Jeudi 19 janvier 2023, le Parlement européen a voté une résolutionconsacrée au Maroc.
Avec 356 voix «Pour» sur les 430 eurodéputés présents (le Parlement en compte 705), 32 voix contre et 42 abstentions, cette résolutionportée par une trentaine d’eurodéputés des groupes «Renew Europe» et «Les Verts/ALE», pointe une «détérioration de la liberté de la presse» au Maroc et appelle l’Union européenne à «peser de tout son poids pour obtenir des améliorations concrètes de la situation des droits de l’homme» dans le Royaume.
Pourquoi une telle résolution et quelles en seront les effets et conséquences ?
C’est l’objet de notre dossier de cette semaine.
En constatant la mobilisation et la médiatisation qui ont précédé le vote de cette résolution et en prenant connaissance du texte voté, la 1ère réaction est celle de la consternation.
L’on se demande d’abord qu’est-ce qui a fait que, tout à coup, le Parlement européen a décidé de recourir à ce tir groupé contre le Maroc, alors que les cas soulevés remontent à quelques années en arrière ? Aussi bien les cas des journalistes cités nommément, que ceux du Hirak du Rif… Ou encore l’affaire Pegasus -également évoquée dans la résolution- dont les médias français publics et privés avaient fait leurs choux gras il y a un an et demi (juillet 2021) et dont ce même Parlement européen a déjà traité en novembre dernier…
Qu’est-ce qui explique ce haro sur le Maroc ?
Les eurodéputés n’en disent rien, sauf à se féliciter qu’enfin ils ont réussi à mettre fin à un supposé traitement de faveur réservé au Royaume. Pas moins de 112 questions avaient porté sur le Maroc depuis le début de l’actuel mandat (2019) ! C’est dire les tentatives d’en arriver là…
Du côté du Maroc, le choc censé tétaniser le pays a, au contraire, déclenché une levée de boucliers générale. Toutes les composantes d’un front intérieur uni –en plus des soutiens extérieurs- ont exprimé leur indignation et le rejet catégorique des critiques et accusations que contient la résolution.
Indignation, dans tous les communiqués et prises de parole publiques, qu’il s’agisse d’institutions de l’État (le Parlement, ses deux Chambres réunies et le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire), ou d’organismes, corporations et autre ONG, face à cette résolution du Parlement européen, qualifiée de «dérive» et condamnée dans les termes les plus vifs.
«Une résolution qui dissimule les intérêts de certains pays et parties habitués au chantage et qui sont troublés par la stabilité politique et sociale dont jouit le Maroc», dénonce le RNI (Rassemblement National des Indépendants, parti qui conduit la Majorité), qui ajoute parlant de «méthodes véreuses» que «le pays ne cèdera jamais au marchandage et à la soumission».
Le PAM (Parti Authenticité et Modernité, 2ème parti de la Majorité) se demande comment le Parlement Européen peut-il «se permettre de porter atteinte à la souveraineté d’un pays partenaire en insultant son système judiciaire et en diffamant ses autorités nationales ?», prévenant que «la logique du chantage, de la condescendance et de l’infériorité des pays africains ne fonctionnera pas avec le Maroc». Avant de conclure que le Maroc a changé et que les parties concernées doivent s’adapter à ce changement.
A son tour, l’Istiqlal (3ème parti de la Majorité tripartite actuelle) a catégoriquement rejeté ce qu’il a qualifié de «pratiques provocatrices et de chantage» visant à servir un agenda géostratégique déterminé; et de manœuvres qui ne feront que renforcer la résilience du Maroc, Roi, gouvernement et peuple, pour la défense de ses intérêts vitaux et de son intégrité territoriale, la consolidation de sa souveraineté et le renforcement de ses partenariats.
Du côté de l’Opposition, l’indignation n’est pas moins vivement exprimée. Interpellant sévèrement «les parties derrière cette résolution», les socialistes les ont appelées «à cesser de donner des leçons aux autres et à reconnaître que la manifestation de corruption apparue dans votre système est votre produit et un indicateur de votre corruption morale et institutionnelle, qui doit être traitée de l’intérieur de votre système, mais pas exportée vers les autres avec irrespect et arrogance».
Le Mouvement Populaire, lui, a rappelé que «le véritable partenariat ne peut être fondé sur la tutelle ou l’arrogance, mais plutôt sur le respect et le traitement d’égal à égal, loin de tout chantage, marchandage et vision dégradante», précisant que «le partenariat avec l’Union européenne ne signifie aucunement une tutelle parlementaire sur notre pays».
Tout comme les autres composantes politiques, le PPS (Parti du Progrès et du Socialisme) a condamné et rejeté la résolution du Parlement européen, affirmant que «le Maroc restera ferme et inébranlable face à tous les abus et toutes les manœuvres malveillantes».
Tandis que le PJD (Parti Justice et Développement, à référentiel islamiste) s’est étonné que «le Parlement européen se soit permis de donner des leçons et d’imposer son dictat, avec une logique fondée sur le principe de tutelle, à un État indépendant et un peuple séculaire».
En plus des positions exprimées par les différentes composantes politiques nationales, chacune séparément, le Parlement marocain dans son ensemble (les deux Chambres réunies en séance plénière lundi 23 janvier), a décidé de reconsidérer les relations avec le Parlement européen. Estimant, dans une déclaration finale que «la décision européenne représente indéniablement un outrepassement inadmissible de ses missions et attributions; et une attaque inacceptable contre la souveraineté, la dignité et l’indépendance des institutions judiciaires du Royaume».
Puis, les questions du«pourquoi» ? et du «qui ?»…
Après l’indignation et les condamnations, les interrogations et analyses n’ont pas tardé à porter sur le «pourquoi» de ce «Hallali» inédit contre le Maroc et «qui est derrière…?».
Au regard de l’opinion marocaine, à la question du «pourquoi» il y a certes d’abord des réponses évidentes.
L’acharnement de certaines parties hostiles au Maroc, mobilisées notamment dans le cadre du dossier du Sahara et dont le lobbying n’a plus de secret pour personne…
L’activisme d’autres parties avançant leur défense des droits de l’homme et de la liberté de la presse; et/ou ayant des comptes à régler avec les autorités marocaines.
Autre motif, l’affaire, peu reluisante pour le Parlement européen, d’une présumée corruption à laquelle cèderaient certains eurodéputés (dont quatre ont été placés en détention préventive en Belgique, depuis que cette affaire a éclaté, en décembre dernier, la vice-Présidente du Parlement comprise). Affaire qui, par un curieux tour de passe-passe, a incroyablement vite basculé de Qatargate en Moroccogate, éloignant le déshonneur du Parlement européen pour le rejeter sur le Maroc.
Mais au Maroc, il n’est plus personne qui n’en soit convaincu, les vraies raisons de ce déchaînement contre le Royaume résident ailleurs…
Elles résident dans le fait que, par sa montée en puissance régionale, son soft power continental et la diversification de ses partenariats et relations internationales, il change la donne en créant une dynamique qui conduit à rebattre les cartes des «zones d’influence» dans la région et au-delà… (Mise en échec du fameux concept des «sphères d’influence», développé à la fin du 19ème siècle lors du partage des territoires coloniaux)… Il touche donc à des intérêts capitaux.
Le Maroc prend de l’assurance, géopolitiquement, économiquement (2ème investisseur en Afrique, 1er investisseur en Afrique de l’Ouest)… Il devient un sérieux -et donc gênant- concurrent. Il faut freiner son élan, voire le «casser».
Tous les «rapports secrets» éventés l’ont dévoilé. Que ce soit ceux d’Espagne, quand il y a quelques mois, les relations entre Madrid et Rabat étaient au plus bas et que ces rapports voyaient dans la modernisation de l’armement du Maroc une menace. Ou bien le rapport allemand de 2020, qui est allé jusqu’à préconiser expressément un affaiblissement du Maroc et un renforcement de ses voisins. Ou encore le récent rapport attribué aux services français, qui recommande d’incroyables mesures d’atteinte à l’image du Maroc et de ses symboles (rapport nié, mais dont les recommandations -de l’affaire Pegasus à cette résolution du Parlement européen- sont bel et bien appliquées). Ou même, le tout dernier rapport qui a fuité ces jours-ci, révélé par Israël, celui de l’Afrique du Sud, grand soutien du Polisario, qui appelle ouvertement à contrer les intérêts économiques du Maroc et à lui faire obstacle en Afrique du Centre et de l’Ouest.
L’Espagne et l’Allemagne sont revenues à de meilleurs sentiments, realpolitik oblige. Ces deux pays ont fait le choix de saisir les opportunités que peut offrir la collaboration avec le nouveau Maroc, plutôt que de chercher à combattre cet incontournable et utile voisin de l’Europe.
Par contre, en ce qui concerne la France, malgré les déclarations officielles lénifiantes, l’opinion publique marocaine réalise bien que les rapports actuels de ce pays avec le Maroc évoluent en zone grise.
Un gris encore plus opaque depuis le vote de la résolution du Parlement européen de ce mois de janvier, où tous les eurodéputés français –de surcroît relevant du parti du Président Macron (Renaissance)- se sont particulièrement mobilisés et ont voté contre le Maroc.
Dans sa déclaration finale rejetant et condamnant la résolution, le Parlement marocain s’est officiellement «étonné» de ce positionnement, sans citer nommément la France, mais dans des termes aussi vifs que clairs la désignant. Il y est dit: «Le Parlement marocain, avec toutes ses composantes et sensibilités politiques, exprime sa déception vis-à-vis de la position négative et du rôle non-constructif joué lors des débats et des concertations au sujet du projet de la résolution hostile à notre pays, par certains groupes politiques appartenant à un pays considéré comme un partenaire historique du Maroc, de même qu’il déplore ces positions et ces pratiques sans rapport avec la sincérité et la loyauté qu’exige l’esprit du partenariat».
Aucune autre réaction officielle n’a été émise par le Maroc (cependant, fait non banal, un report de réunions militaires maroco-françaises qui devaient se tenir à Rabat, est tombé quasiment la veille des rendez-vous, sur initiative de la partie marocaine).
Mais au niveau de l’opinion publique marocaine et dans les réseaux sociaux, la France est fustigée, les reproches qui lui sont adressés fusant de toutes parts. Ceux qui reviennent systématiquement sont: un anachronisme colonial qui voudrait imposer ses lois et diktats au Maroc; et un jeu malsain entretenant –voire attisant- la rivalité entre l’Algérie et le Maroc, tout en profitant du gaz de l’un et des privilèges commerciaux de l’autre.
Une chose est sûre, la France perd du terrain au Maroc.
La Haute Commission mixte maroco-espagnole, prévue au Maroc les 1 et 2 février (2023), avec la participation de 12 ministres espagnols, renforcera les relations et avantages du 1er concurrent commercial de la France au Maroc (la France et l’Espagne se disputant la 1ère place, que Madrid a fini par gagner).
Deux semaines auparavant, les 16 et 17 janvier, la 1ère réunion du comité de suivi de la coopération de défense maroco-israélienne s’est tenue à Rabat, co-présidée par l’Inspecteur Général des FAR le Général Belkhir El Farouk et le Directeur du bureau des affaires politico-militaires du ministère de la Défense israélien…
Et Israël, le nouveau partenaire du Maroc (depuis la signature des accords d’Abraham en décembre 2020), concurrent inattendu de la France au Maroc qui a déclenché l’hystérie de l’ancienne Puissance coloniale, montre bien qu’il entend approfondir ce partenariat. Voire l’élargir, dans un éventuel cadre tripartite, à des contrées africaines qui relevaient, jusque-là, de l’exclusive zone d’influence française…
Cela, bien sûr, ne peut qu’irriter la France, mais a-t-elle la bonne réaction ?
La résolution… Et après ?
Pour les sphères politiques marocaines, autant que pour la société civile et l’opinion publique en général, la résolution du Parlement européen contre le Maroc est un coup d’épée dans l’eau.
Non pas seulement parce que les résolutions du Parlement européen ne sont pas contraignantes pour les membres de l’Union européenne.
Mais pour de multiples autres raisons.
Cette résolution, est-il répété en chœur, n’aura aucun des effets escomptés par le Parlement européen. Elle ne changera rien, concrètement, aux affaires qu’elle soulève. Pas plus qu’elle ne nuira aux divers partenariats du Maroc qui, ont souligné plusieurs analystes, risquent -au contraire-de saisir l’occasion qui leur est offerte pour rogner un peu plus sur les avantages qui revenaient historiquement à l’Europe.
Les États-Unis, la Chine, la Russie, Israël… Tous ces acteurs qu’intéresse l’Afrique, regardent avec amusement cette vieille Europe qui, non seulement peine à s’adapter aux révolutions géopolitiques actuelles, mais se tire parfois une balle dans le pied, relève un Groupe d’élus de l’Opposition.
Pour ce Groupe, le Parlement européen doit se rendre à l’évidence, il ne fait plus peur. Par son arrogance de donneur de leçons, ses excès, sa politique du deux poids deux mesures et ses propres failles, il n’échappe pas aux critiques qui le discréditent.
Dans le cas présent, critiques acerbes (et fort soutien au Maroc) du Parlement arabe, de ses Commissions permanentes, ainsi que de l’Union interparlementaire arabe… Des institutions loin d’être négligeables.
Ce professeur de droit, interrogé sur les éventuels effets de la Résolution du Parlement européen, soutient qu’aujourd’hui, de nombreux pays auxquels l’Europe assénait autrefois ses leçons, se sont affranchis de sa tutelle et exigent un traitement d’égal à égal. Le Maroc est de ceux-là. Cette résolution, qui s’assimile davantage à un lynchage qu’à des recommandations vertueuses, n’aura aucun effet à craindre. Le Royaume a les moyens de se défendre.
En effet, lorsqu’on observe avec lucidité les évolutions géopolitiques en cours, cette exigence de traitement d’égal à égal que réclament le Maroc et d’autres pays, arabes, africains, ou asiatiques, l’Europe s’y pliera tôt ou tard, de bon ou mauvais gré. Tout simplement, parce que la dépendance a changé de camp !
Bahia Amrani
– Armement du Maroc
Les FAR (Forces Armées Royales) ont récemment reçu le système de défense anti-aérienne et anti-missile Barak MX, qui avait été commandé en février 2022 auprès d’IAI (Israël Aerospace Industries, société publique israélienne).
Ce Système, qui peut abattre tout avion ou missile ennemi à 150 km, s’ajoute à un autre, déjà acquis par le Maroc: le système de défense israélien anti-drones «Skylockdome».
Ces deux acquisitions font suite aux décisions de partenariat militaire prises lors de la visite au Maroc de Benny Gantz, les 24 et 25 novembre 2021.
– Paranoïa algérienne
Dès le lendemain de la 1ère réunion du comité de suivi de la coopération de défense maroco-israélienne, qui s’est tenue les 16 et17 janvier (2023), le régime algérien, qui voit une menace -directe contre lui- dans le rapprochement du Maroc avec Israël, a réuni son Haut Conseil de Sécurité (le 18 janvier, très exactement), sous la présidence de Abdelmajid Tebboune.
– Quand Alger nargue les défenseurs des droits
La dissolution de la Ligue algérienne de défense des droits de l’Homme (LADDH), concrétisée 3 jours après la résolution du Parlement européen contre le Maroc, est un véritable pied de nez aux supposés défenseurs acharnés des droits de l’Homme.
Selon la LADDH, le jugement de justice portant sa dissolution a été rendu par le tribunal administratif d’Alger en septembre dernier, mais ne lui a jamais été notifié. Elle a appris son existence par les réseaux sociaux.
La LADDH estime qu’avec ce jugement, elle «paye» son «engagement pour la démocratie, les libertés et les droits humains».
Un commentateur qui a de l’humour a suggéré que le Parlement européen se réunisse pour exprimer sa solidarité avec le Régime algérien, dans une résolution que toute la Macronie que compte ce Parlement pourra voter. Lol.