Hakima, 68 ans, est une veuve mère de 5 enfants. Cette femme, non préparée aux difficultés de sa situation actuelle, nous raconte son désarroi et ce qu’elle endure avec ses adultes d’enfants depuis son veuvage. Voici son récit.
«Il est important que je vous explique ma situation. Avant mon veuvage, j’avais longtemps vécu dans une bulle dorée. Par la faute de mon époux, qui s’occupait de tout, je me suis retrouvée sans arme pour affronter la nouvelle tournure de mon destin. Etre obligée de partager tous nos biens avec mes enfants avait été une épreuve difficilement concevable. Peu importe, je ne vais pas me mettre à parler du passé. Il est par ailleurs hors de question de salir la mémoire de mon cher et regretté mari. Il ne le mérite pas, d’autant plus que ce n’est pas le sujet que je souhaite aborder. Donc, pour faire court, j’avais accepté de vendre son seul bien, notre belle et grande villa. J’avais veillé à ce que personne ne soit lésé dans le partage de tout notre mobilier. De toutes les façons, personne ne m’avait obligé à diviser dans les règles de la loi des tables et des couteaux. Enfin, cela s’était bien passé. Et c’est ainsi que je me suis retrouvée à vivre toute seule dans un petit appartement.
Courageusement, j’essayais de m’adapter à ma nouvelle vie. Je me sentais seule et pleurais souvent l’absence de ma moitié. Il ne faut pas croire qu’ils ne venaient pas me rendre visite de temps à autre mes enfants et mes petits-enfants. Il y a seulement que ma tristesse était très éprouvante. Lui interdire d’être néfaste à ma santé avait été impossible. Résultat, pendant des mois, je fus contrainte d’aller consulter des médecins et de faire des analyses pour stabiliser mon fragile état. Avec tous les traitements et le régime imposés, je n’arrivais même plus à m’offrir de manière régulière les services de ma femme de ménage. J’espère vraiment que vous pouvez comprendre que je n’avais jamais été préparée à vivre avec une petite pension de veuve. Les seuls moments pendant lesquels je me déconnectais de ma nouvelle réalité étaient ceux où je m’asseyais face à ma télé pour regarder les épisodes de mes séries préférées. Sans oublier les longues heures accordées à mes rituels de prière et de lecture du Livre Saint. C’est ce qui me délivrait momentanément du souci de mon devenir et m’offrait une miraculeuse sensation de sérénité.
La douleur de la séparation et ce nouveau cadre de vie m’obligeaient à refuser de continuer de voir les quelques amies que j’avais. Je ne le supportais pas. Mais, malgré cela et contre mon gré, elles venaient quand même me rendre visite. Elles m’appelaient presque tous les jours au téléphone, comme elles le faisaient d’habitude. Elles ne m’ont jamais abandonnée à mon triste sort. Par la force, elles venaient me chercher pour m’emmener partager un café, un couscous, ou la fête d’un évènement. C’est grâce à ces réunions avec d’autres femmes dans la même condition que moi ou non que j’avais repris goût à la vie, tout en apprenant à ré apprivoiser la paix dans mon âme. Leur aide désintéressée m’avait été si utile. Mais à peine avais-je eu le temps de me sentir beaucoup moins vulnérable qu’une explosion de problèmes dans les foyers de mes enfants s’était déclarée. Quel cataclysme pour le cœur d’une mère!
En plein confinement du Coronavirus voilà que les couples formés par trois de mes enfants battaient de l’aile. Chacun leur tour, ils m’appelaient pour m’exposer leurs déboires. A ces appels au secours, et vu la situation, je ne pouvais que les écouter les uns et les autres et essayer de minimiser les faits pour éviter le pire des scénarios. D’un côté il y avait ma fille qui ne supportait plus la présence permanente de son époux. Elle lui reprochait beaucoup de ses travers et en particulier sa consommation excessive de boissons alcoolisées et de ne jamais l’aider dans la scolarité des enfants, eux aussi à la maison. Que faire à mon niveau pour ramener à la raison quelqu’un qui apparemment dépassait les limites? Je me désolais du fait que ma pauvre fille n’avait plus de père pour parler à son mari comme on dit d’homme à homme. Aussi, je ne voulais surtout pas que ses frères apprennent quoique ce soit pour éviter l’irréparable. Le plus dur que j’allais devoir encaisser sans que je puisse réagir, fut qu’elle m’avoue avoir été battue sous les yeux de leurs petits. J’avais supplié ma fille de faire ses valises et de venir avec mes petits-enfants s’installer chez moi. Mais elle n’avait pas voulu m’écouter. Combien cela avait été insupportable pour moi de comprendre qu’elle tenait à son mari!
En même temps, je souffrais aussi le martyr d’entendre deux de mes fils me révéler que cela se passait mal à la maison. L’un d’entre eux, se plaignait de son épouse qui lui en faisait voir de toutes les couleurs parce qu’il ne pouvait plus joindre les deux bouts. A cause du confinement et des mesures de crise sanitaire, il avait été dans l’obligation de fermer son business. Il vivait les pires moments de son existence à jongler avec les impayés sans le soutien de sa moitié qui le menaçait sans cesse de divorcer. Si je pouvais, je lui aurais arraché la langue à cette effrontée de matérialiste. Je vous jure que j’aurais tellement aimé lui conseiller de la quitter, mais par amour pour mes petits-enfants je me l’étais défendu. Et que de souffrances supplémentaires pour moi que de me savoir dans l’incapacité d’aider financièrement mon fils.
A peine je terminais la conversation avec lui, que j’en avais un autre qui m’annonçait au bout du fil comment sa femme l’avait quitté pendant qu’il était en déplacement sur un chantier de travail. Il l’accusait d’avoir préparé en douce son coup après avoir su qu’il la trompait. Elle avait vidé leur compte bancaire commun et leur logement de tout son mobilier. Et, elle lui avait pris tous ses papiers notamment de nombreux bulletins de paie et son contrat de travail, ainsi que deux chèques signés à blanc destinés à payer le loyer et les mensualités de l’école des enfants. Il disait être très inquiet et s’attendre au pire mais espérait pouvoir être en mesure de la calmer afin qu’elle ne demande pas le divorce. Lui, je ne lui avais pas épargné ma colère noire parce que c’était un sombre idiot et que malgré tout cette belle fille qui s’occupait très bien de son foyer et de ses enfants je l’aimais bien. Elle ne méritait vraiment pas qu’il la traite de la sorte.
Il ne se passait pas un jour sans qu’arrivent à mes oreilles, de part et d’autre, des nouvelles dont je me serais bien passée. Et moi non plus, je ne méritais pas de souffrir autant pour mes enfants qui sont majeurs et vaccinés. Je peux vous certifier qu’à ce jour, leurs problèmes conjugaux et financiers ne se sont pas tassés et ils continuent de me rendre chèvre avec les rebondissements de leurs détestables histoires. Regardez les marques de mes cernes! Ces adultes n’en font qu’à leur tête. Tous les conseils que je leur donne sont pris à la légère, et je tremble que quelque autre grave malheur ne les frappe. C’est cela qui m’empêche de fermer l’œil. Quant à mon pauvre cœur, il va finir par me lâcher avec ces permanents assauts d’anxiété. En l’espace de deux ans, toute ma chevelure a blanchi et j’ai pris un sacré coup de vieux. Mon époux que son âme repose en paix, n’aurait jamais laissé faire.
Que dire de plus, sinon que je touche du bois pour mes deux autres enfants, eux ne me causent pas de soucis. Et que ceux qui avaient soutenu facétieusement que j’étais vernie parce qu’à la mort de mon époux, tous mes gosses avaient un job et qu’ils étaient casés se sont trompés lourdement !».
Mariem Bennani