L’Indemnité pour Perte d’Emploi (IPE) est entrée en vigueur au Maroc en décembre 2014.
Dans le cadre de cette opération, la Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNSS) assure, sous conditions, au salarié qui perd de manière involontaire son emploi, un revenu minimum et ce, pendant 6 mois.
Peut-on dire aujourd’hui que l’IPE a atteint ses objectifs?
Le moment est-il venu de réviser certains critères d’éligibilité pour bénéficier de cette indemnité?
Les réponses de Reda Benamar.
Comment et pourquoi a été mise en place l’IPE au Maroc ?
L’indemnité pour Perte d’Emploi (IPE) est une prestation récente. Elle a été introduite pour permettre aux salariés du secteur privé, couverts par la Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNSS) et qui se trouvent dans une situation de perte d’emploi involontaire, d’être indemnisés pendant une période déterminée, en attendant qu’ils trouvent un nouvel emploi.
Avant de lancer l’IPE, il a fallu réaliser des études de faisabilité et des projections financières pour permettre le lancement de cette opération dans les meilleures conditions. Concrètement, l’IPE permet à un assuré de la CNSS d’être indemnisé pendant 6 mois au maximum. Cette indemnité correspond à 70% d’un salaire de référence qui est la moyenne des salaires perçus par l’assuré pendant les 36 derniers mois de son activité. Ce salaire de référence est plafonné à 6.000 dirhams.
En accompagnement de cette indemnité (IPE), le salarié, qui a perdu involontairement son emploi, a droit à son allocation familiale qu’il perçoit régulièrement. Il a droit aussi à l’Assurance Maladie Obligatoire (AMO). Et ce n’est pas tout. Le nombre de jours indemnisés dans le cadre de l’IPE est intégré pour la constitution du droit à la retraite. Il s’agit donc d’un package mis en place au profit des assurés de la CNSS. Il est néanmoins important de signaler que, pour percevoir l’Indemnité pour Perte d’Emploi, le salarié couvert par la CNSS doit obligatoirement être inscrit à l’ANAPEC.
Pourquoi l’ANAPEC ?
L’inscription à l’ANAPEC est automatiquement faite dès que le salarié en situation de perte d’emploi involontaire formule sa demande pour bénéficier de l’Indemnité pour Perte d’Emploi. Cette inscription lui permet de jouir d’un accompagnement personnalisé pour l’aider à réintégrer le marché de l’emploi dans des conditions optimales.
Je tiens à souligner que les assurés de la CNSS, qui ont démissionné de leur poste ou dont les contrats de travail sont arrivés à terme (CDD), ne sont pas concernés par l’IPE. Celle-ci est versée, à titre de rappel, aux salariés du secteur privé couverts par la CNSS qui se retrouvent, du jour au lendemain, dans une situation de perte d’emploi involontaire, due par exemple à la faillite de l’entreprise.
Avec l’introduction de l’IPE, le Maroc s’est conformé à la convention 102 de l’Organisation Internationale du Travail (OIT). Cette convention énumère les prestations minimales qu’un régime de sécurité sociale doit servir à ses adhérents.
L’entrée en vigueur de l’IPE a-t-elle été précédée par une réorganisation administrative au niveau de la CNSS?
En effet, l’entrée en vigueur de l’IPE, en tant que nouvelle prestation, a été précédée par une réorganisation administrative en mettant en place des procédures simplifiées et en adaptant les systèmes d’information de la CNSS pour une prise en charge immédiate des demandes IPE.
Nous avons également lancé des campagnes de communication à travers les mass-médias pour informer les assurés de cette nouvelle mesure qu’est l’IPE.
Cependant, l’indemnité pour Perte d’Emploi (IPE) est entrée en vigueur le 1er décembre 2014. Or, deux ans après son lancement, le démarrage semble encore lent. Moins de 18.000 bénéficiaires, alors que 30.000 étaient prévus par an. Et seulement un peu plus de 200 millions de DH alloués, sur un fonds d’amorçage doté de 500 millions de DH. Comment expliquer ce bilan?
En 2015, nous avons reçu 21.031 demandes IPE, tandis qu’en 2016, ce nombre s’est élevé à 24.577, soit une progression de 16,86%. Sur ces 24.577 demandes, 10.028 ont été servies contre 8.590 en 2015. Ce qui constitue une évolution remarquable.
Quelles sont les principales causes de rejet des dossiers? Sachant que sur les quelque 50.000 dossiers de demande d’indemnisation qui auraient été déposés à la CNSS, plus de la moitié auraient été rejetés…
Comme toute prestation gérée par le CNSS, il faut remplir certains critères et répondre à des conditions d’éligibilité. Par exemple, pour avoir accès à l’allocation familiale, il faut 108 jours continus ou discontinus de cotisation pendant une période de 6 mois civils d’immatriculation. Pour avoir droit à l’indemnité journalière maladie, il faut justifier 54 jours de cotisation pendant les 6 mois qui précèdent l’interruption du travail. Pour la pension retraite, il faut avoir un minimum de 3.240 jours de cotisations. Chaque prestation obéit à des critères bien définis.
En ce qui concerne l’Indemnité pour Perte d’Emploi (IPE), il y a ce qu’on appelle des conditions de stage. L’assuré doit, en effet, avoir cumulé 780 jours de cotisation au cours des 36 derniers mois précédant sa perte involontaire d’emploi, dont 260 jours au cours des 12 derniers mois. Ces conditions ont été mises en place pour justifier le lien de travail entre l’assuré et son employeur.
Ces conditions de stage ont été mises en place par la CNSS, après avoir fait un Benchmark avec ce qui se passe dans d’autres pays. En Tunisie, par exemple, les conditions pour bénéficier de l’IPE sont extrêmement rigides. Chez les Tunisiens, l’assuré doit avoir travaillé 36 mois chez le même employeur pour pouvoir bénéficier de l’IPE, ce qui est beaucoup plus contraignant. En Turquie, il faut avoir cotisé pendant 600 jours au cours des 36 derniers mois précédant la perte d’emploi. En Algérie, l’assuré doit cotiser pendant une durée de 36 mois. Dans chaque pays, le régime de sécurité sociale a considéré ses propres conditions en fonction de la réalité locale.
Au Maroc, ces conditions ne sont pas toujours respectées par les demandeurs de l’IPE.
D’où, les rejets ?
En 2016, 12.000 dossiers ont en effet été rejetés. Pour une grande partie, ces rejets sont dus à des dossiers incomplets. Les assurés ne se sont pas tous habitués à l’IPE et aux formalités qui donnent droit à cette prestation, même si la procédure mise en place par la CNSS a été simplifiée au maximum.
Parmi les principales raisons qui donnent lieu à des rejets de dossiers IPE, on peut citer, aussi, les déclarations inférieures au minimum requis. En 2016, ce sont 2.600 dossiers qui ont été rejetés à cause de cette question de nombre de jours déclarés inférieurs à 780 jours. Vient ensuite la condition du délai de dépôt. Plusieurs demandes d’IPE sont déposées hors délai, fixé à 60 jours à compter de la date de cessation d’activité.
Quels sont, selon-vous, les critères à réviser en priorité et sur lesquels les partenaires sociaux pourraient s’accorder?
Les critères permettant aux assurés de la CNSS de bénéficier de l’Indemnité pour Perte d’Emploi (IPE) ne sont pas figés dans le temps. Ils peuvent très bien évoluer en fonction des ressources et des dépenses. Tout est question d’équilibrage.
Pour bénéficier de l’IPE, le salarié assuré à la CNSS doit remplir un formulaire qui contient une partie réservée à l’employeur. Que faites-vous en cas de litige entre le salarié et son patron qui refuse d’attester que son employé est en situation de perte d’emploi involontaire?
Quand l’employeur ne renseigne pas la partie qui lui est réservée dans le formulaire relatif à la demande d’IPE, l’arbitrage peut s’effectuer à travers le recours au PV de l’inspection du travail.
Quelles perspectives pour l’IPE? Quand pourra-t-on voir plus clair dans les correctifs qui pourraient être apportés au système?
Il est prévu de faire un bilan d’étape de l’IPE avec les parties prenantes à cette opération. Ce bilan permettra d’avoir une vue d’ensemble sur cette nouvelle prestation. Cela va nous permettre de voir quels sont les points à améliorer dans le cadre de l’IPE.
Le montant mensuel de l’IPE est égal à 70% du salaire de référence (salaire mensuel moyen déclaré des 36 derniers mois), mais ne dépasse pas le SMIG. Ne pensez-vous pas que ce montant est faible? Là aussi, quelle solution?
Cette question de montant est à inclure dans le bilan à venir de l’IPE. Le montant de cette indemnité, tel qu’il a été défini, correspond en effet à 70% du salaire de référence déclaré des 36 derniers mois précédant la perte d’emploi involontaire, mais ne dépassant pas le SMIG. Pour la majorité des assurés, ce calcul n’est pas pénalisant, puisque 73% des assurés ne sont pas concernés par ce plafonnement. Ceci dit, rien n’est figé. Il est tout à fait possible de revoir ce montant si la conjoncture et les moyens le permettent. Le plus important, c’est de commencer, l’évolution vient après.
Entretien réalisé par: Mohcine Lourhzal