Les feux des projecteurs se sont brusquement braqués sur le ministre de l’Agriculture et de la pêche maritime, Aziz Akhannouch, à la mi-octobre dernier, pour ne plus le quitter ces deux derniers mois.
Et pour cause… Devenu Président du RNI (rassemblement national des indépendants, il est celui que le chef de Gouvernement Abdelilah Benkirane et son parti le PJD (parti justice et développement), accusent de bloquer la formation du nouveau Gouvernement.
Cela fait plus de deux mois, en effet, que A. Benkirane (dont le parti a décroché la 1ère place aux dernières élections législatives, avec 125 sièges) a été chargé de constituer une nouvelle majorité… Mais le pays est toujours dans l’attente d’un nouvel exécutif. Seule l’ancienne équipe, amputée des 12 ministres, qui ont dû démissionner après leur victoire aux législatives –la loi interdisant le cumul des mandats de député et ministre- assure la gestion des affaires courantes.
Quel rôle se dessine pour Aziz Akhannouch et son parti dans le nouveau gouvernement et, au-delà, quel rôle dans la vie politique marocaine des 5 prochaines années (jusqu’aux législatives de 2021) ?
Qu’en pense l’opinion publique ?
Décryptage.
Tout commence le mercredi 12 octobre 2016. Les élections législatives viennent d’avoir lieu (7 octobre 2016). Les résultats sont donnés. Le RNI n’obtient que 37 sièges. Soit la 4ème position après le PJD (125 sièges), le PAM (parti authenticité et modernité, 102 sièges) et l’Istiqlal (46 sièges). A la surprise générale, le président du parti, Salaheddine Mezouar, prend note de l’échec et annonce sa démission. C’est alors que le bureau politique du RNI rend public, le 12 octobre, un communiqué faisant savoir qu’il venait de «solliciter» Aziz Akhannouch pour succéder à Salaheddine Mezouar à la tête du parti.
A partir de là, les projecteurs sont braqués sur Aziz Akhannouch. Car, aux yeux de l’opinion publique, la surprise n’est pas des moindres.
A. Akhannouch qui avait d’abord porté les couleurs du Mouvement Populaire, en 2003, avait certes rejoint le RNI en 2007 et avait même compté parmi les ministres de ce parti au sein du gouvernement Abbas El Fassi (Gouvernement dirigé par l’Istiqlal). Mais en 2012, il s’était défait de «l’étiquette Rniste» et, depuis, était considéré comme un ministre technocrate.
Revenir au RNI en 2016 –et y entrer par la grande porte, puisqu’il se voyait chargé de sa présidence- ne pouvait donc aller sans surprendre…
Premier suspense…
Mais si les lumières se sont portées sur Aziz Akhannouch avec autant d’insistance, ce n’est pas seulement pour sa prise de fonction à la tête du RNI (entérinée le 29 octobre, par un congrès extraordinaire du parti). C’est surtout à cause du contexte dans lequel a eu lieu cette prise de fonction.
Abdelilah Benkirane ayant été chargé de constituer une majorité (le PJD n’a eu que 125 sièges, alors que la majorité requiert 198 sièges), ses tractations avec les autres partis commençaient. Or, le Président sortant du RNI, Salaheddine Mezouar n’était plus habilité à négocier au nom du parti et Aziz Akhannouch ne l’était pas encore. Il fallait attendre que le RNI tienne son congrès extraordinaire et nomme officiellement Akhannouch Président. Premier suspense… Qu’allait décider le RNI, lors de ce congrès, concernant le nouveau Gouvernement ? L’arrivée de Aziz Akhannouch à la tête du parti était un signal fort, mais que signifiait-il ?
Les supputations commencent
Alors que l’Istiqlal avait annoncé sa ferme intention de participer au Gouvernement ; et que les autres partis, à l’exception du PAM et du PSU, avaient tous fait part de leur disposition à «dire oui» (bien que sous conditions), il ne restait plus à Benkirane qu’à obtenir la réponse du RNI pour savoir dans quel sens orienter sa nouvelle majorité.
Le Roi était en tournée en Afrique subsaharienne et Aziz Akhannouch faisait partie de la délégation royale. Le temps de Benkirane était donc suspendu… Jusqu’à sa rencontre attendue avec Akhannouch.
Une chose est sûre, ce dernier devait rentrer le 29 octobre pour la tenue du Congrès du parti et sa nomination officielle à la présidence.
En attendant, les supputations commençaient…
Pour les uns, l’arrivée de Akhannouch à la tête du RNI signifiait que lui et son parti entreraient nécessairement au Gouvernement, compte tenu de la confiance dont il jouit auprès du Roi.
Pour les seconds, une autre option était à envisager. Et si Akhannouch s’était vu confier le RNI pour en faire un grand parti en remplacement du PAM ? Il pourrait alors choisir de prendre le temps de se renforcer au sein de l’opposition ?
Les troisièmes enfin –dont plusieurs membres du PJD- commençaient à voir en Aziz Akhannouch l’homme qui pourrait bien tout «chambouler», non pas dans 5 ans (en 2021), mais maintenant.
Le blocage installé
Et c’est cette 3ème thèse qui allait prendre de l’ampleur, avec la suite des évènements. Quand Aziz Akhannouch est rentré au Maroc, interrompant sa mission dans le continent pour assister au Congrès et rencontrer Abdelilah Benkirane, la formation du nouveau Gouvernement semblait plus ou moins proche. Pour l’opinion publique, il suffisait que le RNI dise son choix et Benkirane préparerait sa liste à soumettre au Roi dès son retour de la grande tournée africaine (selon l’article 47 de la Constitution, c’est le Roi qui, sur proposition du Chef du Gouvernement, nomme les membres du gouvernement). Or, ce n’est pas au nom d’un RNI ayant 37 sièges seulement que Akhannouch s’est présenté à Benkirane, mais au nom d’une alliance parlementaire RNI-Union Constitutionnelle, forte de 54 sièges (37 du RNI + 17 de l’UC). Une alliance qui devenait la 3ème force sur l’échiquier politique, passant devant l’Istiqlal et ses 46 sièges et, donc, pouvant poser ses conditions.
Selon A. Benkirane -qui l’a déclaré publiquement- parmi ces conditions, un point de discorde essentiel: le RNI ne veut pas de son rival, l’Istiqlalien Chabat, au sein du Gouvernement ; alors que Benkirane dit avoir donné sa parole à Chabat pour l’y faire rentrer. Depuis lors, le blocage est installé.
A la recherche d’une issue à la crise
Depuis le constat de blocage, les avis sur les possibles voies de sortie de crise ont foisonné. Tout y est passé. Constituer une majorité avec tous les partis sauf le PAM et le PSU… Mais le RNI ne le veut pas. Ou laisser le RNI dans l’opposition et constituer un Gouvernement avec les partis de la Koutla (PPS, Istiqlal, USFP)… Mais l’USFP ne le veut plus. Ou bien, changer de chef de Gouvernement… Mais si le Roi, dans son discours du 6 novembre prononcé à Dakar, s’est dit contre le partage des portefeuilles ministériels comme d’un «butin électoral», il n’a pas pour autant émis l’hypothèse de démettre Benkirane de ses fonctions. Or, le Souverain est seul à pouvoir le faire. Ou encore, confier la formation du Gouvernement à une personnalité d’un autre parti… Mais l’article 47 de la Constitution énonce clairement que cette mission revient au parti arrivé en tête aux élections. De plus, SM Mohammed VI a montré sa ferme volonté de respecter la «méthodologie démocratique» (Al Manhajia addimocratia). Ou enfin, refaire les élections… Mais outre le fait que la solution serait trop couteuse, elle ne changerait pas grand-chose à la situation si les électeurs refaisaient les mêmes choix.
En définitive, seul un arbitrage royal pourrait mettre fin au blocage, obligeant les uns et les autres à des concessions.
Où est le problème ?
Le problème est dans le fait que, pour les PJDistes, leur parti est sorti gagnant des urnes, il a donc la légitimité pour constituer la majorité de son choix et nul autre parti ne peut lui imposer de conditions. Tous les PJDistes, ainsi que ceux qui les soutiennent, le disent et le répètent, allant jusqu’à émettre la thèse d’un putsch contre la volonté populaire.
Tandis que pour les autres partis –et notamment le RNI- même lorsqu’un parti arrive 1er, s’il n’a pas la majorité absolue, les alliés qu’il sollicite sont en droit de lui rendre la tâche la plus difficile possible, afin d’obtenir que les conditions qu’ils posent soient satisfaites. Ils en veulent pour exemple le plus récent celui du partido Popular d’Espagne qui, sorti 1er des urnes, a dû en passer par 2 consultations électorales et près d’un an d’attente avant de pouvoir gouverner.
Il n’est question ni de complot, ni de règlement de comptes, mais d’une simple et normale compétition politique.
Akhannouch et la compétition politique
Les tenants de la thèse du complot contre le PJD tournent toute leur colère contre Aziz Akhannouch. Pour eux, c’est le nouvel homme fort et donc la nouvelle cible.
Ils le disent parachuté, sans expérience politique et sans légitimité populaire.
Pour son parti et ses amis, le ministre de l’agriculture est aussi, indéniablement, un homme politique. Non pas qu’il ait été parachuté, mais il a depuis longtemps démontré qu’il avait bien une légitimité populaire… Sans parler de son expérience politique…
Aziz Akhannouch, rappellent-ils, a été élu en 2003 Président de sa région natale Souss-Massa-Drâa où, en tant qu’Amazigh (berbère du Sud du Maroc), il jouit d’une forte popularité. Son parcours politique est sans faute. Il a une excellente réputation. Jamais de politique spectacle. Jamais d’insultes échangées avec d’éventuels challengers politiques. De plus, homme d’affaires qui a formidablement réussi (Selon le magazine Forbes, il pèse 1,25 milliard de dollars, ce qui en fait la deuxième fortune du Maroc après Othman Benjelloun), il inspire confiance.
Il a porté les couleurs de deux partis politiques. D’abord, le Mouvement Populaire (parti des berbères, par excellence). Puis, le RNI, quand il a été sollicité pour rejoindre ce parti. Mais il n’y était pas particulièrement exposé.
A la différence d’aujourd’hui où, en qualité de chef de file de la formation et dans ce contexte particulier, il sera désormais aux avant-postes. La vraie compétition politique commence pour lui.
Ne pas brûler la carte Akhannouch…
La compétition sera rude. L’expérience du PAM braque encore l’opinion publique. Le RNI nourrit, depuis longtemps, de grandes ambitions. Fin 2011, le RNI avait déjà pris l’initiative du G8 (son alliance avec 7 autres partis) en prévision des élections. Mais nul n’évoque cela. Ce qui est évoqué, c’est la proximité d’Akhannouch avec le Palais. Tout ce qu’il fera sera jugé (notamment par ses détracteurs, mais pas seulement…) à cette aune. Aussi, lui faudra-t-il beaucoup d’efforts et de patience afin de donner une autre envergure au RNI.
Akhannouch a, selon ses premiers pas en tant que Président du RNI, bien compris la voie à suivre.
Dans les tournées régionales qu’il a d’ores et déjà entamées (Tanger, Laâyoune), lorsqu’il appelle les siens à «une action de proximité», à «être constamment en contact avec les citoyens pour s’enquérir de leurs attentes et de leurs préoccupations», à ce que «les locaux du RNI soient des espaces dynamiques en vue de renforcer la communication avec les citoyens, écouter leurs attentes et faire connaître les principes et les fondements du parti»… C’est qu’il a saisi l’essentiel de ce qui fait le succès d’une compétition politique: séduire, convaincre et servir le peuple. Il veut aussi restructurer le parti, y installer la démocratie. Il commence bien. Il commence tôt. S’il n’est pas «court-termiste» dans son action, s’il a du souffle et de la détermination, le RNI pourra réaliser l’ambition qu’on lui prête: devenir un jour le 1er parti du pays (pourquoi pas dès 2021)… Mais il ne faudra pas brûler la carte Akhannouch avec des initiatives destinées à lui faire prendre des raccourcis, mais qui réduiront à néant ses efforts de proximité avec le peuple… Il devra rester l’homme du terrain et son parti travailler sans relâche et avec sérieux, comme si de nouvelles élections avaient lieu demain (la thèse de la «permanent campaign»… Afin que le mérite de ce que le RNI fera revienne au RNI.
Le RNI rempilera sûrement au prochain Gouvernement, parce que nombre de ses ministres ont des chantiers à finir. Mais si, d’aventure, il se retrouvait dans l’opposition, le travail de terrain ne devra qu’en être plus acharné.
BA