Elle est sénatrice belge, élue de la région de Bruxelles-capitale de 1999 à 2010, membre de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe et adjointe au maire dans une commune Bruxelloise de près de 40.000 habitants depuis 2006.
Quelle est la part que représentent les Marocains dans votre région ?
C’est une part importante et pour cause: dans la région de Bruxelles-capitale, trois Bruxellois sur quatre sont d’origine étrangère.
Et la nationalité la plus représentée?
D’abord, il y a la nationalité française, puis l’italienne et la marocaine. Mais cela doit être revu à la hausse puisqu’on sait que, dans les statistiques, aujourd’hui, nous n’avons plus les personnes qui sont naturalisées belges. Donc, cela nous fait une part vraiment très importante de la population marocaine qui vit au Maroc; une population qui est implantée depuis des décennies, puisqu’en février 2014, nous allons fêter le 50ème anniversaire des Accords bilatéraux entre le Maroc et la Belgique.
Où en sont les relations entre les deux pays?
Ce sont des relations d’amitié et de solidarité. Nous avons vu à plusieurs reprises les populations du Maroc et de Belgique faire preuve de cette solidarité, plus particulièrement lors du tremblement de terre d’Al Hoceima en 2004 où nous avons relevé une mobilisation très grande de gens, aussi bien marocains que belges, pour venir en aide aux victimes du séisme.
Quelle intégration de la population marocaine dans le tissu social Belge?
Nous nous trouvons là dans un cas de figure d’une large part de population implantée depuis des décennies avec des aspects heureux «d’intégration», même si je n’aime pas trop le terme; avec une production aujourd’hui de parlementaires au niveau politique. Et nous avons deux ministres marocains issus de l’immigration en la personne de Rachid Madrane et de Fadila Laâmame.
Que représente pour vous cette distinction marocaine?
Une source de fierté. Nous avons aussi aujourd’hui un maire d’origine turque.
Et aussi une opportunité de diversité…
La Belgique, vous le savez, est un pays ouvert sur la différence et la diversité.
Faire preuve ici d’angélisme ne doit pas cacher le mauvais côté qui est…
Il y a malheureusement encore de nombreux cas de discrimination que continuent de subir les populations d’origine étrangère.
De quelle sorte?
Des discriminations à l’embauche, surtout envers les jeunes d’origine maghrébine.
Religion aussi?
Bien sûr, il y a la question de l’islam; question très difficile, surtout depuis les attentats du 11 septembre 2001. L’islam a beaucoup de mal au niveau de l’Europe avec une islamophobie rampante. Il y a aussi toute la gestion du culte qui soulève des questionnements en termes d’aménagement et aussi de gestion de la différence culturelle, des revendications, comme le port du foulard qui continue d’envenimer notre vivre ensemble. C’est donc à l’image de la vie avec ses hauts et ses bas, ses difficultés et ses bonheurs.
Et au niveau de l’intégration culturelle des populations marocaines?
C’est un tableau très nuancé. Cependant, je pense que l’on peut dire que la Belgique s’en sort très bien parce qu’elle est pionnière dans de nombreux domaines en termes de citoyenneté. Lorsque je vois aujourd’hui le débat en France sur la question du droit de vote, je suis parfois effrayée. Je me dis: le pays (la France) de l’égalité et de la fraternité est confronté à de nombreux et réels problèmes, puisqu’on y parle de droit de vote pour les personnes qui vivent dans ce pays depuis des décennies et on n’arrive pas à franchir ce pas.
Et en Belgique?
Nous l’avons franchi. Nous avons le droit de vote pour les personnes d’origine étrangère, même si nous pouvons parler de résultats quelque peu mitigés. Moi, j’aurais plutôt préféré que le vote soit une obligation aussi pour les personnes d’origine étrangère. Malheureusement, le compromis nous a seulement amenés à un droit de vote. Néanmoins, nous avons aujourd’hui le droit de vote pour les personnes d’origine étrangère. Nous avons également une représentativité politique très importante. J’ai cité des ministres, parlementaires, maires… Il y a aussi de nombreux conseillers communaux et des adjoints au maire.
Quels résultats en termes de reconnaissance pour les populations?
Toute cette diversité plurielle. Je trouve qu’elle est extrêmement importante en termes justement de reconnaissance des populations qui sont implantées là-bas et qui voient qu’à travers des personnes qui occupent des postes importants, on les reconnaît dans la diversité culturelle, dans leur culte et dans la gestion de ce culte. La Belgique, je le redis, est un pays très ouvert sur la diversité culturelle. L’islam y est reconnu comme religion depuis 1954. Il y a de nombreuses mosquées qui permettent à tout un chacun d’exercer et de pratiquer librement son culte.
Les difficultés, il doit y en avoir quand même…
Il y a, il faut le reconnaître, des difficultés d’adaptation et je pense que, là aussi, nous, en tant que personnes qui vivons dans ce pays devenu le nôtre avec le temps, mais aussi en termes de citoyenneté, nous avons pour notre part d’énormes efforts à fournir en matière de respect. Je pense qu’à partir d’un moment donné, nous ne devons pas entrer en conflit avec la gestion de l’espace public. Nous devons faire en sorte qu’il soit géré de manière sereine et qu’il puisse appartenir à tous. Et ce n’est pas en y injectant des revendications culturelles que nous arriverons à faire évoluer les choses. Car nous avons également des personnes qui sont extrêmement soucieuses de la question de la laïcité, parce qu’elles estiment que la religion avait déjà fait énormément de dégâts, qu’elles ont dû se battre contre la religion catholique qui était un Etat dans l’Etat et qu’elles ont aujourd’hui des craintes face à des revendications religieuses qui viennent interférer dans le débat politique.
Etes-vous adepte de ce débat?
Nous nous devons d’avoir ce débat, mais tout en étant conscients de ce socle commun que nous devons édifier ensemble et qui doit être le plus serein possible.
Ces générations marocaines, est-ce qu’elles ont des attaches avec leur pays d’origine?
Quand je parle avec nos jeunes concitoyens, je réalise à quel point ils sont encore très en relation avec leur pays d’origine, parfois même pas le leur, mais celui de leurs parents ou de leurs grands-parents, puisque nous avons déjà une troisième génération. Je trouve cela vraiment très beau et très riche parce qu’ils vivent dans un pays qui est le leur, mais ils n’en oublient pas moins leurs racines culturelles, leur langue aussi. Très souvent, les parents sont très soucieux d’apprendre la langue à leurs enfants, que ce soit l’amazigh ou l’arabe. En termes identitaires, je trouve que c’est là une richesse, à partir du moment où ils bénéficient d’une et de multiples identités et arrivent à vivre en harmonie et à enrichir. Je pense que c’est quelque chose qui ne peut être que positive.
Les Marocains en Belgique sont au fait des réformes entreprises par leur pays d’origine…?
Aujourd’hui, le Maroc a mis en place des institutions. Je pense, par exemple, au Conseil consultatif des Marocains à l’étranger qui fait un travail remarquable en tant que passerelle culturelle. Il y a de nombreux débats auxquels nous pouvons participer. Il y a également un ministre chargé des RME qui fait le lien. Le Maroc a tiré -et je le dis en toute sincérité- des enseignements de la manière dont il a géré l’immigration et plus particulièrement durant les années 70-80.
Qu’en est-il aujourd’hui?
Aujourd’hui, il arrive à maintenir un lien avec ses ressortissants tout en faisant en sorte de ne pas piétiner sur les plates-bandes et sur les compétences des Etats dans lesquels ils vivent. Je trouve que ce respect est vraiment à souligner. Je trouve aussi cette démarche extrêmement intelligente et habile en termes d’appréhension de cette communauté où l’on sait qu’il y a un lien culturel qui persiste et qu’on essaie d’entretenir. Par ailleurs, on sait qu’il y a une citoyenneté, un ancrage très fort de ces populations dans les pays dans lesquels ils vivent et que le Maroc ne piétine pas.
Quelles sont les principales revendications de cette 3ème génération par rapport au Maroc? Ya-t-il des reproches? Qu’est-ce qu’ils attendent de lui?
Je pense que ce qu’ils attendent du Maroc, c’est de pouvoir être accueillis dans ce pays qui est le leur sans s’y sentir étrangers. Parfois, on entend les jeunes dire que «là-bas, nous sommes considérés comme des jeunes d’origine étrangère. Quand nous rentrons au pays (Maroc), nous sommes considérés comme des ressortissants marocains à l’étranger». Il y a donc, peut-être encore, quelque chose à faire en termes d’appréhension. Je sais que les rapports avec la police ne sont pas toujours très évidents pendant les vacances. Je crois que, là aussi, il y a du travail à faire. Il y a donc des choses qui peuvent être gérées de manière calme et sereine par le dialogue et le débat.
Et pour ce qui est de l’accueil lors de la traversée?
En termes d’accueil de ces jeunes, il reste aussi des choses à faire pour qu’ils soient au Maroc considérés comme des Marocains à part entière et se sentent chez eux.
Il y a peut-être aussi des choses à faire de la part de ces jeunes…
Vous savez, parfois, les jeunes trimballent avec eux cette image un peu de jeunes loubards et caïds. Je crois qu’il faut cesser de les voir avec ce regard quelque peu suspicieux.
Comment parer à cette incompréhension?
Je pense que l’échange culturel peut arriver à aplanir tout cela et à avoir des relations plus intéressantes en termes d’échanges. Il faut aussi aller dans le sens d’échanges beaucoup plus solidaires. Je vois, pendant les vacances, des jeunes qui arrivent au Maroc et qui s’affichent avec de grosses voitures ou font les cent pas sur les corniches. Je pense qu’on pourrait aussi les engager dans des projets tels la réhabilitation d’une école et, en clair, encadrer ces vacances dans des formes plus solidaires et plus éducatives. Tout le monde y gagnerait: et les jeunes d’ici et ceux qui vont dans leur pays d’origine pour y passer quelques jours de vacances.
Comment cette troisième génération appréhende-t-elle les réformes que vit le Maroc?
Je pense que l’effort à souligner au niveau du Maroc, c’est celui qui a été fait en 2004 quand il y a eu la réforme de la Moudouwana, qui est devenue le Code de la famille en portant en elle beaucoup d’espoir. Maintenant, il faudrait l’évaluer, l’examiner avec beaucoup d’objectivité et voir s’il subsiste des problèmes à résoudre ou des lacunes à combler. Il y a encore au niveau des juges, je crois, certaines appréhensions ou certains freins qui doivent être éliminés. En général, il s’agit d’une avancée très significative qui a le mérite d’avoir été mise en œuvre, parce que la Moudouwana a eu aussi un impact très fort sur les femmes vivant dans le contexte de l’immigration; ce n’est pas parce qu’on est une femme marocaine vivant en Belgique ou en France qu’on échappe aux discriminations. Donc, le fait de l’avoir réformée constitue une réelle avancée en termes de droits.
Et pour ce qui est de la Constitution?
On attend avec beaucoup d’impatience sa mise en œuvre. C’est une Constitution extrêmement novatrice à certains égards. Je pense à la question de la parité où le Maroc fait, à mon sens, preuve de beaucoup d’ambitions. Vous savez, une démocratie n’est jamais parfaite. Il faut par conséquent continuer le travail d’amélioration sans relâche. Pour cela, la démocratie participative est essentielle et un modèle n’est jamais calqué sur un autre. Il faut l’adapter à ses spécificités historiques et sociologiques pour réussir un projet de société.
Comment les jeunes maroco-belges perçoivent-ils la question de notre intégrité territoriale? Y a-t-il un débat, une sensibilisation?
C’est une question très peu connue et pas du tout médiatisée. Elle ne fait pas, je dirais, l’objet de grand débat au sein de l’immigration. Parfois, vous avez un mouvement de foule qui décide de faire une manifestation, comme celle de Bruxelles il y a quelque temps. Là aussi, le Maroc devrait faire preuve d’un peu plus de pédagogie et expliquer quels sont les enjeux et les tenants et aboutissants de la question et impliquer davantage, en l’informant, la population marocaine établie à l’étranger.
Qu’en est-il des diplomates en poste dans ces pays?
Je pense que les autorités consulaires et les ambassades ont un grand rôle à jouer. Nous souffrons parfois de ce manque d’informations.
Est-ce aussi le rôle des parlementaires?
Oui, mais c’est aussi le rôle des institutions qui ont été mises sur pied. Il faut continuer de travailler sur la manière de transmettre l’information. Il y a aussi les chaînes satellitaires de TV qui restent sous-exploitées et il faut faire en sorte qu’elles aient des programmes plus adaptés à des populations établies à l’étranger.