Afrique du Sud Au-delà de la légende Mandela

Cet homme est depuis longtemps une légende. Sa présidence a changé à jamais l’Afrique du Sud. Il est le géant historique du combat contre le racisme et pour des sociétés multiculturelles tournées vers un avenir commun malgré les fractures du passé.

Nelson Mandela AFP

Il y a déjà longtemps qu’il n’est plus au pouvoir, mais il était resté le garant respecté -par tous les noirs métis et même les nombreux blancs- d’une promesse de nation arc-en-ciel, malgré toutes les difficultés. Son parcours, de l’action radicale à l’apaisement par le pardon généreux, est certainement unique. Même ceux qui étaient contre n’ont jamais trop élevé la voix en sa présence.

Les choses vont changer et certaines réalités vont menacer les rêves de Mandela. Malgré les difficultés, l’Afrique du Sud restait un rêve. Le réveil, quand les réalités vont s’imposer, s’annonce comme une période très délicate. Mais où en est le pays? Le choc de sa disparition peut-il aider à résoudre les difficultés montantes ou bien, au contraire, ceux qui n’osaient pas à cause de lui vont-ils oser? Où en est en fait l’Afrique du sud? La presse a monté en épingle un incident tout à fait incroyable.
En effet, la présidence, le pouvoir effectif, a été critiqué après qu’il a été confirmé que l’ambulance qui, dans la nuit du 7 au 8 juin, transportait Nelson Mandela à l’hôpital, était tombée en panne, le laissant au bord de la route pendant plus de quarante minutes, avant qu’un autre véhicule ne le récupère. Révélé par la chaîne américaine CBS, cet incroyable dysfonctionnement a provoqué l’indignation générale, blessant les Sud-Africains peut-être plus encore que la fragilité de l’état de santé de leur icône, alors que, malgré la tristesse, le travail de deuil a déjà commencé.
Comme la preuve que tout ne va pas bien…
L’angoisse des Sud-Africains face à la lente agonie de Mandela s’explique peut-être par la peur de voir l’artisan et le garant de cette fragile cohabitation sociale et raciale disparaître. Les antagonismes latents de la société sud-africaine risquent alors de se manifester et les clivages pré-apartheid surgiraient du passé vivant dans les mémoires meurtries et revanchardes. Pour de nombreux analystes, la réconciliation est fragilisée par le déséquilibre économique et social. 80% des richesses de l’Afrique du Sud sont contrôlées par une minorité blanche, alors que 80% de la population est noire, dont près de 60% vit dans la misère.
Dix-neuf ans après la fin du régime ségrégationniste qui a cédé sa place au règne de l’ANC, l’Afrique du Sud est devenue un pays démocratique qui garantit à chacun de ses citoyens, quelle que soit sa couleur, les mêmes droits. Mais cette égalité se limite aux questions purement civiques. Il y a de plus un apartheid de fait qui se maintient.
Au niveau économique et social, la situation est tout simplement pire qu’à la fin de l’apartheid (l’indice de Gini, mesurant les inégalités salariales, est de 0,7). Le chômage endémique (de 30 à 40%), la non-redistribution des terres (3% appartiennent aux populations noires) ou le manque de logements frappent avant tout les populations noires, tandis que la bourgeoisie noire s’est enrichie et les exclus du système demeurent largement majoritaires.
Politiquement, au pouvoir depuis 2009, le président Jacob Zuma, successeur de Tabo Mbeki, dirige le pays au sein d’une alliance tripartite regroupant l’ANC (le parti majoritaire), le Parti communiste sud-africain (avec le Cosatu) et le Congrès des syndicats d’Afrique du Sud. Zuma est un zoulou qui sait que son ethnie a failli conquérir l’Afrique du sud. Il sait que sa marche guerrière venue du nord s’est fracassée sur les blancs venus du sud, britanniques et boers.
Economiquement, première économie du continent avec plus de 30% du PIB de l’Afrique subsaharienne, l’Afrique du Sud a même intégré en 2010 les Brics, le groupe des quatre grandes puissances émergentes (Brésil, Russie, Inde et Chine). La crise mondiale a toutefois entraîné un ralentissement de sa croissance (+2,5 % en 2012, contre 3,3% de moyenne depuis la fin de l’apartheid.
Le pays est à la croisée des chemins. Il doit rassurer les blancs qui tiennent l’économie face à un marché mondial, mais aussi répondre aux aspirations des 40% de jeunes noirs qui n’ont pas d’emploi et ne bénéficient pas de la redistribution des terres. Sans Mandela, ils n’auront plus la même retenue.
L’Afrique du Sud est déjà un pays dangereux: criminalité urbaine et agressions contre les fermiers blancs dans les campagnes. C’est un problème majeur. L’année dernière, les meurtres et les agressions physiques ont chuté de 6,9%. En revanche, les attentats à la bombe ont augmenté. Ce secteur de la criminalité a subi une hausse de 61,5% en 2012. Quant au nombre de viols, il est passé de 55.097 à 56.272. Le fort taux de criminalité de la province du Gauteng, qui comprend les villes de Johannesburg et de Pretoria, reste très inquiétant. Dans cette région, on recense 50% des affaires criminelles du pays.
Un retour des tensions raciales mettrait en danger la présence des blancs et les équilibres sociaux et économiques d’une société entre pardon difficile et revendications exacerbées.
L’Afrique du sud de Mandela peut-elle survivre à Mandela? C’est la grande question.

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