Le Maroc pourrait-il revenir à la même situation critique qu’a connue le secteur de la pêche maritime en 2003 ? Ce qui ressort du dernier rapport scientifique de l’Institut national de la recherche halieutique (INRH), présenté mardi 24 mai à Rabat lors de la réunion du Comité de suivi des pêcheries de poulpe, est en tout cas très inquiétant.
Selon l’Institut, les captures de céphalopodes sont en baisse de 60%. Dans les milieux de la profession, on accuse une mafia du poulpe dont les moyens dépasseraient de loin ceux de l’administration.
La campagne estivale de pêche au poulpe, qui devait démarrer mercredi 1er juin, a été reportée au 30 juin 2022. Cette mesure s’applique tout au long du littoral national. Elle a été prise par le Comité de suivi des pêcheries de poulpe, après que l’Institut national de la recherche halieutique (INRH) a tiré la sonnette d’alarme en livrant, mardi 24 mai, son dernier rapport scientifique. Certains professionnels ont avancé début de cette semaine que la période fixée pour la reprise de cette campagne de pêche pourrait toutefois subir des changements et pourrait être reportée à l’hiver prochain pour prendre en considération l’évolution des indicateurs biologiques des pêcheries des céphalopodes.
L’administration n’a d’autre choix que de baisser les quotas, soulignent des sources professionnelles. Celles-ci déclarent à Le Reporter que le Maroc pourrait revenir à la même situation critique qu’a connue le secteur de la pêche maritime en 2003. D’ailleurs, disent-elles, ce qui ressort du dernier rapport de l’Institut national de la recherche halieutique (INRH) est certainement une mauvaise nouvelle, à la fois en termes de lutte contre la pêche illégale et de diminution des céphalopodes dans la zone sud du pays.
Selon ce rapport, les captures de céphalopodes, filière exclusivement dépendante de la demande des marchés asiatiques et européens, sont en baisse drastique, précisent les mêmes sources. Dans ce rapport, présenté mardi 24 mai à Rabat lors de la réunion dudit comité, l’INRH annonce en effet que la part des céphalopodes pêchés au large des côtes marocaine a chuté de 60%. «A ce rythme, le poulpe pourrait disparaître de nos eaux», commente un professionnel ayant a assisté à la réunion.
Cette annonce a provoqué une vague d’inquiétudes et d’appels demandant au gouvernement d’intervenir pour protéger les ressources halieutiques et trouver des solutions à la pêche illégale pendant le repos biologique. «Le dernier rapport de l’INRH confirme que le phénomène de la contrebande existe toujours. Et il continuera d’exister, si on ne prend pas les mesures nécessaires pour le combattre», déplorent des professionnels, qui préconisent un plan de bataille, de nature à renforcer le contrôle de l’activité et à contrecarrer les opérations liées à la pêche illicite sur tout le littoral.
Devant la chute drastique des céphalopodes (60%), une commission restreinte, composée de professionnels et de responsables au ministère de la pêche- a été créée – lors de la réunion du comité de suivi des pêcheries de poulpe – avec pour objectif de trouver des solutions efficaces afin de remédier au problème de la pêche illégale, font savoir nos sources, ajoutant qu’il est, toutefois, difficile de traduire en chiffres les pertes enregistrées par cette pêche intensive.
Cette commission, qui s’est réunie mercredi 25 mai, a appelé le chef de gouvernement, Aziz Akhannouch à intervenir rapidement pour lutter contre la pêche pendant le repos biologique. «A l’issue de cette réunion, il a été décidé d’écrire au chef de gouvernement, au ministre de l’Intérieur et à la gendarmerie royale pour leur faire part de nos inquiétudes. On lui a demandé de tout mettre en œuvre afin de limiter les conséquences graves de la pêche illicite sur les stocks du poisson», souligne une source au sein de cette commission, ajoutant que les lettres -signées par le ministre Mohamed Sadiqi- ont été adressées jeudi 26 mai aux départements concernés.
Alors que le phénomène du trafic de poulpe ayant pris de l’ampleur est au cœur de nouvelles tensions au sein de la profession, les professionnels disent attendre la réaction de l’Exécutif. «Le gouvernement doit intervenir d’une manière ou d’une autre», estiment plusieurs professionnels à Dakhla que nous avons approchés cette semaine. L’exécutif ne peut se permettre de laisser la filière de la pêche au poulpe courir à sa perte, insistent ces mêmes voix, qui en appellent au chef du gouvernement pour convoquer une réunion d’urgence de tous les partenaires concernés par le contrôle. A l’heure où nous mettions en ligne, aucune réaction aux lettres n’a encore été annoncée par le département de la primature, apprend-on de sources proches du dossier.
Anarchie et exploitation sauvage !
A la Confédération nationale de la pêche côtière (CNPC), on déplore aussi la pêche illégale. «Nous sommes confrontés à un problème de déclin des ressources. La responsabilité incombe à tout le monde. Le gouvernement doit absolument intervenir pour préserver les ressources halieutiques. Il est grand temps de faire cesser l’anarchie et l’exploitation sauvage et illégale de ces richesses nationales», insiste Mohamed Allalou, SG de la CNPC.
Pour ce dernier, des solutions doivent être trouvées très vite à ce phénomène qui, selon lui, a pris de l’ampleur. «On ne peut pas rester l’arme au pied. Oui ou non, va-t-on laisser cette mafia du poulpe continuer de s’adonner à ce trafic illégal au vu et au su de tous», dit-il. Ce professionnel de la pêche côtière s’est inquiété aussi de ce que, selon lui, le gouvernement «ne renforce manifestement pas les équipes de contrôle opérant au niveau des délégations régionales». Car, selon lui, le personnel dédié au contrôle au niveau de l’administration ne peut pas faire face à ces réseaux mafieux dont les tentacules sont de plus en plus longs dans le secteur de la pêche.
«Si nous voulons éviter de revenir à la situation qu’a connue la filière de la pêche au poulpe, il y a prés de vingt ans, il est indispensable d’agir», affirme-t-il. «Ce que nous demandons, c’est un contrôle rigoureux, et surtout une intervention urgente de toute les autorités concernées. Car plus cette mafia s’implique dans la pêche illégale de poulpe, plus il est difficile de mettre un terme à ce problème», a soutenu le SG de la Confédération. Il souligne, à l’occasion, qu’«il existe un nombre très important d’embarcations, non immatriculées, ne disposant ni d’un congé de police ni d’une plaque d’immatriculation, qui s’adonnent de manière clandestine à leur activité pendant le repos biologique».
Qu’ils viennent des professionnels de la pêche ou de l’administration, les appels sont unanimes pour demander au gouvernement de réagir face à la baisse importante des réserves des céphalopodes. «Cette mafia du poulpe capturé en période de repos biologique dispose d’un matériel sophistiqué de pêche sous-marine ainsi que plusieurs moteurs et gonfleurs. Elle dispose de complicités au sein de l’administration pour l’achat sur le marché noir de grandes quantités de poulpes, péchées durant les périodes du repos biologique», croient savoir des professionnels de la pêche à Dakhla.
Reste à savoir ce que peut faire le gouvernement pour combattre ces réseaux. L’Etat doit tenter quelque chose, mais tout ne se fait pas en peu de temps, lance un professionnel de la pêche côtière à Dakhla. Il faut remettre au cœur des priorités de l’Exécutif la préservation des ressources halieutiques, a-t-il poursuivi en prévenant que cela ne voulait «pas dire que le ministère de tutelle pourrait combattre, lui seul, cette mafia du poulpe dont les moyens et les méthodes dépassent de loin ceux de l’administration».
Que fait-on de ce poulpe capturé pendant l’arrêt d’activité ? «Ce poulpe est transporté à destination de certains ports du nord pour y être écoulé ou stocké dans des unités frigorifiques. Des opérateurs clandestins arrivent à se procurer de fausses factures des hall aux poissons relevant de l’Office d’exploitation des Ports à travers lesquels ils obtiennent des certificats vétérinaires de conformité nécessaires à l’exportation du poulpe vers l’étranger», expliquent des sources proches du dossier. Et de poursuivre: «Les unités de congélation, qui achètent le poulpe capturé durant l’arrêt d’activité, sont maintenant pleines de poisson. On doit normalement procéder à un contrôle plus sévère de ces unités pendant la période de repos biologique». Ils avancent que ces unités se préparent, actuellement, à avoir les documents nécessaires pour blanchir leur poulpe pêché pendant l’arrêt biologique. Dans les milieux de la pêche à Dakhla, on affirme que cette mafia du poulpe s’accapare près de 80% du quota annuel de poulpe destiné à la pêche artisanale, dans certaines provinces du sud, soit plus de 20% du quota global. Un dossier à suivre.
N. Cherii