La volonté de certains Catalans de se séparer de l’Espagne et de revendiquer l’indépendance étonne parfois à l’étranger.
Cela s’inscrit cependant dans des courants séparatistes mettant en cause la constitution des Etats-nations autour de peuples aux origines ethniques et historiques différenciées.
Industrialisée depuis le XIXe siècle, avec les secteurs historiquement dominants du textile, de la construction navale ou de la mécanique, auxquels se sont ajoutés à la fin du XXe siècle ceux du tourisme, de l’automobile, de la chimie, de la pharmacie, de l’agroalimentaire ou de l’informatique, la Catalogne est aujourd’hui la communauté autonome la plus riche d’Espagne et la onzième des subdivisions territoriales de l’Union européenne, avec un Produit intérieur brut (PIB) de 255,204 milliards de dollars en 2012. Le sentiment d’être plus prospère que l’Espagne et de payer pour Madrid joue un peu comme dans la Ligue du Nord en Italie.
La Catalogne est un avatar de la lutte de Charlemagne et des carolingiens contre la présence arabe en Espagne.
Petit à petit, les contés catalans de culture wisigothique s’affranchissent de la tutelle franque. En 988, profitant de la substitution de la dynastie carolingienne par la dynastie capétienne, le comte de Barcelone, Borell II, ne prête pas serment de fidélité au roi franc, alors qu’il en a reçu l’injonction par écrit. Ce geste est interprété comme le point de départ de l’indépendance de fait de la Catalogne. Le 11 mai 1258, Jacques Ier le Conquérant, roi d’Aragon, signe avec le roi de France Louis IX le traité de Corbeil, date à laquelle la Catalogne devient réellement une partie de la Couronne d’Aragon.
La Principauté de Catalogne ainsi constituée devient progressivement un Etat à la fin du Moyen Âge, avec ses institutions comme les Corts, son droit hérité du droit romain, wisigothique et féodal et compilé dans les Usatges, ou encore sa langue, le catalan, qui se constitue en langue administrative, juridique et littéraire à partir du XIIe siècle. Par le système politique de monarchie pactiste, la Catalogne conserve ses spécificités et privilèges institutionnels, coutumiers et juridictionnels, appelés constitutions et autres droits, au sein de la Couronne d’Aragon, puis du royaume d’Espagne, jusqu’aux décrets de Nueva Planta de 1715 et 1716. L’union dynastique avec la Couronne de Castille en 1479, mais surtout les conséquences de la guerre des faucheurs de 1640-1659, de la prise de Barcelone le 11 septembre 1714 par les forces franco-castillanes de Philippe V de Bourbon, des guerres carlistes au XIXe siècle ou de la dictature nationaliste et centralisatrice de Francisco Franco entre 1939 et 1975, ont fortement diminué le rôle politique et culturel joué par la Catalogne en Espagne et en Europe.
Et c’est ainsi que certains Catalans ne se sentent pas espagnols.
La perspective du référendum d’autodétermination du 1er octobre a avivé les passions. Sur ordre du Tribunal constitutionnel, des opérations drastiques ont été menées par les forces de l’ordre pour désamorcer la préparation de cette consultation que le gouvernement Rajoy considère comme «illégale» et «anticonstitutionnelle»: mise en garde à vue de hauts fonctionnaires de l’administration catalane, accusés de mettre en place en secret le référendum; convocation des quelque 700 maires indépendantistes disposés à ouvrir leurs locaux le 1er octobre; perquisitions dans des journaux, des imprimeries ou des administrations soupçonnés de produire du «matériel» électoral, urnes, bulletins de vote, listes de collèges électoraux…
Plus que jamais, la Catalogne est une société fragmentée et polarisée. D’un côté, existent ces militants jusqu’au-boutistes, un exécutif rebelle dont les membres font l’objet d’une enquête de la part de la justice espagnole, des centaines de milliers de gens pacifiques et déterminés qui ne pensent qu’à la séparation, ainsi que des organisations civiles très organisées et actives, comme Omnium Cultural ou l’Assemblée nationale de Catalogne, qui organisent la plupart des «marches monstres».
De l’autre côté, il y a ces Catalans de la «majorité silencieuse» –selon l’expression du chroniqueur unioniste Arcadi Espada– qui se sentent très à l’aise au sein de l’Espagne, défendent la légalité du pouvoir central et considèrent que ce référendum est une initiative illégale et antidémocratique. Il y a aussi quelque 74 maires (dont les communes représentent 23% de la population) qui refusent de se prêter au scrutin du 1er octobre.
Depuis que l’exécutif régional, en 2012, a pour la première fois promis l’indépendance aux Catalans, les divisions s’accentuent. Plus encore qu’avec le reste de l’Espagne, c’est au cœur même de la Catalogne que les gens se distancient et se regardent en chiens de faïence. Des groupes d’amis se déchirent ou choisissent de ne pas parler d’«Allò», «cette chose-là», une façon de désigner le référendum de la discorde. L’autre jour, le quotidien El Mundo a publié un reportage sur une vingtaine de familles où maris et femmes, pères et fils, oncles et neveux ne s’adressent plus la parole.
Le séparatisme est toujours une boîte de Pandore.
Patrice Zehr