Mounia, 60 ans, est mère adoptive d’un enfant. Pour quelles raisons en est-elle arrivée à se demander si elle a bien fait de l’adopter? Elle raconte…
«A quel moment ai-je dérapé dans l’éducation de mon fils pour qu’il se soit mué en ce genre d’individu? Cette question, je me la pose tout le temps et elle finira par m’achever. Sachant surtout qu’une fois cet enfant entré dans ma vie, je n’ai plus jamais eu aucun autre centre d’intérêt que lui. Il était tout pour moi. Cependant, aujourd’hui, il en est presque à la destruction de tout ce que nous avons tous les deux édifié, à savoir une petite famille. Je ne suis plus hélas cette inespérée maman comblée. J’en souffre terriblement. Désormais, il n’y aura plus un jour qui passera sans qu’il grave en moi un sentiment d’échec, de remise en question et de sordide solitude. Sincèrement, je redoute le pire pour nous deux.
A une époque bien lointaine, je jurais qu’il était hors de question pour moi que j’épouse quiconque et que j’aie des enfants. J’idolâtrais vraiment ma liberté. Elle m’avait permis d’accéder à un très haut niveau dans mon domaine de prédilection, la recherche scientifique. Mais, à mon 35ème anniversaire, je stoppais le tout durant une année par dépression. Les décès successifs de mes parents avaient été insurmontables. Vivant à l’étranger, je décidais aussi de ne plus y retourner pour m’installer définitivement ici dans le royaume, mon pays. Un an plus tard, par ennui plus que par envie, je décrochais un petit job tranquille. Je renouais également avec mes anciennes connaissances. C’est grâce à elles que je rencontrais mon premier mari. Ce mariage fut un total fiasco. Peu habituée à l’ambiance de famille, je fus haïe. En plus, je ne pouvais même pas assurer de descendance, puisque j’étais stérile; tous les tests du monde l’avaient formellement prouvé. Je divorçais donc pour cette cause et pour incompatibilité de caractères aussi.
Je passais ainsi quelques années seule, sans m’inquiéter de quoi que ce soit, profitant de mes vacances pour visiter le monde. Un pur hasard a mis sur mon chemin mon second époux, un veuf à la retraite. Mais avec lui, je m’ennuyais beaucoup trop. Notre paisible existence était menacée par une routine insupportable. C’est une émission télévisée qui traitait du sujet des enfants abandonnés qui allait changer mon destin. Je n’eus alors plus qu’une obsession, celle de devenir mère. Ce ne fut guère facile, pour être honnête. C’est par chance que mon désir fut exaucé. A 47 ans, j’étais l’heureuse maman d’un ange. Je divorçais peu de temps après. Mon vieux mari ne supportait pas le pouponnage. En plus, il n’y avait plus rien de séduisant dans notre relation. En ce qui me concerne, il n’y en avait que pour mon fils.
Tout était si merveilleux: ses premières dents, ses premiers balbutiements, ses premiers pas, ses premiers gribouillis… Etre appelée maman n’a jamais été quelque chose de banal ou d’anodin pour moi, cela me soulevait l’âme. Mon fils ne pouvait être que magnifique, intelligent, le meilleur, unique quoi! Pour lui, j’avais même démissionné. Je n’en avais plus besoin, mon job, c’était lui. Au fur et mesure qu’il grandissait, je n’en étais que plus fière. Son éducation et sa scolarité étaient impeccables. Tous ces souvenirs, je les avais immortalisés dans des photos. Les revoir maintenant me fait pleurer.
Malgré toute cette attention et tout cet amour que je lui ai prodigué, mon fils, aujourd’hui, se rebelle contre moi. Avoir droit à cette violente crise d’adolescence, j’estime ne pas le mériter. Je suis profondément choquée, plus rien ne redeviendra comme avant entre nous. Pourquoi? Parce que du haut de ses quinze ans, il exigeait de moi une liberté qui ne me rassurait pas du tout. Il m’avait interdit formellement, avec menace, de m’ingérer dans ses fréquentations. Je n’avais plus le droit de lui poser des questions sur l’emploi de son argent de poche. Depuis que j’avais découvert qu’il fumait, j’avais décidé de ne plus être si généreuse, de peur qu’il passe à autre chose. Pour ça, il s’était métamorphosé en monstre et cela nous mène vraiment très loin.
C’est alors qu’en pédagogue, je lui affirmais qu’il pouvait compter sur moi pour tout ce qui lui manquait. Je fus forcée de comprendre que cela ne lui convenait pas du tout. Il m’a sauvagement poussée hors de sa pièce, pour s’enfermer à double tour. Je l’ai entendu cogner partout. Le matin, une fois parti à ses cours sans m’adresser la parole, le spectacle dans sa chambre était hallucinant. Les portes de ses armoires étaient défoncées, ses affaires sur le sol arrachées de la penderie. Il ne revint pas ce soir-là à la maison. Il m’expédia seulement un texto pour m’avertir qu’il passait la nuit chez un ami, sans me préciser lequel. Le lendemain, je fus avertie par l’école qu’il ne s’y était pas rendu. Il me fallait tenter d’aller à sa recherche, tenter de dialoguer pour rétablir l’ordre et, malheureusement, je n’en avais pas envie; ou plutôt, le courage me manquait.
Pour inhiber la violence qui montait en moi et mettre de l’ordre dans mes pensées, je m’étais rendue à mon club de sport. A mon retour, mon fils n’était pas encore là. Une fois dans ma chambre, je découvrais qu’il l’avait visitée, les tiroirs de mon bureau avaient été inspectés et un de mes bracelets manquait. Je les ai toujours déposés à la même place, sur ma commode. J’en suis restée atterrée. Le pire, c’est que plus tard dans la soirée, il nia tout effrontément et m’attaqua d’une façon complètement inattendue. Il me jeta à la figure qu’il n’en attendait pas moins de moi qui ne suis pas sa vraie mère. Et que maintenant, il était assez grand pour retourner chez les siens et que je n’avais aucun droit de m’y opposer.
Franchement, cet enfant, que je continue malgré tout d’appeler mon fils, ne se rend pas bien compte de l’effet qu’ont sur moi ses agissements et ses paroles. Si par malheur j’en viens à regretter de l’avoir adopté, nous serons tous les deux perdus, ensemble et l’un pour l’autre!».
Mariem Bennani