Partis et syndicats ont appris la «nouvelle» de l’indexation (au Maroc) des prix des produits pétroliers sur les cours mondiaux, comme tout le monde, au retour de congé, quand la décision est parue dans le Bulletin Officiel. Ils enragent donc contre le chef de gouvernement et son parti (le PJD, islamiste) qui ont pris cette décision sans concertation préalable. Décision, par ailleurs qu’ils contestent. Leurs avis.
Premiers avis: l’indexation, ce mal nécessaire
Selon cet ancien ministre, l’indexation se veut un mal nécessaire. Pour autant, la mesure «unilatérale» risque d’alimenter les tensions sur le débat social en panne depuis l’accord du 26 avril 2011.
Le débat sur l’indexation a davantage une connotation politique, qu’économique ou technique. Cet ancien ministre qui requiert l’anonymat n’y va pas par quatre chemins. «D’un point de vue technique, l’indexation se veut un mal nécessaire. Du côté politique, c’est jeter de l’huile sur le feu dans le souci de minimiser l’effort d’assainissement des comptes publics et rendre par-là une telle mesure impopulaire et anti sociale», commente-t-il.
Rien de plus clair que ça! Toutefois, et le mécanisme d’indexation partielle en soi et le timing choisi ont été exposés au feu des critiques.
Qu’en dit le doyen Oulhaj ?
Lahcen Oulhaj, ancien doyen de la Faculté de droit de Rabat-Agdal, trouve que «c’est un peu étonnant de prendre une décision pareille par un gouvernement qui n’est même pas complet, se contentant jusqu’alors de gérer les affaires courantes», précise-t-il. Et le membre du Conseil économique, social et environnemental d’ajouter que «l’exécutif aurait dû attendre la rentrée, le temps de voir le gouvernement prendre forme et, partant, ouvrir un débat national pour finir en définitive avec la mise en place de l’indexation». L’économiste pense en fait que «cette mesure unilatérale n’est qu’une réformette pour dire au FMI que nous sommes en train de faire quelque chose. Elle ne résout en rien les problèmes accumulés au fil du temps. Le problème n’est pas pris à la racine. En tout cas, le gouvernement est confronté à un dilemme. Soit, il maintient le dispositif des subventions aux produits pétroliers. Auquel cas, il montre à Monsieur tout le monde qu’il est à court d’idées pour une réforme de fond en comble. Soit, il supprime catégoriquement ces aides publiques, c’est-à-dire s’aligner sur les prix du marché mondial. Et là, ce sont la classe moyenne et les basses couches sociales qui paieront le prix». Le plus inquiétant dans tout cela, dit-il, c’est que le gouvernement a établi un scénario prévisionnel trop optimiste, tablant sur une accalmie des prix à l’international avec, en toile de fond, une atténuation prévue des crises syrienne et égyptienne. Plus encore, Oulhaj estime que le fonctionnement «lacunaire» du dispositif risque d’empirer la situation, étant donné qu’il n’est pas prévu un mécanisme d’aides directes au profit des familles pauvres allant de pair avec la libéralisation partielle.
Et le syndicaliste Habchi ?
Même son cloche auprès de Larbi Habchi, membre du Bureau exécutif de la Fédération Démocratique du Travail(FDT) qui s’interroge sur les bases scientifiques et méthodologiques à l’origine de cette approbation. Il fait référence en quelque sorte à l’absence d’étude d’impact à même de limiter dans le temps et l’espace les effets négatifs éventuels. Au sein de la centrale syndicale, rien n’est encore décidé, assure-t-il, pour une éventuelle réaction. «Des réunions ont été tenues et d’autres sont prévues dans les jours à venir. L’objectif est de ficeler tout un programme afin de relancer le débat social en panne depuis l’accord du 26 avril 2011. Cela montre à quel point le gouvernement est incapable d’exécuter les dispositions de cet accord», s’emporte-t-il. Il croit que le gouvernement en place ne dispose ni de culture politique, ni de visibilité, encore moins de volonté d’instaurer une réforme globale de la Caisse de compensation afin de venir à bout des virus de la rente pétrolière et de la corruption. En un mot, «il ne cherche qu’à équilibrer les comptes financiers au détriment des équilibres sociaux», conclut-il.
USFP: l’indexation est préjudiciable à la compétitivité nationale
Habib El Malki, membre du Bureau politique de l’USFP, président du Centre Marocain de Conjoncture et économiste, livre au Reporter son avis sur la décision du gouvernement d’appliquer l’indexation.
Tout d’abord, comment jugez-vous, de manière globale, ce recours à l’indexation?
Le gouvernement réforme à reculons. Le retour au système d’indexation, qui a été abandonné à la fin des années 90, exprime l’absence de volonté politique d’œuvrer sur une base sérieuse et concertée qui porte atteinte au chantier des réformes. C’est un système qui répond à un seul objectif. La démarche du gouvernement répond à ce seul objectif de maintenir le niveau des subventions en faveur des produits pétroliers sans aggraver les charges de la Caisse de compensation. C’est une démarche à objectif comptable et financier, c’est-à-dire que c’est une démarche qui écarte les incidences économiques et sociales. D’autant plus que le système d’indexation, dans le contexte actuel, ne peut que se traduire par une élévation du niveau général des prix, c’est-à-dire un système inflationniste.
Le timing pour une telle décision n’est-il pas mal choisi?
En effet, tout le monde sait que la tendance du prix du baril est à la hausse pour des raisons plus géopolitiques qu’économiques. Le Moyen-Orient, grande région productrice de pétrole, est secouée par des tensions extrêmement fortes qui rendent incertain le marché international du pétrole, voire imprévisible et très fluctuant.
Le choix du moment pour une pareille décision n’est donc pas opportun et cela va forcément pénaliser les ménages. C’est donc une mesure inflationniste qui va à l’encontre de la compétitivité nationale. Nul n’ignore que la Caisse de compensation soutient, à près de 80%, le prix des produits pétroliers et l’essentiel de l’usage est à caractère industriel. Donc, c’est une mesure qui va se traduire par l’accroissement du coût de production, fragilisant par-là l’entreprise marocaine.
On parlait pourtant de mesures d’accompagnement pour faire face aux éventuelles incidences…
Ce qui a été dit, c’est plutôt sensibiliser, informer, etc. On attend un dispositif d’accompagnement qui va être annoncé par le gouvernement. Mais la mesure, par sa nature, sa portée et ses effets, n’est véritablement pas du tout appropriée, puisque c’est une mesure hors temps économique et social.
Que fallait-il faire alors?
Au lieu d’une mesure anti économique, anti sociale, qui répond à des exigences comptables, puisqu’elle n’aide nullement la compétitivité nationale, surtout en ce moment où le Maroc a été déclassé de 7 points dans la nouvelle donne parue au rapport du «World Economic Forum» (WEF), dans le domaine de la compétitivité, au lieu de cela, il aurait été plus indiqué d’attendre la loi de Finances 2014 pour intégrer cette mesure dans le cadre d’un dispositif beaucoup plus global touchant le système de compensation. Ce retard pris dans la préparation de la loi de Finances 2014 est également pénalisant pour l’économie marocaine. Donc, nous vivons une «mal-gouvernance» dans la gestion des dossiers économiques et sociaux.
Mais la loi de Finances 2014 est aussi en retard…
C’est juste. La note de cadrage n’est pas encore rendue officielle du fait des négociations pour faire aboutir le remaniement gouvernemental. Voilà pourquoi ce retard est préjudiciable, vu l’absence de visibilité pour l’année prochaine. Donc, ça va être une loi de Finances improvisée et on va encore une autre fois recourir au bricolage à travers l’assemblage de mesures techniques.
UMT: dure, dure la pilule de l’indexation !
Difficile d’avaler la pilule de l’indexation. Moukharik est on ne peut plus clair: «Une mesure très, très dure qui va à l’encontre des intérêts socio-économiques des citoyens».
Face à la décision officielle d’indexation, le Secrétaire général de l’Union marocaine du travail (UMT), Miloudi Moukharik, ne mâche pas ses mots. «Nous sommes prêts à agir contre tout dérapage politique», lance-t-il. Étant surpris comme tout le monde, eu égard à la décision gouvernementale prise unilatéralement et sans concertation aucune avec les composantes politiques du pays, il annonce dans sa déclaration au Reporter qu’il compte protester dans le futur proche auprès du chef de gouvernement. Ira-t-il seul afin de manifester son opposition et sa «stupéfaction» ou bien en compagnie des autres acteurs du mouvement social dans la finalité de mettre plus de pression ? Moukharik répond que «l’UMT, sans ligne politique appropriée, agira seule». Sur une question portant sur l’effet des hausses éventuelles des prix pétroliers sur le pouvoir d’achat des ménages, le leader syndicaliste assure que «ce serait très dur».
Il est un constat sans appel: le coût de la vie augmente plus vite que les salaires, c’est-à-dire qu’il n’y a pas d’indexation des salaires sur le coût de la vie, économiquement s’entendent. Le risque de voir les tensions inflationnistes s’accentuer guette donc de près. Face à cette situation, «nous n’avons cessé de recommander l’application du mécanisme de l’échelle mobile des salaires (l’indexation), une pratique qui existe d’ailleurs dans plusieurs pays. Malheureusement, le gouvernement a fait la sourde oreille. Nous n’allons pas baisser les bras et nous insistons pour revenir à la charge afin d’arriver à revaloriser les salaires», appuie-t-il.
Cet avis serait-il du goût du patronat? Rien n’est sûr. Pourtant, Moukharik se veut très optimiste: «La CGEM veut la paix sociale. Elle cherche à entretenir des relations sociales sereines avec les employés tout en aspirant à leur garantir des salaires décents», soutient-il.
Miloudi Moukharik : «Une mesure très, très dure. Depuis que nous avons pris les rênes de l’UMT, nous n’avons cessé d’alerter les pouvoirs publics et de dénoncer les hausses consécutives du coût de la vie ayant entraîné l’effritement du pouvoir d’achat des classes ouvrières, toutes catégories confondues. Leur budget a subi des coups de boutoir dès le début de l’exercice du gouvernement Benkirane. Et ça ne cesse de s’aggraver de jour en jour, comme le montre la dernière revalorisation du prix du lait. Nous avons appris avec un grand étonnement le fait que le gouvernement n’en soit pas au courant. C’est vraiment une chose bizarre. Par effet de cascade, ces réévaluations ne manqueront pas de se répercuter négativement, encore une fois, sur le pouvoir d’achat des citoyens. Nous dénonçons avec force cette mesure antisociale. On compte envoyer au gouvernement, dans les plus brefs délais, un mémorandum brossant le malaise profond qui règne au sein de la centrale syndicale. À cet effet, des commissions de travail seront constituées en vue de débattre, de dénoncer et de ne pas laisser passer de telles mesures qui vont à l’encontre des intérêts socio-économiques des citoyens». |