Deux des pays les plus importants du monde ont reconduit et renforcé leurs pouvoirs présidentiels. La Russie de Poutine, bien sûr, mais également la Chine de Xi Jinping. Quand on ajoute des régimes comme la Turquie, l’Iran, la Hongrie et même l’Inde, il y a une évidence.
Il y a une planète post-démocratique en rupture totale avec une volonté de démocratisation à l’occidentale. La mondialisation politique est en échec. On pourrait même dire qu’elle est contestée dans le pays qui la porte depuis la Deuxième Guerre mondiale: les USA de Trump.
L’ampleur du phénomène n’est pas traitée dans les grands médias des principales démocraties dans sa globalité. Ainsi, les journalistes sont-ils bien plus sévères pour Poutine que pour Xi Jinping. Et pourtant, le premier a moins de pouvoir que le second. Quant au président turc, il bénéficie d’une compréhension des Européens qui est assez inexplicable au regard de son comportement, notamment en Syrie contre les kurdes.
Tout est reproché à Poutine, le massacre de civils syriens, la tentative d’assassinat d’un espion retourné en G-B; il y a une campagne de diabolisation et d’isolement du président russe qui correspond et ce n’est certes pas un hasard avec sa réélection et la proximité de la Coupe du monde de football en Russie.
C’est pourtant le tsar incontesté de l’immense Fédération de Russie, sur onze fuseaux horaires. Il est au pouvoir depuis Noël 1999. A soixante-cinq ans, Vladimir Vladimirovitch Poutine est l’homme qui aura restitué à un pays dévasté par l’effondrement de son système deux qualités que les Russes recherchent: la stabilité et l’honneur. Inutile de pinailler sur les piètres résultats économiques de ce système; sur le fléau de la corruption; sur l’occasion ratée de faire entrer la Russie dans la modernité. Poutine est populaire.
Ce qui est intéressant à observer, ce n’est pas tant la fabrique de ce consensus, où se mêlent le goût pour l’homme fort et la nostalgie de la puissance. Mais où va la Russie de Poutine aujourd’hui, à l’orée de son quatrième mandat? A en juger par la crise des espions qui a éclaté la semaine dernière avec la Grande-Bretagne, c’est une nouvelle saison de tension qui s’annonce.
Poutine sera réélu démocratiquement mais, en Chine, il y a eu un coup d’Etat constitutionnel.
Le Parlement chinois a, sans surprise, validé l’abolition de la limite des mandats présidentiels. Les députés de l’Assemblée nationale populaire (ANP) ont ainsi plébiscité un changement de la Constitution qui limitait jusqu’alors les mandats présidentiels à deux fois cinq ans. Désormais, Xi Jinping, 64 ans, va pouvoir se maintenir à la tête de l’Etat après le terme prévu de 2023, soit l’issue du deuxième mandat qu’il va prochainement entamer. La limite de deux mandats avait été imposée dans la Constitution de 1982 par l’homme fort de l’époque, Deng Xiaoping, afin d’éviter un retour au régime dictatorial de l’ère Mao Zedong qui a dirigé le pays entre 1949 et 1976. Ce résultat est dû à la capacité que s’est octroyée Xi Jinping de placer ses hommes à des postes stratégiques et à la campagne anti-corruption qui a visé plus de 1,2 million de cadres du PCC. Surnommé «Xi Dada» (Tonton Xi) par la population, le président de la République populaire est parfois comparé à Mao, pour le culte dont il fait l’objet et ses pouvoirs. Secrétaire général du PCC -«noyau central», comme l’a qualifié le parti en 2016-, président de facto du pays, président de la Commission militaire centrale, président de groupes de travail… Xi Jinping cumule depuis 2012 les fonctions à la tête de la deuxième puissance mondiale. Et cela n’est visiblement pas à la veille de s’arrêter.
Un nouveau tsar en Russie, un nouveau Mao en Chine.
Sans oublier, bien sûr, le nouveau sultan turc et ceux qui rêvent de reconstituer en Europe Centrale une sorte d’Autriche-Hongrie anti-migratoire.
Après avoir remporté un référendum en avril pour renforcer considérablement son pouvoir, le président turc, Recip Tayyip Erdoğan, a passé l’année 2017 à poursuivre sa priorité ultime: consolider formellement et étendre sa domination pour emporter les futures élections de 2019. Si Erdoğan veut assurer sa position à long terme, il doit gagner la partie laïque et républicaine de l’électorat polarisé qui a voté contre ses plans. Plus récemment, Atatürk a été mentionné plus chaleureusement dans la presse pro-AKP et par Erdoğan lui-même. C’est une tentative de paraître conciliant face à l’électeur laïc, sans perdre pied avec la base de l’AKP.
Le syncrétisme est la potion magique des nouveaux autoritarismes: Russie impériale et soviétique, communisme et capitalisme, islamisme turc et rêve ottoman.
Les démocraties qui tentent de bâtir un avenir pour des populations mélangées, quitte à s’excuser pour le passé, semblent menacées par un retour en force, dans certains pays, d’une histoire magnifiée.
Il y a bien une tentation nationale identitaire contre le mondialisme libéral, de Washington à Pékin, en passant par Budapest, Istanbul et Moscou.
Patrice Zehr