Elisabeth Guigou : Ancienne ministre française de la Justice

Elisabeth Guigou : Ancienne ministre française de la Justice

«La proposition marocaine d’autonomie au Sahara est à même de régler un conflit qui n’a que trop duré»

Que vous inspire, aujourd’hui, ce Forum Crans Montana à Dakhla?

En ce qui me concerne, cette importante rencontre m’offre l’occasion de visiter pour la première fois cette belle ville de Dakhla et ce ne sera pas la dernière. J’ai remarqué, ici, qu’il y a beaucoup de créativité et de dynamisme. Et puis, c’est une région qui se développe. Je sais d’ailleurs les efforts fournis par le Maroc et que je soutiens, bien entendu.

Quel est le plus important à fournir dans cette région?

Ce qu’il faut, aujourd’hui, c’est agir davantage en faveur de la jeunesse, me semble-t-il. Il y a d’énormes initiatives intéressantes. Je vous cite, comme exemple, le Learning Center financé par l’OCP. C’est très intéressant, parce qu’il y a des programmes pour des jeunes diplômés, pour leur permettre de développer des projets professionnels.

Il en faut plus pour la jeunesse?

Des programmes pour la jeunesse, oui. Pas forcément celle qui a déjà des diplômes universitaires; mais pour la jeunesse qui n’est pas suffisamment éduquée et qui a besoin qu’on lui enseigne ce qu’est la citoyenneté, à parler, à mieux connaître son environnement institutionnel, à exprimer aussi ses projets artistiques ou sociaux. Il faudrait plus d’opportunités pour la femme aussi.

La femme?

Au Maroc, il faut le reconnaître, il y a de remarquables initiatives pour la promotion de la femme. Je citerais, comme exemple, l’Initiative pour le Développement Humain (INDH) qui a énormément de femmes jeunes et même des moins jeunes d’ailleurs et offre des opportunités pour pouvoir réaliser des projets.

Nous les avons vues lors de ce Forum prendre la parole. Elles sont très motivées, parce qu’elles savent peut-être qu’elles ne peuvent compter que sur elles-mêmes, pour pouvoir devenir autonomes et parce qu’il existe encore des sociétés, ici et là, qui favorisent les hommes. Il faut donc donner davantage d’opportunités aux femmes.

Et la démocratie au Maroc, estimez-vous qu’elle avance?

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Oh oui, nettement! Il y a davantage de liberté d’expression. Plus que dans nombre de pays de la région. Rien n’est parfait naturellement. Au Maroc, on reconnaît les associations de plus en plus, les tribunaux militaires ne sont plus compétents, ce sont des tribunaux civils qui le sont. L’annonce avait été faite par SM le Roi Mohammed VI, elle est aujourd’hui appliquée.

Avec la Constitution de 2011, il y a des avancées énormes: le Parlement a beaucoup plus de droits et de prérogatives. Il y a réellement un système institutionnel et juridique…

Il y a cependant beaucoup à faire. Il faut que les tribunaux fonctionnent bien, parce que s’il n’y a pas d’Etat de droit et s’il n’y a pas de respect concret de l’Etat de droit, c’est un frein au développement. Mais, au Maroc, il y a eu des progrès formidables.

Que diriez-vous de la coopération France-Maroc?

Moi personnellement, je suis très heureuse d’avoir fait ratifier par le Parlement français, quand j’ai présidé la Commission des Affaires étrangères, la nouvelle convention judiciaire entre la France et le Maroc qui a mis fin à la brouille qui a eu lieu pendant plus d’un an entre les deux pays.

Quelle nouvelle coopération juridique aujourd’hui?

Nous avons, aujourd’hui, une coopération de magistrat à magistrat. Je donne cet exemple -il y en a d’autres-, parce qu’elle a permis à nos deux pays de sortir d’une situation qui aurait perduré. Car en définitive, c’est avec le Maroc que nous avons la meilleure coopération économique. En vérité, la France a avec le Maroc à la fois des liens et un partenariat qui n’a d’équivalent avec aucun autre pays au monde.

Vous dites être née deux fois au Maroc. Comment avez-vous réussi une telle prouesse?

Effectivement, je suis née deux fois au Maroc.

Comment cela?

(Rires) La première fois à Marrakech, lorsque ma mère m’a mise au monde. Mais comme c’était au mois d’août et qu’il faisait 50° à l’ombre, j’ai failli mourir deux jours après et on m’a emmenée aux urgences à Essaouira où j’ai recommencé à retrouver la vie. Ainsi, je suis née à Marrakech et à Essaouira, m’a raconté ma mère.

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L’ancien Président, Nicolas Sarkozy, qui a assisté au Forum Crans Montana, a appelé à des négociations entre le Maroc et l’Algérie pour rouvrir les frontières entre les deux pays?

La fermeture des frontières entre les deux pays est préjudiciable à tous les pays de la région, y compris à beaucoup de pays subsahariens.

Comment sortir alors de cette crise latente?

Je pense, comme d’ailleurs la diplomatie française depuis longtemps, que la proposition marocaine d’autonomie au Sahara est à même de régler un conflit qui n’a que trop duré. Je pense qu’il faut y arriver.

Et l’impact du retour du Maroc à l’Union Africaine?

Je dirais que c’est fondamental, parce que, pour qu’il y ait un partenariat d’égal à égal entre les Africains en général et l’Europe, il faut que les Africains s’unissent. Sinon, il y a forcément déséquilibre. C’est pour cela que la vision de SM le Roi Mohammed VI et son adhésion à l’Union Africaine a du sens. J’espère que le Maroc pourra adhérer aussi à la CEDEAO. C’est bien qu’il y ait des intérêts communs dans de petits groupes de pays, parce que 54 pays en Afrique, c’est quand même beaucoup…

Le Roi Mohammed VI?

J’estime que SM le Roi Mohammed VI est quelqu’un de profondément humain à travers les initiatives sociales qu’il prend: l’INDH, à titre d’exemple. Il est très proche de son peuple. Je le crois très sincère dans sa volonté à la fois pour que le Maroc s’engage davantage dans la modernité et aide les autres pays d’Afrique à faire ce que le Royaume a réussi à accomplir et, en même temps, pour qu’il maintienne une forme d’attachement aux traditions ancestrales.

Ce dialogue entre le respect de l’identité profonde, de son histoire profonde et la modernité, c’est finalement la clé du succès du Maroc.

Interview réalisée à Dakhla par Mohammed Nafaa

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