grossistes. Lors de mon dernier déplacement, j’ai pris froid. De retour chez moi, j’avais mal, je grelottais de froid et toussais. J’ai pris de l’aspirine et bu une soupe bien chaude. Le lendemain, je ne me sentais pas trop mal. Je suis donc allé ouvrir ma boutique pour ranger le nouvel arrivage. Mais au bout de deux heures, je ne me sentais pas bien. La fièvre de la veille revenait plus forte, j’avais un mal de tête persistant et toussais très fort. Je ne voulais pas retourner à la maison. Je pensais que mon mal s’en irait avec du sirop. Je suis donc resté dans ma boutique et me suis acheté un tube d’aspirine et du sirop à la pharmacie du coin. Ce que j’avais pris était trop léger, mon état ne s’améliorait pas, mes yeux larmoyaient et mon nez coulait. Je fermai ma boutique pour aller dormir. Je n’avais pas la force de travailler. Vendre nécessite de la patience et je n’en avais pas. Je me disais aussi que ce n’était qu’un rhume passager et qu’il n’y avait pas de quoi fouetter un chat. Qui plus est, je n’allais certainement pas consulter un médecin pour un coup de froid. Les médecins ne m’ont jamais inspiré confiance. La dernière fois, il y a de cela trois semaines, j’ai eu affaire à eux. C’était quand mon fils avait eu une bronchite. Je ne voulais surtout pas lui infliger le traitement aux herbes et autres bizarreries que ma belle-mère lui avait concocté. Je l’ai donc emmené voir un toubib. Ce médecin spécialisé lui a donné un premier traitement, puis un deuxième et un troisième. Pour chaque traitement, mon fils a eu droit à une longue liste de médicaments et, comme son mal persistait, les boîtes entamées étaient remplacées par d’autres, sans parler des médicaments qui sont vraiment impossibles à avaler pour des enfants et qu’il a fallu changer aussi. Une aubaine pour le pharmacien, mais pas pour ma bourse. Les honoraires, je les ai payés trois fois, un contrôle était gratuit. L’état de mon fils ne s’est amélioré qu’au troisième traitement, soit la quatrième semaine. J’ai dû lui faire une série de tests sanguins, en plus de deux radios, une du thorax et une autre du sinus. Je ne suis qu’un petit commerçant, je n’ai pas d’aide, ni d’assurance maladie et tous ces frais ne me seront jamais remboursés. Mais de ça, les médecins s’en fichent. Et moi, j’aurais tout donné pour mon enfant.
Ma méfiance à l’égard des médecins a pris plus d’ampleur après avoir entendu les récits de personnes rencontrées dans les salles d’attentes bondées. Une vieille dame diabétique et cardiaque racontait ses misères. Certains médecins qu’elle avait sollicités ne s’étaient pas gênés et avaient bien profité de son ignorance. Elle avait eu des complications et les traitements qu’ils lui administraient ne la soulageaient pas. Alors, elle changeait de médecin pour trouver le bon et surtout être correctement suivie. Mais à chaque visite, chacun lui prescrivait pratiquement les mêmes préparations sous des noms différents. L’un d’entre eux lui avait prescrit de l’insuline avec un stylo doseur sans même perdre un peu de son temps pour lui apprendre à s’en servir. Il ne lui avait jamais dit que le dosage devait se faire en fonction de son taux de glycémie qu’elle devait contrôler constamment. Elle ne sut cela qu’après avoir frôlé la mort. Elle a dû se renseigner elle-même grâce au ouï-dire. Elle disait aussi qu’il l’avait même obligée à prendre ce qu’il lui prescrivait dans une pharmacie dont il lui avait indiqué l’adresse. Il en était de même pour les analyses. Le laboratoire était désigné. Un autre gars vivant en France et accompagnant son père malade racontait que les médicaments fabriqués à l’étranger et vendus chez nous n’étaient que des lots aux dates d’expiration trafiqués. Il a pu constater que certains produits n’ont plus les mêmes emballages depuis belle lurette et qu’en plus ils sont chers et ne soignent pas. Certains médicaments dont la provenance est méconnue sont moins chers, efficaces et se vendent au noir. Toutes ces histoires très inquiétantes revenaient en boucle dans ma tête. Aussi, n’avais-je du tout pas envie de partager avec les médecins et les pharmaciens le peu d’économies qui me restait. Je me résolus à ne prendre que ce qui me semblait être suffisant pour mon mal. J’ai préféré prendre le reste du traitement de mon frère et d’un de mes voisins. Ils me les ont rapportés dès qu’ils ont su que j’avais une bronchite. Ce mélange de pastilles miraculeuses, de sirop et de pulvérisateur m’a guéri. Je n’oublierai pas non plus le bienfait des tisanes de ma belle-mère et ses préparations druidiques à base de miel, d’épices et de graines. Je sais, ce n’est pas vraiment intelligent et il aurait mieux valu que j’aille consulter… Les choses auraient peut-être pu tourner au drame. Mais je ne pouvais pas ne pas payer mon loyer et mes charges, en plus d’affamer mes enfants pour une simple bronchite. Je suis certain que je ne suis pas le seul à adopter cette démarche. Beaucoup de personnes souffrent et préfèrent avoir recours aux médecines alternatives populaires ou à l’automédication juste pour ne pas se faire pomper par les médecins devenus trop matérialistes et sans vergogne. D’ailleurs, pour avoir un rendez-vous chez un vrai bon médecin, on a le temps de mourir avant de voir son tour arriver. On peut mourir aussi parce qu’on ne peut pas se permettre le luxe de se faire soigner par les spécialistes. Entre les deux, il y a le système D!».
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