Le Secrétaire général du parti de l’Istiqlal, Hamid Chabat, vient de se tirer une double balle dans le pied.
Lors d’un meeting devant ses militants, samedi 24 décembre 2016, Hamid Chabat a déclaré que la Mauritanie était «une terre marocaine» et que les frontières du Maroc s’étendaient «de Sebta au fleuve Sénégal».
Propos qui ont déclenché une polémique immédiate et une vive réaction en Mauritanie.
Ainsi, le parti mauritanien au pouvoir -l’Union pour la république (UPR)-, a aussitôt dénoncé les déclarations de Chabat, les qualifiant d’«atteinte à la souveraineté et à l’indépendance de la Mauritanie». Ajoutant: «ce qui n’est pas la meilleure façon de traiter les dossiers épineux et ne mènera pas à la résolution du conflit au Sahara occidental».
Cela fait quelques temps que la Mauritanie n’est plus considérée comme un pays apportant un soutien inconditionnel au Maroc dans l’affaire du Sahara. Mais, d’une part, tant qu’il n’y a pas d’inimitié franchement déclarée entre les deux pays, le Maroc ne voit pas l’utilité d’envenimer les relations… D’autre part, ce n’est certainement pas à Hamid Chabat de décider de la diplomatie du Maroc, domaine relevant constitutionnellement des compétences du Roi.
D’où un sévère recadrage de Chabat par le ministère marocain des Affaires étrangères et de la coopération (MAEC), dans un communiqué daté du lundi 26 décembre. Dans ce communiqué, le MAEC affirme qu’il «a suivi, avec préoccupation, la polémique suscitée par les déclarations dangereuses et irresponsables du Secrétaire Général du Parti de l’Istiqlal au sujet des frontières et de l’intégrité territoriale de la République Islamique de Mauritanie».
Le MAEC «rejette vigoureusement ces déclarations qui portent atteinte aux relations avec un pays voisin frère et démontrent une méconnaissance profonde des orientations de la diplomatie marocaine, tracées par SM le Roi et qui prônent le bon voisinage, la solidarité et la coopération avec la Mauritanie sœur». Il ajoute: «Le Maroc déclare officiellement son respect total des frontières connues et reconnues, par le droit international, de la République Islamique de Mauritanie et son intégrité territoriale. Il est confiant que la République Islamique de Mauritanie, son Président, son Gouvernement et son peuple, ne donneront aucune importance à ce type de déclarations qui ne nuisent qu’à la crédibilité de la personne qui les a faites».
Le MAEC poursuit: le Royaume «est animé d’une volonté sincère de développer ses relations avec la Mauritanie et de les hisser au niveau d’un partenariat stratégique, fondé sur les liens historiques forts entre les deux peuples frères, la confiance et le respect mutuels et tenant compte des opportunités énormes qui s’offrent aux deux pays et des défis auxquels ils font face». Il conclut enfin, tranchant: «Malheureusement, par ce genre de déclarations, qui manquent manifestement de retenue et de maturité, le Secrétaire Général du Parti de l’Istiqlal verse dans la même logique des ennemis de l’intégrité territoriale du Royaume et qui combattent son retour légitime à sa famille institutionnelle africaine».
Voyant la tournure qu’ont prise les choses, le parti de l’Istiqlal a tenté de tempérer en expliquant, dans un communiqué du lundi 26 décembre, que les propos de Chabat ont été sortis de leur contexte, que ce dont il a parlé relève de l’Histoire et que, depuis, le parti assure «avoir respecté le choix d’indépendance du peuple mauritanien et l’avoir accepté sans hésitation».
Mais l’affaire n’en est pas restée là. Le Roi Mohammed VI a eu, le 27 décembre, un entretien téléphonique avec le Président mauritanien, Mohammed Ould Abdelaziz. Précisions données par un communiqué du Cabinet Royal: «Au cours de cet entretien, Sa Majesté le Roi a réitéré à S.E M. le Président son soutien et son amitié indéfectibles, ainsi que son attachement à la relation de bon voisinage et de solidarité entre les deux pays, fondée sur les liens séculaires et familiaux qui ont toujours existé entre les deux peuples. Sa Majesté le Roi a tenu également à rassurer S.E M. le Président que le Maroc reconnait l’intégrité territoriale de la République Islamique de Mauritanie, conformément au Droit international. Les deux chefs d’Etat ont également exprimé leur détermination à préserver cette relation contre toute tentative d’y porter atteinte, quelle que soit son origine et ses motivations. A cet égard, le Souverain a décidé de dépêcher auprès du Président mauritanien, M. le Chef du Gouvernement Abdelilah Benkirane et le Ministre Délégué auprès du Ministre des Affaires Etrangères et de la Coopération M. Nasser Bourita. Sa Majesté le Roi a demandé au chef du Gouvernement de dissiper tout malentendu qui pourrait avoir un impact négatif sur les excellentes relations qui existent entre le Maroc et la Mauritanie».
Hamid Chabat a ainsi signé une double bourde. D’abord, il a déclenché une tempête diplomatique avec la Mauritanie, à laquelle ont remédié, de justesse, les plus hautes autorités du Maroc et a subi un désavoeu général. Mais pour lui, il y a pire. Car, dans le même temps, il s’est ôté toute possibilité de faire partie du nouveau Gouvernement… Alors qu’il était la principale cause du blocage ! En effet, le chef de Gouvernement, Abdelilah Benkirane, refusait de former une nouvelle majorité sans Chabat et son parti, pour cause de parole donnée à Chabat. Voilà donc Benkirane délivré de cette «parole donnée à Chabat».
Et, en guise de coup de grâce, Chabat reçoit un désavoeu du précédent Secrétaire général du Parti de l’Istiqlal, Abbas El Fassi, qui a fait une mise au point, à propos de ce même discours, mais au sujet des circonstances de la formation du gouvernement de 2012. Abbas El Fassi a dénoncé les déclarations faites par Chabat, comme étant «fausses et infondées», indiquant: «S’agissant du gouvernement formé par M. Abdelillah Benkirane en 2012, j’ai mené les discussions, au côté de deux membres du comité exécutif après la décision unanime du Conseil national du Parti pour la participation au gouvernement de M. Abdelilah Benkirane. Je tiens à confirmer que pour les quatre gouvernements auxquels le Parti de l’Istiqlal a participé ou avait conduit, toutes les parties étaient soucieuses de respecter la constitution dans son texte et son esprit».
Il apparaît clairement que Chabat paiera le prix fort de tout cela au prochain congrès du parti.
KB