Mon fils a honte de moi

Mina 57 ans, ex-femme de ménage, est complètement désemparée. Elle est si fière de son fils. Mais lui, il ne l’est pas d’elle.

«Ma tristesse est grande parce qu’à mon âge, après avoir connu le veuvage -alors que je n’étais qu’une jeune femme de 27 ans- et tant travaillé pour élever mes deux enfants convenablement, me voilà en fin de parcours rejetée par mon fils.

Je me souviens: ma vie avait tourné au drame quand mari, qui était mécanicien, est décédé suite à une crise cardiaque, alors qu’il avait tout juste 35 ans. Je me suis retrouvée avec deux enfants dont un bébé de 6 mois, sans le moindre centime mis de côté. Mes deux beaux-frères qui, eux aussi étaient associés avec mon mari dans ce petit garage de mécanique, avaient tout détourné pour que je ne perçoive rien des parts de mon époux.

Ils avaient prétendu que leur frère s’était associé avec eux sans jamais donner d’argent. N’ayant aucune preuve tangible pour faire prévaloir mes droits, ni famille aisée sur qui compter, j’ai dû -encore en veuvage- me mettre au travail en tant que femme de ménage. J’avais un bébé et petit garçon qui allait à l’école, en plus des charges. C’est grâce à une voisine compatissante que j’ai pu tout de suite travailler. Je fus engagée dans une maison et j’eus la chance inouïe de pouvoir venir avec ma fille tous les jours et avec mon fils quand il n’avait pas école. On m’avait cédé la petite buanderie dans le jardin pour que je puisse les y laisser. J’ai passé près de quinze années au service de cette maison. C’était un couple très généreux qui m’avait alors beaucoup aidée. On me donnait de quoi nous nourrir, nous vêtir, mes enfants et moi. Mais ce pauvre couple a été frappé par une terrible tragédie. Une sombre histoire dans laquelle mon patron a été condamné à vie pour meurtre. Son épouse, qui n’avait pu rien faire pour disculper son mari, avait fui la ville où l’on vivait. Elle n’en pouvait plus d’être montrée du doigt partout où elle se rendait. Je n’oublierai jamais cette dame si charitable qui m’avait alors dédommagée avec l’équivalent de trois mois de salaire et avait réussi à me placer chez l’une de ses sœurs. Mais j’ai dû changer plusieurs fois de maison. Jamais aucun couple chez qui je travaillais n’avait été aussi bon pour moi que le premier. Mais je m’en sortais. Mon fils avait alors déjà passé son bac et était en deuxième année de Faculté. Ma fille, qui grandissait dans le quartier très populaire où nous habitions, se faisait souvent harceler par un garçon; elle en souffrait tellement qu’elle a fini par abandonner le collège, préférant rester à la maison. Elle se mit à apprendre la couture traditionnelle dans un petit atelier de broderie installé dans une maison mitoyenne de la nôtre. Mon fils, lui, continuait ses études de langues. Il eut sa licence, son master et puis après, son doctorat. Il avait postulé pour travailler dans l’administration universitaire. Étant un élève brillant, il fut engagé. Dès qu’il eut perçu sa première indemnité d’environ quelques mois de salaire, il chercha sans attendre à habiter seul. Il emménagea bien vite d’ailleurs dans un petit appartement. Nous pensions, ma fille et moi, qu’il allait nous faire une surprise et qu’il voulait d’abord le meubler pour nous proposer de venir habiter avec lui. Nous nous trompions lourdement. Il s’établit, se tut et ne nous donna aucune explication. Il venait de temps à autre nous rendre visite, mais jamais plus d’une demi-heure. Il vérifiait tout juste si nous allions bien et s’en allait. Ma fille et moi n’avions pas essayé d’en savoir plus; nous voulions le laisser à l’aise. Quelques mois plus tard, je l’avertissais que j’allais arrêter de travailler parce que j’avais un bras et la hanche qui me faisaient horriblement souffrir et lui demandais de m’aider à payer le loyer. Je lui disais aussi, pour le réconforter, que pour le reste, c’était sa sœur qui allait s’en charger. Je crus m’évanouir en voyant mon fils se mettre dans tous ses états et me lancer au visage, sans vergogne, que maintenant il était débarrassé de la misère dont il avait tant souffert et que sa sœur et moi ne devions jamais compter sur lui. Pire que cela, il nous fit ses adieux en nous ordonnant de ne jamais chercher à le voir, ni à demander après lui. Je n’avais jamais imaginé que mon fils puisse un jour nous parler de la sorte et qu’il ait tant honte de nous. Ma fille, furieuse aussi contre lui, essayait de me consoler en me disant que nous n’avons pas besoin de lui et que l’on s’en sortirait grâce ses clientes et son travail soigné.

Maintenant et depuis cette scène, chaque fois que je pense à mon fils, la détresse m’envahit et je suffoque tant je pleure. Comment ce fils en qui j’avais fondé tous mes espoirs avait-il pu…? Ne m’étais-je complètement oubliée en passant les trois-quarts de ma vie à trembler pour sa sécurité et à travailler pour qu’il puisse ne jamais manquer de rien? Ne m’étais-je pas privée pour qu’il ait son lait, ses espadrilles, ses vestes à la mode? Je faisais cela volontiers, rêvant au jour où, comme d’autres parents que je connais, il nous sortirait, sa sœur et moi, de cette misère qui nous indispose autant que lui… Mais si d’autres parents ont eu la chance d’être sauvés par leur fils, si certaines de mes amies ont été choyées, envoyées à la Mecque, couvertes de bijoux…, moi, aujourd’hui, je n’ai que mes yeux pour pleurer. C’est dur de l’admettre. Mais je n’arrive pas à le maudire. J’ai juste peur que la vie lui rende la pareille».

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