Par immolation, par pendaison ou en ingurgitant un poison, tous les moyens sont bons, aux yeux des Marocains les plus désespérés, pour mettre fin à leurs jours.
Qui a dit que la vie est un long fleuve tranquille? Cette citation, nombreux sont les citoyens lambda qui n’y croient pas. Ils expliquent que, face à certaines circonstances de difficultés extrêmes, il est presque impossible de se contrôler, avant de passer à l’acte et attenter à sa vie de manière volontaire.
Tous les chemins mènent… au suicide
Il ne se passe presque pas de mois sans qu’un suicide ne soit répertorié au Maroc. Pas plus tard que la semaine dernière, un jeune homme s’est immolé à l’entrée d’un commissariat de police à Rabat. Il voulait protester contre l’injustice dont il se disait victime. Il y a 3 mois, à Rabat, un lycéen de 22 ans a tenté, lui aussi, de se suicider par immolation pour protester contre la décision d’expulsion prise à son encontre par la direction du lycée dans lequel il poursuivait ses études en deuxième année du baccalauréat. Le jeune homme a été par la suite évacué d’urgence à un hôpital de la capitale pour y recevoir les soins nécessaires, vu les brûlures de troisième degré dont il souffrait. En avril 2016, un autre cas de suicide par immolation a défrayé la chronique au Royaume. Cette fois, c’était une marchande ambulante, Mi Fatiha, excédée par les abus de pouvoir exercés contre elle par un caïd qui lui avait confisqué sa marchandise. Elle a décidé de mettre fin à ses jours en s’immolant par le feu, devant l’indifférence des témoins qui ont préféré immortaliser ce moment tragique, au lieu de venir en aide à la victime. Admise à l’hôpital dans un état grave, Mi Fatiha a succombé à ses blessures. Ce qui a permis, au moins, l’ouverture d’une enquête et la prise de sanctions contre les agents d’autorité et autres représentants de l’Etat impliqués dans des affaires d’abus de pouvoir.
Selon le psychanalyste Jalil Bennani, l’immolation par le feu est très différente des autres formes de suicide dites classiques. Il explique qu’une personne qui s’immole publiquement souhaite crier sa détresse et son désarroi à l’ensemble de la société et à l’adresse des décideurs. Il note que, la plupart du temps, l’immolation au Maroc est commise devant des administrations publiques, ce qui montre l’ampleur du malaise qui existe entre le citoyen et l’administration. L’immolation est, certes, la manière la plus cruelle et la plus douloureuse de se donner la mort, selon les spécialistes en sociologie. Il n’en reste pas moins qu’elle ne représente qu’un moyen parmi tant d’autres pour quitter ce bas monde de son propre gré.
A chacun son «Truc»
Si d’aucuns voient dans le suicide par immolation l’unique moyen de crier son mal-être en public, d’autres préfèrent des suicides plus «soft» et moins douloureux. C’est le cas, par exemple, des personnes qui se donnent la mort par surdose de médicaments ou à l’aide de poisons. Ces deux formes de suicide concernent surtout les jeunes filles, dans la plupart du temps contraintes à des mariages forcés ou qui traversent des chagrins d’amour, pour elles difficilement surmontables.
Il existe aussi une autre manière de plus en plus prisée par les Marocains en détresse. Il s’agit de se jeter du haut d’un immeuble ou de se défenestrer. A Rabat, les habitants d’un quartier huppé de la capitale ne parlent ces derniers jours que du jeune homme, la trentaine, qui s’est jeté du haut de l’immeuble où il résidait avec ses parents. Ce qui est étrange dans cette affaire et qui devrait pousser le département de la Santé à lancer une étude approfondie autour du suicide au Maroc et de ses raisons, c’est que le jeune homme en question avait réussi à intégrer la Fonction publique et s’apprêtait même à convoler en justes noces en juin prochain.
Les chiffres qui font froid dans le dos
Il n’existe pas de statistiques officielles sur le suicide au Maroc. Les chiffres de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) prouvent néanmoins que les Marocains se suicident de plus en plus dans l’indifférence la plus totale des départements censés prendre à bras le corps ce problème de société. Selon l’OMS, plus de 1.600 cas de suicide ont été répertoriés dans le Royaume en 10 années seulement. Dans son rapport intitulé «Prévention du suicide: l’état d’urgence mondial», l’OMS pointe du doigt internet et les réseaux sociaux accusés de faire passer le suicide pour un acte de courage et de bravoure à imiter, ce qui augmente le risque de comportement suicidaire chez les personnes les plus vulnérables. Il est considéré par les uns comme un acte égoïste et non-réfléchi. D’autres y voient le résultat d’une souffrance insoutenable.
Le débat sur le suicide reste ouvert.
Mohcine Lourhzal