La proclamation du califat par l’Etat islamique, le 29 juin 2014, a été un événement considérable car, dans le monde musulman, le califat a une portée symbolique très forte. Il rappelle les grandes puissances que furent les califats de Damas, de Bagdad, du Caire et bien sûr celui ottoman tout au long des siècles. Age d’or de l’islam, parfois très amplifié, mais qui continue de séduire et de susciter des engagements fanatiques, comme l’a prouvé la guerre en Syrie.
Ce vieux rêve d’une unification musulmane qui abolit les frontières, héritage pour beaucoup de la colonisation occidentale, a repris corps quand Abou Bakr al-Baghdadi a proclamé le califat et exigé un serment d’allégeance des musulmans du monde entier. Cet acte symbolique a eu un retentissement tel que des dizaines de milliers de volontaires sont venus en Syrie accomplir un devoir considéré comme sacré, car prélude à la conquête du monde par l’islam.
Les islamistes syriens se sont pourtant divisés sur cette question. Une partie des militants d’Al Nosra, affiliés alors à Al-Qaïda, étaient hostiles à cette proclamation, car ils pensaient qu’une concrétisation territoriale avant la victoire en Syrie ne pourrait qu’aider le régime. En effet, un acte aussi symbolique risquait de faire basculer beaucoup d’indécis sunnites dans le camp de Bachar.
C’est en effet ce qui s’est passé, tant la perspective de vivre sous la loi de l’Etat islamique était peu attrayante pour l’élite sunnite syrienne qui s’était toujours accommodée du régime alaouite. Elle a également renforcé la volonté des alliés de la Syrie -Iran et Hezbollah libanais en tête,- de ne pas laisser les islamistes sunnites gagner la guerre. La perspective de se retrouver avec un califat islamiste à leurs portes ne les enchantait pas vraiment…
En suscitant des milliers de volontaires caucasiens, elle a également aidé à l’intervention russe, guidée par bien d’autres raisons, il est vrai. Mais la perspective de pouvoir éliminer l’élite islamiste tchétchène, ouzbeke ou turkmène a intéressé Poutine, comme il l’a lui-même déclaré.
Daech : Sa guerre continue
Daech a perdu une bataille, mais n’a pas perdu la guerre, analyse Laurent Bodin dans le journal L’Alsace. Ce qui signifie que l’ensemble des pays engagés contre le fanatisme islamique radical aurait tort de croire que la menace est écartée et que la vie peut reprendre comme avant. Méfions-nous de l’eau qui dort, surtout en cette période de fêtes de fin d’année. De nombreuses zones restent sous la menace militaire du groupe Etat islamique, que ce soit en Libye, en Syrie et en Irak ou au Sahel, en Afghanistan… Ensuite, la guerre que Daech a déclarée au monde libre à travers les actions terroristes est, elle, loin d’être gagnée. D’abord, parce que cette méthode lâche (consistant à frapper les innocents) et insidieuse, en ayant souvent recours à des loups solitaires, rend difficile la prévention de ces actions, surtout dans les pays démocratiques. La frontière entre le plein exercice des libertés fondamentales et la restriction de celles-ci au nom de la sécurité nationale ne se pose pas dans les pays autoritaires. C’est beaucoup plus complexe dans les nations fondées sur l’Etat de droit.
Au-delà de la menace terroriste qui n’épargne aucun pays, un des défis posés aux démocraties est le sort réservé à leurs ressortissants partis combattre sous le drapeau noir du groupe Etat islamique. Un procès puis la prison ne sauraient suffire à régler la question.
En arrière-plan, figure aussi le sort des enfants de ces fanatiques partis combattre contre la France et qui s’apprêtent à rentrer ou l’ont déjà fait. Ces gosses, élevés dans la culture de la haine, ne sont pas responsables des actes de leurs parents. Faire comme si de rien n’était, vouloir passer sous silence les horreurs endurées par ces gamins sous prétexte de l’inhumanité de la cause djihadiste endossée par des adultes, cela risquerait de réveiller, demain, des démons enfouis. Il n’existe aucune solution miracle à cette problématique. Nier sa gravité n’en serait que plus dangereux.
Patrice Zehr