La Cour des comptes vient de publier son rapport annuel au titre de l’année 2015. Celui-ci rend compte de l’ensemble des activités des juridictions financières dans les domaines relevant de ses compétences, notamment celles relatives au contrôle de la gestion d’un certain nombre d’organismes publics.
La première remarque qui s’impose est que ce document met en évidence, encore une fois, le gouffre qui sépare de plus en plus l’Etat de ces établissements publics et tire la sonnette d’alarme sur les aspects d’ambiguïté et d’opacité de la relation de l’Etat avec ces structures.
Le rapport relève que ces institutions publiques sont devenues, au fil du temps, des géants financiers chargés de réaliser les chantiers d’envergure et de mettre en œuvre les stratégies sectorielles qui ont changé le paysage économique du pays, notant que le rapport des magistrats de la Cour a marqué, depuis 2010, un ralentissement de la croissance des établissements publics, caractérisé par le recul des investissements et la hausse de la dette. Le rapport estime qu’il est devenu nécessaire de revoir le modèle économique de ces établissements et de clarifier leur relation avec l’Etat, afin d’éviter qu’ils deviennent un fardeau pour le budget général.
Le rapport en question
Constitué de deux volumes, l’un consacré aux activités de la Cour et l’autre aux conclusions des missions de contrôle de gestion, le rapport 2015 de la Cour des comptes s’attaque d’abord au système national de la formation professionnelle. Absence d’une carte prévisionnelle de la formation, retard dans l’élaboration et la mise en œuvre d’une stratégie intégrée, en plus de plusieurs difficultés relevées dans la maîtrise des besoins du marché de l’emploi sont les premiers griefs contre ce secteur. La Cour des comptes pointe aussi du doigt l’absence d’un système informatique intégré permettant le suivi du système de formation en plus de l’insuffisance des indicateurs adoptés pour son évaluation.
Par ailleurs, parmi les thématiques examinées par les magistrats de la Cour des Comptes, figure le système de qualification et de classification des entreprises de BTP, lequel n’a pas tenu toutes ses promesses. Celui-ci devait servir de levier à la mise à niveau des entreprises de BTP. Mais les magistrats de la Cour des comptes ont relevé plusieurs dysfonctionnements, notamment la multiplicité des systèmes de classification appliqués par les différents ministères et le décret sur les marchés publics qui a été modifié en faveur des entreprises de BTP et peut se traduire par le non-respect de la libre concurrence et de l’égalité des chances entre tous les soumissionnaires.
Au total, la Cour des comptes a effectué, au cours de l’année 2015, 28 missions de contrôle, dans le cadre du contrôle de la gestion et de l’évaluation des projets publics. Elle a également rendu 399 arrêts en matière de vérification et de jugement des comptes et 25 arrêts en matière de discipline budgétaire et financière.
La Cour a également saisi le ministre de la Justice de huit affaires, pour des faits de nature à justifier des sanctions pénales.
Les observations enregistrées par la Cour des comptes, ainsi que les Cours régionales des comptes en matière de contrôle de la gestion, ont porté sur plusieurs organismes publics, dont le rapport juge la situation financière plutôt catastrophique et relève un insoutenable niveau d’endettement.
Attention, lourd endettement!
En effet, dans l’introduction du rapport, on lit que le document attire l’attention sur quelques éléments alarmants liés aux finances publiques, plus particulièrement par rapport à la dette publique qu’il qualifie d’élevée. Il alerte également sur les dettes de TVA dues aux établissements et entreprises publiques qui, souligne le rapport, ont atteint près de 25,18 MMDH à fin 2015, contre 8,7 MMDH en 2010. «Ces montants constituent des dettes que l’Etat se doit de rembourser, du fait qu’elles concernent de grands établissements du secteur public, jouant un rôle important dans le développement économique et social de notre pays», lit-on dans le rapport.
Par ailleurs, la Cour affirme qu’en tenant compte du volume des ressources allouées aux secteurs de l’éducation et de l’emploi, il y a lieu de procéder à l’évaluation des différents programmes et mesures sectoriels pour améliorer le rendement des dépenses publiques à cet égard.
A titre d’exemple, le rapport s’est penché sur le cas du Fond d’Equipement communal (FEC), dont il a relevé une faible contribution au financement des collectivités territoriales. En dépit du fait que l’investissement local a presque triplé entre 2003 et 2012, pour atteindre plus de 12 MMDH, la Cour affirme que le FEC n’a pas pu développer une ingénierie financière capable de faire de l’emprunt un vecteur de développement local, puisque sa contribution au financement des collectivités territoriales demeure faible et ne dépasse guère 5%, selon les données de 2013. «En douze ans (entre 2003 et 2014), le nombre des collectivités territoriales qui ont bénéficié des prêts du FEC ne dépasse pas 620, soit 38,9% de l’ensemble des collectivités territoriales toutes catégories confondues. Les préfectures et les communes rurales sont les moins servies, avec un taux de couverture respectivement de 30,77 et 32,61%, alors que 81,25% des régions et 72,4% des communes urbaines ont bénéficié des prêts du FEC», fait savoir le rapport.
Les EEP y passent aussi
Pour ce qui est de l’endettement des entreprises et établissements publics (EEP), la situation, examinée par la Cour des comptes fait ressortir qu’à fin 2015, presque aucun des EEP n’échappe à la catastrophe. A cette date, la Cours fait observer que l’encours des dettes de financement des EEP atteint 245,8 MMDH, représentant près de 25% du PIB. Concentrée sur certains grands établissements, la dette, relève encore la Cour, a été multipliée par plus de 3 depuis 2004 (hausse de 321,1%). «Ce qui pourrait constituer une source de fragilité pour le secteur». Le rapport met aussi en garde contre les fragilités qui proviennent de l’endettement en devises et ce, même si ces établissements sont engagés dans des programmes d’investissement importants.
A fin 2015, la dette extérieure atteint 160,3 MMDH, représentant 65,2% du total endettement du secteur et 17% du PIB. Sur ce stock, 106 MMDH sont couverts par la garantie de l’Etat. «Comparativement à son poids dans l’économie, le secteur des EEP est surendetté à l’extérieur, exigeant un dispositif dynamique de suivi et de surveillance», recommande la Cour des comptes.
Le dispositif à mettre en place devrait permettre une remontée en temps réel de l’information sur l’endettement des EEP. Il devrait aussi fixer des ratios et règles prudentiels que les EEP doivent respecter en matière de financement extérieur.
Les magistrats proposent aussi de recourir à des instruments pour aplatir les risques et réduire le coût de la dette: garantie des risques de change, recours à des garants autres que l’Etat, règlement anticipé des dettes onéreuses, diversification des monnaies d’emprunt et mixage de l’endettement intérieur avec l’endettement extérieur.
La Cour met également en garde contre l’ampleur du crédit TVA et la menace qu’il fait peser sur la solvabilité de certaines entreprises publiques. «L’Etat devrait trouver un traitement financier à la problématique du crédit de TVA, dont le montant cumulé à fin 2015 a dépassé 25 MMDH», note encore le rapport.
Certaines entreprises publiques risquent, à court terme, de ne pas pouvoir honorer leurs échéances. Une situation qui pourrait mettre le Trésor dans l’obligation de s’y substituer, surtout qu’une grande partie des emprunts extérieurs des entreprises publiques est garantie par l’Etat.
Pour les magistrats, si un «traitement» est mis en place, il devrait d’abord faire confirmer par le ministère de l’Economie le montant des crédits de TVA comptabilisé par les entreprises publiques à l’actif de leur bilan. Des montants sur lesquels les auditeurs externes et les commissaires aux comptes ne cessent d’émettre des réserves sur leur éventuelle possibilité de recouvrement. Ensuite, les magistrats proposent des mécanismes d’apurement, comme la titrisation ou le rééchelonnement du remboursement de crédit de la TVA sur une période à convenir. «Il y a également lieu de mener une réflexion sur l’opportunité d’exonérer de la TVA les investissements des EEP et de respecter le principe d’égalité entre les entreprises publiques et les entreprises privées en matière de fiscalité», précise le rapport.
Enfin, Il ressort du rapport de la Cour des Comptes qu’au total, vingt-huit missions de contrôle ont été effectuées dans le cadre du contrôle de la gestion et de l’évaluation des projets publics. La Cour a rendu 399 arrêts en matière de vérification et de jugement des comptes et 25 arrêts en matière de discipline budgétaire et financière. En ce qui concerne les travaux des Cours régionales des comptes au titre de 2015, celles-ci ont effectué des missions de contrôle au niveau d’organismes agissant à un niveau régional, en partenariat avec la Cour des comptes. Elles ont également effectué 58 missions de contrôle de la gestion, couvrant tous les types de collectivités territoriales et les services publics locaux, ainsi que certaines sociétés de gestion déléguée. «Elles ont aussi rendu 1.891 jugements définitifs en matière de jugement des comptes et six jugements dans le domaine de la discipline budgétaire et financière.
Hamid Dades