Professeur universitaire, Avocat et membre du Bureau Politique de l’Union Socialiste des Forces Populaires (USFP), Me Brahim Rachidi a bien voulu nous acceuillir dans ses bureaux à Casablanca, mercredi 14 février 2024, pour nous livrer sa grille de lecture du 5ème Congrès national ordinaire du Parti Authenticité et Modernité (PAM), dont les travaux se sont étalés sur trois jours, les 9,10 et 11 février 2024 à Bouznika. Entretien.
«Je considère que la Direction à trois du PAM n’est qu’une solution de replâtrage pour maintenir une unité de façade»
Le 5ème Congrès National du PAM a abouti sur une Direction collégiale du parti, composée du trio Fatima-Zahra Mansouri, Mehdi Bensaid et Salaheddine Abou El Ghali. Quel regard portez-vous sur ce mode de gouvernance?
Le cinquième Congrès du Parti Authenticité et Modernité n’a pas pu dégager une Direction à la hauteur des attentes. J’estime que le 5ème Congrès du PAM visait uniquement à mettre en place une nouvelle Direction, tout en barrant la route à Abdellatif Ouahbi et l’empêcher de briguer un nouveau mandat à la tête du PAM. C’est pour cette raison que le Bureau Politique du parti a proposé une modification des Statuts du PAM à la dernière minute, pour permettre la mise en place d’une Direction dite collégiale de cette formation politique.
D’autres partis politiques ont expérimenté ce mode de gouvernance, sans obtenir les résultats escomptés. L’UNFP (Ancêtre de l’Union Socialiste des Forces Populaires, Ndlr), avait mis en place une Direction collégiale dans les années soixante. A l’époque, il y avait l’aile syndicaliste dirigée par feus Mahjoub Benseddik et Abdellah Ibrahim, l’aile moderniste incarnée par feu Abderrahim Bouabid, et enfin, l’aile nationaliste que représentait Fqih Basri (Mohamed Basri, ndlr). Le résultat a été l’effritement de l’UNFP avec des scissions qui ont donné lieu à la création de nouveaux partis.
Le même scénario s’est répété avec le Mouvement Populaire, avec des dissensions et des scissions qui ont secoué le parti de l’Epi. Trois formations politiques de gauche ont également tenté cette expérience de direction collective, dans le cadre de ce qui était appelé la Gauche Socialiste Unifiée, sans résultat.
Je n’oublie pas non plus, une autre expérience en la matière, celle de l’Union Constitutionnelle. Suite à la disparition de Maâti Bouabid, Feu Sa Majesté Hassan II avait proposé aux membres du Bureau Politique de l’UC, d’adopter une gestion tournante tous les trois mois. Au final, l’Union Constitutionnelle qui disposait de 84 sièges parlementaires en 1984, s’est réduite comme peau de chagrin.
Face aux dissensions et aux problèmes organisationnels auxquels il est confronté, le Parti de l’Istiqlal pourrait à son tour, tenter cette expérience périlleuse de direction collégiale.
Pour moi, opter pour un mode de gouvernance collégiale au sein d’un parti politique, signifie qu’on n’est pas parvenu à dégager un leader capable de jouer pleinement son rôle.
Lors de la conférence de presse tenue à la fin du Congrès, les divergences entre les membres de ladite Direction étaient très visibles. Dans le mot qu’il a prononcé, Salaheddine Abou El Ghali pour ne citer que lui et qui assure la présidence de la Commune de Médiouna, a mis en avant le fait qu’il ait suspendu cinq responsables locaux, au lieu de parler de sa vision pour l’avenir du PAM.
En dépit du regard critique que je porte sur le 5ème Congrès du Parti et des décisions qui en ont découlé, j’espère sincèrement que le PAM va nous surprendre agréablement.
L’absence des anciens Secrétaires Généraux du Parti a été assimilée à un désaccord sur la manière dont est géré le parti. Partagez-vous ce point de vue?
Tout d’abord, je rappelle que les personnes qui étaient à l’origine du Mouvement pour Tous les Démocrates (MTD) qui a précédé la création du PAM ont été exclues ou ont choisi de se retirer volontairement de ce Mouvement.
Les anciens Secrétaires Généraux du PAM étaient absents du 5ème Congrès du parti. Cette absence interroge sur le degré de cohésion au sein du PAM, sachant que Fatim-Zahra Mansouri a dit qu’elle leur a adressé des lettres d’invitation pour prendre part au Congrès.
Je rappelle que depuis sa création, le Parti Authenticité et Modernité a eu six Secrétaires Généraux. Il s’agit de Hassan Benaddi, Mohamed Cheikh Biadillah, Mustapha Bakkoury, Ilyas El Omari, Hakim Benchamach et Abdellatif Ouahbi.
Malgré les déclarations intempestives de Me Ouahbi et leurs conséquences fâcheuses sur le PAM, son bilan à la tête du parti est positif. Après avoir passé 11 années dans les rangs de l’opposition, Abdellatif Ouahbi a très bien négocié la participation du PAM au gouvernement Akhannouch. Aujourd’hui, le parti détient 7 portefeuilles ministériels, ce qui n’est pas rien.
En 2011, le PAM avait 47 sièges au Parlement. En 2015, ce nombre est passé à 102. Suite aux dernières élections Législatives, Régionales et Communales du 8 septembre 2021, le Parti Authenticité et Modernité a remporté 87 sièges au Parlement. Au niveau des Communes, le PAM a décroché 5.106 sièges.
Au niveau des Régions, le Parti a obtenu 143 sièges. N’oublions pas que le PAM préside des Régions importantes, à savoir Rabat-Salé, Kénitra, Marrakech-Safi, Béni Mellal-Khénifra et la Région de l’Oriental.
D’aucuns estiment que Fatima-Zahra Mansouri est aujourd’hui seule maîtresse à bord du tracteur. Qu’en pensez-vous?
Seule Fatima-Zahra Mansouri a présenté sa candidature pour succéder à Abdellatif Ouahbi à la tête du Parti. Je crois savoir que c’est elle qui a demandé à ce qu’elle soit assistée par deux membres du Bureau Politique du PAM, en l’occurrence Salaheddine Abou El Ghali et Mehdi Bensaid.
Il est clair que c’est Fatima-Zahra Mansouri qui conduit réellement le parti du tracteur.
Je crois savoir que le nombre de membres de ce Bureau Politique a été fixé à 30, auxquels on a ajouté deux autres PAMistes. Parmi ces membres, certains ont été nommés es-qualité.
Il s’agit des 7 ministres qui représentent le parti au gouvernement, 4 présidents de Régions, 2 Présidents de groupes parlementaires, outre les présidents du Mouvement de la Jeunesse et de l’Organisation des femmes au sein du PAM. Au total, 15 membres du Bureau Politique du Parti Authenticité et Modernité ont déjà été élus. Il reste maintenant à désigner les 17 autres membres dudit Bureau. Cette élection devrait avoir lieu lors de la prochaine réunion du Conseil National du PAM. Ça sera un véritable test pour la nouvelle Direction du parti.
Le PAM compte parmi ses membres, des chevilles ouvrières à l’instar de Samir Koudar, Président du Conseil régional de Marrakech-Safi qui espérait faire partie de la nouvelle direction du Parti et Younes Sekkouri qui avait la même aspiration. C’est pour vous dire que la nouvelle Direction du PAM devra prouver, notamment lors de la prochaine réunion du Conseil National du parti pour compléter la composition de son Bureau Politique, sa capacité réelle à jouer un rôle de rassembleur, de fédérateur.
La Direction collégiale du PAM est-elle viable selon-vous?
Comme je l’ai déjà expliqué, l’objectif initial consistait à barrer la route à Abdellatif Ouahbi pour qu’il ne se représente pas à sa propre succession. Si ma mémoire est bonne, c’est la première fois que le Secrétaire Général d’un parti ne rempile pas pour un deuxième mandat.
Pour répondre à votre question, j’estime que cette expérience de Direction collégiale du PAM ne doit pas dépasser deux ans. Si on ne parvient pas à maîtriser tous les mécanismes du parti et à garder une certaine unité entre ses composantes, je crains que le PAM connaisse un début de déliquescence, dans un contexte où le Maroc a plus que jamais besoin de partis politiques forts et crédibles.
Je considère que la Direction à trois du PAM n’est qu’une solution de replâtrage pour maintenir une unité de façade.
Peut-on parler d’une dilution des responsabilités?
Dans le Message de félicitations qui lui a été adressé par SM le Roi Mohammed VI, Fatima-Zahra El Mansouri est reconnue de manière implicite, comme étant la véritable responsable du Parti Authenticité et Modernité. Au sein du PAM, ils auraient même décidé que c’est madame Mansouri qui assurera la représentation du parti, vis-à-vis des différents responsables politiques au niveau national et international.
Le 5ème Congrès du PAM s’est tenu dans un contexte marqué par cette affaire d’«Escobar du Sahara» qui a secoué le parti en raison de l’implication présumée de deux de ses membres qui occupent également des postes importants en matière de gestion locale et territoriale. Jusqu’à quel degré cette affaire a-t-elle impacté le parti?
Les personnes poursuivies dans le cadre de ce dossier sont présumées innocentes jusqu’à preuve du contraire, c’est-à-dire, lorsque la justice livrera son verdict définitif. Cela dit, cette affaire devrait inciter la Direction du PAM à revoir le processus d’accréditation et les critères qui entourent cette opération dans sa globalité. Cette affaire menace de ternir l’image du Parti et à plus grande échelle, creuser le fossé entre le citoyen et la classe politique.
Il faut admettre que la confiance des citoyens en les responsables politiques est à ses plus bas niveaux, notamment en raison des promesses électorales non-tenues. Prenons l’exemple du chômage. En 2023, le Maroc a perdu 300.000 emplois, alors qu’on avait promis aux Marocains la création de 2 millions d’emplois sur 5 ans. Ces chiffres se passent de tout commentaire.
Vous avez évoqué l’absence de confiance des citoyens en la politique et ceux qui la font. Comment redresser la situation?
Le Maroc souffre d’une maladie universelle, celle de l’abstention électorale. Au Maroc, les élections du 8 septembre 2021 étaient caractérisées par une forte abstention. Généralement, les jeunes ne s’intéressent pas à la politique et considèrent que les responsables politiques ne sont pas crédibles. Certains, vont jusqu’à dire que tous les politiques sont des corrompus, ce qui n’est pas vrai et pas bon pour l’image du pays.
Si nous voulons toucher les 8 millions de jeunes que compte le Maroc, il faut mener un travail de proximité, présenter une offre politique crédible et réalisable, tout en veillant à aller au contact de la population. Lors du 5ème Congrès du PAM, aucune analyse critique quant au bilan de ce parti au gouvernement n’a été faite. De même qu’on n’a pas eu droit à une offre politique qui pourrait intéresser les Marocains, surtout les jeunes.
C’est pour cela que SM le Roi Mohammed VI, à bon escient, a insisté sur la nécessité de la moralisation de la vie politique, à l’occasion du 60ème anniversaire du Parlement marocain. Et lors du Discours Royal à l’occasion du 18ème Anniversaire de la Fête du Trône en juillet 2017, SM le Roi avait également insisté sur la moralisation de la vie politique et la gestion des partis.
Les partis politiques doivent présenter des candidats crédibles et combattre la transhumance politique qui risque de s’inviter au sein du PAM. Les notables électoraux, mécontents de la nouvelle formule de gouvernance mise en place au sein du parti, risquent d’aller voir ailleurs. Si nous voulons que le citoyen adhère à l’activité politique, nous devons également revoir le mode électoral qui n’est pas attractif pour les jeunes, notamment au niveau des arrondissements, dans la mesure où il ne permet pas d’établir le lien entre élus et électeurs. 2026, c’est dans deux ans. On doit s’y préparer dès maintenant.
Il est inadmissible qu’il y ait 36 partis politiques au Maroc. Il s’agit d’un faux pluralisme politique qui ne doit plus exister. Il n’y a pas 36 manières de gouverner le pays ! Il est temps d’opter pour les coalitions politiques.
Propos recueillis par Mohcine Lourhzal
La phrase
«Malgré les déclarations intempestives de Me Ouahbi et leurs conséquences fâcheuses sur le PAM, son bilan à la tête du parti est positif»