Samedi 13 juillet 2024. Partie de Rabat oùDr Leila Mezian Benjelloun était hospitalisée, l’information s’est répandue comme une traînée de poudre: la Présidente de la Fondation BMCE-Bank pour l’Education et l’Environnement a été rappelée à Dieu.
Son époux, le Président du Groupe Bank Of Africa (BOA), Othman Benjelloun, était auprès d’elle, comme il l’avait été tous les jours de son hospitalisation.
Ce jour-là, il allait devoir surmonter sa douleur, son déchirement, pour lui organiser son dernier voyage vers Casablanca, ville de leur résidence, où elle devait être inhumée dans le caveau familial, au cimetière Achouhada, le jour-même à 16 h.
Réservée et seigneuriale, comme elle l’a toujours été dans sa vie, Dr Leila Mezian Benjelloun avait entouré de discrétion son hospitalisation. Peu de gens en avaient connaissance. La nouvelle de son rappel à Dieu a donc plongé les amis et proches de la famille dans la consternation.
A la hâte, tous ont pris le chemin du domicile des Benjelloun pour présenter leurs condoléances et accompagner,en présentiel (les hommes) ou de leurs simples prières (les femmes), la défunte à sa dernière demeure.
A Achouhada, de nombreuses personnalités pour les adieux…
Aux alentours de 16 heures, un long cortège de voitures quittait la rue du domicile des Benjelloun en direction du cimetière Achouhada, dans une atmosphère de grandetristesse mais aussi de grande dignité, comme la défunte savait en inspirer de son vivant.
Comme le veut la tradition, seuls les hommes ont pris le chemin d’Achouhada pour une dernière prière à la mosquée et l’inhumation de la défunte… A l’exception de sa fille, Dounia Benjelloun, présence indispensable auprès de son père en ces durs moments.
Moments partagés par tous ceux qui ont connu et pour qui comptait Dr Leïla Mezian-Benjelloun, tous ceux qui connaissent et pour qui compte le Président Othman Benjelloun, dont tous savent l’attachement viscéral à son épouse.
Ils étaient nombreux et plusieurs personnalités étaient parmi eux:le Conseiller du Roi, André Azoulay ; le Chef du Gouvernement, Aziz Akhannouch ; le ministre de l’Équipement et de l’Eau, Nizar Baraka ; des figures connues des cercles politiques, financiers et du monde des affaires… Sans compter les fidèles parmi les fidèles, telsHadi Chaibainou, Directeur du Groupement Professionnel des Banques du Maroc (GPBM) ;Brahim-Benjelloun Touimi, Administrateur-Directeur Général Exécutif de Bank Of Africa ; ainsi que tous les hauts cadres du Groupe BOA et proches collaborateurs.
Adieux émouvants… Mais comment pouvait-il en être autrement face à la perte d’une personne aussi exceptionnelle que Dr Leïla Mezian-Benjelloun ?
Bien née, bien éduquée, bien mariée, mais pas seulement…
Non. Dr Leïla Mezian-Benjelloun n’était pas exceptionnelle parce qu’elle était bien née. Cela compte, bien sûr. Elle était la fille du seul Maréchal qui ait eu droit à ce grade au Maroc, un natif de Beni-Ansar (Province de Nador), lui-même bien né (fils d’un Qaïd que les Espagnols appelaient «Mizian El Bueno» – Mezian le bon), Formé à l’Académie militaire de Tolède en Espagne, parrainé par le Roi Alphonse XIII et, à l’appel de Feu SM Mohammed V, rentré au Maroc pour y mettre sur les rails les Forces Armées Royales, avant d’occuper, sous Feu SM Hassan II, plusieurs postes de haute responsabilité (ministre de la Défense, ambassadeur en Espagne, puis ministre d’Etat).
Elle est née à Valence et a grandi en Espagne dans ce milieu prestigieux, où sa mère -née Ammor- a veillé à son éducation.
Elle a été diplômée à la faculté de médecine de Madrid et s’est spécialisée en chirurgie ophtalmologiqueà la faculté de médecine de Barcelone.
Elle a épousé un homme de son rang, une grande et respectée figure de la finance le Président Othman Benjelloun et a eu avec lui deux enfants: Dounia, réalisatrice et productrice de films et Kamal anthropologue.
Tout ceci faisait d’elle une dame de grande classe, certes, mais pas une femme d’exception.
Ce qui en a fait une personnalité exceptionnelle, ce sont les incroyables engagements personnels et programmes sociaux qu’elle a entrepris de réaliser ; et l’intelligence avec laquelle elle les a réalisés.
Dans son Salon, les femmes restées à la maison pendant que les hommes étaient au cimetièreAchouhada, lui ont toutes reconnu l’exceptionnalité de ses actions.
Ce qu’aucune autre femme n’avait fait…
Celles qui l’ont connue au début de sa carrière ont rappelé qu’elle avait eu des occasions d’exercer son métier comme en rêverait plus d’un. Notamment lorsqu’elle avait été engagée à l’hôpital «Manhattan Eye and EarHospital» de New York aux côtés des plus grands chirurgiens en ophtalmologie ; ou même au sein de sa propre clinique spécialisée au Maroc. Mais qu’à cette époque déjà, elle avait choisi d’opérer dans les hôpitaux publics et de mettre ses compétences au service des défavorisés livrés au fléau de la conjonctivite et autre maladies infectieuses des yeux.
Mais là où l’exceptionnalité de ses actions prend tout son sens, c’est lorsqu’en 2000 elle lance le programme des écoles communautaires rurales «Medersat.Com». Un programme unique pour lequel elle a l’appui total et inconditionnel –avec implication concrète- de son mari, le Président Othman Benjelloun.
Au début des années 90, elle avait abandonné son métier de chirurgien en ophtalmologie, estimant que le pays était désormais mieux outillé dans le domaine et qu’après avoir beaucoup donné (elle a été présidente de l’Organisation alaouite pour la protection des aveugles et de la Croix-Rouge marocaine, vice-présidente de l’Association des médecins du Maroc) elle serait plus utile dans un autre secteur, celui de l’éducation.
Après quelques années de recherches, consultations, observation et préparation, le projet des écoles communautaires rurales pouvait prendre corps. Ceux qui l’ont connue à cette époque se souviennent de son enthousiasme et de sa détermination, jamais démentis par la suite. Ils en témoignent, avouant qu’ils ne pensaient pas que ce projet prendrait une telle ampleur.
Elle assume alors en 2001 la Présidence de la Fondation BMCE-Bank pour l’Education et l’Environnement et entreprend d’en faire bon usage.
Le programme «Medersat.Com» est lancé. Il s’agit de construire et de gérer des écoles communautaires dans les régions rurales et montagneuses, où des enfants de villages enclavés peuvent accéder à la scolarité dans les meilleures conditions.
Des écoles par dizaines sont construites, patiemment, méthodiquement. Près de 70 écoles au terme de deux décennies. Elles sont équipées de matériel moderne et de qualité, des plus récentes technologies et usent de méthodes pédagogiques innovantes pour un apprentissage complet, avec des éducateurs physiquement présents et des cours à distance. Notamment les cours de langues étrangères, le français et le mandarin y étant enseignés en plus des langues de base: l’Amazigh et l’arabe.
Pour parfaire l’enseignement des langues, la Présidente de la Fondation BMCE-Bank pour l’Education et l’Environnement a conclu, en 2014, un partenariat avec l’Institut Confucius appuyé par l’ambassade de Chine et en 2016 avec l’Institut français du Maroc pour une formation des enseignants de la langue française.
Ces écoles qui n’ont pas leurs pareilles sont réparties sur plusieurs régions du territoire national, mais quelques-unes ont été construites également à l’étranger. En Afrique notamment, où 6 écoles communautaires ont vu le jour: 2 au Sénégal, 1 au Congo-Brazzaville, 1 au Mali, 1au Rwanda et 1 à Djibouti.
Généralement, les mécènes –petits ou grands- font des dons et vaquent à leurs occupations.Mais Dr Leïla Mezian-Benjelloun n’est pas une mécène comme les autres. C’est une mécène qui se distingue encore une fois par son exceptionnalité. Elle, pendant 20 ans, a fait de son mécénat sa principale occupation. C’est elle-même qui est à la barre, accompagnée de son staff de la Fondation. Une fois les cahiers des charges signés par ceux qui doivent construire une école, c’est sous sa supervision que le projet avance, c’est avec elle qu’il est inauguré et c’est encore elle qui en surveille le bon suivi. Un dévouement et une abnégation à toute épreuve.
Construire quelque 70 écoles modernes pour scolariser les enfants de villages reculés au Maroc et dans le continent et s’y consacrer pendant 20 ans, avec autant d’efficacité que de discrétion ; pour voir que plus de 34.000 enfants en ont bénéficié… Aucune femme avant elle ne l’avait fait !
Mais ce n’est pas tout…
Une approche comme jamais vue !
Quand on est exceptionnel, on l’est sur toute la ligne. Dr Leïla Mezian-Benjelloun l’était et l’a prouvé –s’il en était besoin- par l’approche qu’elle a adoptée concernant ces écoles communautaires.
D’abord, pour elle, le programme «Medersat.Com» ne s’arrête pas à la construction d’une école.
Il s’agit d’un programme multidimensionnel, qui comprend aussi un volet développement de la communauté villageoise, via des projets générateurs de revenus.
La Fondation se mobilise pour cela.
Comme elle se mobilise pour assurer à la communauté l’adduction d’eau potable, l’électrification ; et aux écoles des équipements solaires.
C’est donc tout un village qui devait profiter de la présence d’une école «Medersat.Com».
Ensuite, Dr Leïla Mezian-Benjelloun avait des ambitions pour ce programme. La machine étant lancée, elle espérait arriver à construire beaucoup plus d’écoles par an (implantation de 100 Ecoles Communautaires par an, sur un horizon de 10 années, en milieu rural, en réponse à l’appel Royal pour la mobilisation en faveur de l’Education). Pour cela, le mécénat des Benjelloun et les moyens de la Fondation n’auraient pas suffi. L’intelligence mise au pouvoir et la Fondation étant adossée au Groupe BOA-BMCE Bank, il a été décidé de se tourner vers BMCE Capital Gestion et de créer un FCP Medersat.Com. Il s’agit d’un fonds à vocation humanitaire lancé en octobre 2002. Le concept de ce Fonds est de permettre aux porteurs de parts de verser une partie des revenus à la Fondation BMCE, au profit du programme des Ecoles Communautaires Medersat.Com. Le Fonds affiche actuellement sur le site de BMCE Capital Gestion un actif net de près de 5 millions et demi de DH (5.378.238,65 MAD à la date du 12 juillet 2024).
La défunte avait une vision globale et judicieuse pour ce qui pouvait être considéré comme le projet de sa vie…
Des distinctions à la pelle…
Pour autant, la défunte n’avait pas que ce projet à son actif. Engagée dans plusieurs actions sociales et culturelles, elle laissera son nom gravé dans l’Histoire de la Kasbah Aït Hammou ou Saïd (à Zagora), qu’elle a réhabilitée. De même qu’elle a réhabilité la madrassaBouânania à Fès. Il y a aussi le Musée Maréchal Mezian qu’elle a édifié à Beni Ansar, à la mémoire de son père, en 2006. Et, bien sûr, il y a la Fondation Docteur Leila Mezian pour l’Art et la Culture marocains…
Un autre Musée porte son nom, le Musée Dr Mezian-Benjelloun, angle Boulevard Moulay Youssef – Boulevard Rouadni, dont la 1ère pierre a été posée fin 2017 et les travaux récemment lancés. Elle n’en verra malheureusement pas l’aboutissement.
Tout le long de son parcours, elle a reçu des prix et distinctions en reconnaissance de ses engagements professionnels et/ou philanthropiques, de ses actions sociales innombrables, de ses efforts continus pour le rayonnement de la culture amazighe (elle a créé en 2014, avec la Fondation euro-arabe des hautes études, la Chaire internationale de la culture amazighe), de sa mobilisation pour l’accès à l’éducation des petites filles, notamment rurales.
Il y a le Wissam Al Arch de classe Officier, remis par SM Mohammed VI en 2016 ; le Grand Prix du Mérite pour la promotion de la culture, de la langue et des arts amazighs décerné par l’Ircamen 2011 ; le Wise Award, décerné par le Qatar Word Innovation Summit for Education en 2013 ; le RockfellerBridging Leadership Award remis par la Fondation Rockfelleren 2016 : l’insigne d’Officier de la Légion d’honneur de la République française dont l’a décorée l’ambassade de France au Maroc en 2020 ; ou encore le Prix Méditerranéen de la Femme, accordé par le gouvernement régional d’Andalousie en partenariat avec la Fondation espagnole Trois Cultures de la Méditerranée en 2022…
A femme exceptionnelle, époux exceptionnel…
Pourtous les projets envisagés ou conçus, pour toutes les actions entreprises, pour tous les hommages et prix reçus,à toute occasion et en toutes circonstances, le compagnon de vie de Dr Leïla Mezian-Benjelloun, le Président Othman Benjelloun, était à ses côtés, bien présent, lui apportant un soutien inconditionnel jamais démenti.
Dans le jardin des Benjelloun –dont la défunte suivait avec soin la moindre végétation, selon ses amies- où la traditionnelle collation des obsèques était servie, les amis des Benjelloun exprimaient leur infinie admiration pour l’authenticité et la solidité de ce couple, uni depuis 1960 !
Cette dame qui les connaît depuis que leurs enfants étaient petits, raconte qu’alors que la jeune Mme Benjelloun devait aller à Barcelone pour ses études, Mr Benjelloun l(y avait encouragée et était tout à fait normalementresté au domicile conjugal, s’occupant lui-même des enfants tout le long de son absence, sans jamais trouver à y redire.
Cette autre amie, qui les voyait plus récemment, enchaîne, rapportant avec émotion que lorsque le Président Benjelloun rentre chez lui, il a pour habitude de faire le baisemain à son épouse, même –top de seigneurie- lorsqu’il la trouve avec ses amies.
Une troisième ajoute qu’un jour, alors qu’il recevait un Trophée remis par une Association, le Président Benjelloun a surpris l’assistance en déclarant, après les remerciements, «Mais moi, je ne suis rien sans mon épouse Leïla».
Cette vénération du Président Benjelloun pour son épouse et mère de ses enfants, il l’exprimait comme il la ressentait. Et c’était magnifique à voir. Magnifique et touchant à la fois.
A femme exceptionnelle, homme exceptionnel.
Cela donne un couple fusionnel de deux êtres qui avaient l’un pour l’autre une incommensurable estime, un attachement viscéral et plus encore que le Dr Leïla Mezian-Benjelloun a emporté dans son cœur et que le Président gardera dans le sien.
Pour nous tous, malgré ce dur coup de la vie, Dr Leïla Mezian-Benjelloun restera vivante dans nos mémoires. Elle restera l’admirable Dame qui a brillé par ses belles actions et notamment donné une chance à tant de milliers d’enfants. Et le Président Benjelloun demeureral’homme fort que nous avons toujours connu et que tous nos vœux de longue vie et excellente santé accompagnent.
Bahia Amrani