Rayane, 27 ans, salarié, est célibataire. Il loue une voiture et ce qui devait arriver arriva, comme n’a pas cessé de le dire sa mère. Voici son histoire qui finit sur le bureau d’un avocat…
«Vous savez, je suis particulièrement stressé aujourd’hui, rien qu’à l’idée de ce que je vais devoir encore affronter les prochains jours. Etant donné les circonstances sans queue ni tête, je me sens dans une sorte de nécessité impérieuse de vider mon sac. C’est qu’il est lourd le poids de l’injustice quand il vous tombe dessus. J’ai beau tenter de me défendre surtout dans ma famille, on me condamne comme seul fautif. Pourtant, dans cette histoire, je suis la victime et rien que la victime.
Je suis un jeune diplômé, qui pour éviter de glander à attendre l’opportunité convoitée, a préféré bosser la toute première fois de sa vie dans un centre d’appel. Que voulez-vous, il y en a pour qui tout est facile dans la vie. Ils n’ont même pas besoin de demander, puisque d’autres s’occupent de leur offrir ce qu’il y a de mieux. Je n’oublie pas non plus ceux aussi pour qui la voie est toute tracée. Ou bien ceux qui sont pris en charge par papa et maman et qui par conséquent peuvent se permettre de continuer de refuser ce qui ne correspond pas à leur domaine d’études. Mais il y a aussi ceux, dans mon genre, qui malgré des efforts constants pour réussir leur scolarité se retrouvent confrontés à la dure réalité de ne pas voir la chance tourner de leur côté rapidement, notamment pour trouver un job dans le domaine de leur compétence.
Effectivement, à choisir entre la peste ou le choléra, j’avais opté pour le choix de gagner un petit salaire. Ce qui est mieux que rien du tout. D’autant que cette expérience m’avait permis de sortir de mon cadre habituel, pour vivre en colocation. Et puisqu’on en fait les choux gras sur les réseaux sociaux, je vous avouerais aussi que ma mère qui croit fortement en les attaques du mauvais œil avait applaudi chaudement cette idée. Avec un soupir de soulagement, elle avait également rajouté qu’au moins comme dirait sa grand-mère «à tous ces yeux de chouettes malfaisants qui nous épient, je leur envoyais l’image de mes semelles comme bouclier protecteur». Mais avant tout, je peux vous certifier, que si je ne l’avais pas fait, j’en serais encore à ne pas me rendre compte d’un bon nombre de mes défauts. Et aussi, je n’aurais jamais rencontré d’autres amis, notamment les bons, ceux qui m’ont aidé à me dégoter un autre job plus en adéquation avec ma formation de base. Les mauvais, je ne compte pas perdre du temps ici à leur accorder de l’importance.
Jusque-là tout va bien, je m’en sors comme un chef, je suis embauché dans une entreprise qui reconnait ma valeur et qui me paie bien. Je change de lieu de vie en ayant cette fois mon propre appartement et j’avance. Je suis même devenu accro à cette aspiration d’évoluer en beaucoup mieux. Est-ce anormal à mon âge et d’ailleurs même à tout âge, finalement, d’avoir de l’ambition? Je suis sûr que vous et plein d’autres dans votre genre, vous me répondrez non. Mais vraisemblablement, à en croire les dires de beaucoup -dont ma mère- il y en aurait à qui cela ne plait pas du tout, qu’ils soient pleins aux as ou menant une vie de chien. Evidemment, elle, avec de telles idées dans la caboche, au lieu d’applaudir mes efforts, la voilà me rabâchant que je devais garder pour moi mon avancement.
Toujours selon elle, l’incommensurable malveillance du voisinage et de quelques tarés de proches (eh oui eux aussi) toujours tapis dans l’ombre, aux aguets, en rab d’infos sur mon évolution, pouvait me porter grand préjudice. J’avais envie de lui demander de me fiche la paix avec ses peurs du mauvais oeil, mais j’évitais. Autrement, j’aurais eu droit à un cours d’Histoire de plusieurs heures sur les mauvais effets de la «suivette» comme dirait le jeune humoriste Amine Radi. Bon, lui au moins, il abrège les explications avec un emoji nazar boncuk. Ah, ces protections contre ce satané mal pernicieux qui attire sur vous la «chkmoune», les pertes, les maladies, le divorce… Et j’en passe et des meilleures! Y croire ou ne pas y croire, telle est la question.
Il est vrai que toutes les civilisations de tous les points cardinaux du globe, depuis des lustres, qui en avaient tellement bavé de ce qui leur tombait dessus, n’avaient pas eu d’autre choix que d’essayer de s’en préserver. D’ailleurs, que penser, au vu de toute cette littérature millénaire sur les pouvoirs de la main de Fatima ouverte ou fermée, de la salamandre, des cauris, de l’œil turc ou d’Horus, du daruma, du bracelet de fil rouge, de plier sa langue dans sa bouche, de la tache rouge ou noire sur le front, des pentacles, des talismans, de croiser les mains sur son sexe, des danses, du sel, des fumigations d’herbes, du plomb, de se cacher le pouce d’une main dans l’autre, des plumes, des pierres taillées ou brutes, de boucher son nombril avec du coton, de jeter un verre d’eau sur le pas de sa porte après chaque visiteur etc … Sauf que hélas, tout cela repose sur des superstitions sans garantie sur les résultats escomptés. Et ce n’est pas du cynisme, de vous dire que face à «toute vérité n’est pas bonne à dire», il y a «celui qui ne tente rien, n’a rien».
Alors, il y a un mois, parce que je n’en pouvais plus d’un moral au plus bas, j’ai cru bon de changer de décor pour aller en bord de mer ou à la montagne. Et aussi, ensuite, aller rendre visite à mes parents qui me manquaient beaucoup. Pour éviter de me farcir l’ambiance des transports publics, j’avais choisi de louer une voiture. C’était la première fois et sans aucun doute possible, la dernière. Le seul avantage dans cette démarche, fut le côté pratique. Sinon pour le reste, je vous jure que j’aurais mieux fait de m’en passer. Dans cette agence de location, on m’avait livré une bagnole neuve, mais avant je devais signer un contrat avec des clauses scellées. Sous l’influence de mon irrésistible envie de prendre le large, je n’avais pas tilté lorsqu’on avait exigé aussi de leur remettre un chèque perso de caution d’un montant de plus de 20.000 dhs. Sans que je demande des explications, le coursier de l’agence m’avait garanti qu’ailleurs, il était signé à blanc. Il est bon de savoir aussi, que lorsque votre assurance vous offre en cas d’accident une voiture de remplacement vous devez aussi laisser un chèque de caution à l’agence de location dont le montant varie entre 5000 et 6000 dhs. Pratiques légales ou non, dans le besoin qui peut chercher à savoir ?
Avant de me remettre les clés avec l’autorisation de circuler et les papiers de l’automobile et pendant qu’il cochait les éraflures de la carrosserie, il m’avait fait le curieux aveu que bien souvent leurs voitures revenaient saccagées et pillées de l’intérieur. Je balaye de la main ces infos sur les us des vandales et je démarre en trombe. Je passe chercher ma copine et tous les deux on fonce chez des amis dans la capitale rouge. Après deux jours de farnienté idyllique, je reprends le chemin du retour seul pour aller voir mes parents. Arrivé sain et sauf, je gare bien la voiture en bas de chez nous, sachant que je ne peux pas la mettre au garage où dort celle de mon père. J’estimais que je n’avais pas d’inquiétude à avoir, vu qu’il n’y avait jamais eu de problème et que finalement notre rue n’était pas si fréquentée que ça. Ensuite, je monte vite pour embrasser ceux que je n’avais pas vus depuis plus d’un mois. Nous sommes tous très heureux de nous retrouver. On se raconte les dernières news, on mange et après on regarde tous le même bon film avant d’aller se coucher. A trois heures du matin, on frise l’attaque cardiaque tous les trois avec le vacarme strident et insistant de la sonnette de l’interphone.
Febrile, je décroche. C’est le gardien de l’immeuble qui crie comme un fou de descendre tout de suite. Mes parents et moi-même sommes dans un état de terreur pas possible. Sans me couvrir chaudement, je saute dans l’ascenseur. Une fois à la porte d’entrée, je n’avais pas besoin qu’il m’explique, se dressait devant moi une horrible catastrophe. Quelqu’un était rentré dans la bagnole de location et avait pris la fuite sans laisser à quiconque l’opportunité de retrouver sa trace. Etait-ce un acte criminel prémédité ou est-ce que cet inconnu ne devait pas être dans son état normal ? Allez savoir! Ce soir-là, fut torride en émotions. Je vous épargne les détails, mais après le constat de la police venue sur place et l’expert de l’assurance, me voilà à l’agence de location. C’est très simple, je n’étais plus dans la réalité mais dans la fiction. D’abord, on refusait de me rendre mon cheque et ensuite j’apprends qu’on l’avait mis à l’encaissement. Cette véritable histoire de fou, que je suis incapable de gérer, je l’ai remise entre les mains de mon avocat et il s’en charge.
Cerise sur le gâteau, en plus de ce problème, j’apprends que notre grand boss a pris la décision de remercier mon supérieur hiérarchique. Suis-je dans son collimateur moi aussi ? C’est ce qu’on verra. En attendant, vous n’imaginerez jamais comment ma mère m’en fait voir de toutes les couleurs. Elle n’arrête pas de répéter que tout ce qui m’arrive, c’est bien fait pour moi. Qu’elle m’avait assez prévenu de faire attention au mauvais œil et que j’avais quand même osé me pointer chez eux avec ce tas de ferraille qui n’était même pas le mien».
Mariem Bennani