Le Maroc a mis en place une stratégie et un plan d’action, dans la perspective de formuler une politique globale en matière d’immigration et pour le respect des droits des migrants. Cette nouvelle vision, conformément aux orientations royales, se veut humaniste, globale et responsable.
Elle prend en considération les grandes mutations que connaît le phénomène migratoire aux niveaux régional et international.
Cette nouvelle politique migratoire place ainsi le Maroc au premier plan dans le monde arabe, sachant qu’il a été l’un des premiers pays à avoir ratifié la convention de Genève en 1956. Elle fait de lui un exemple à suivre en Afrique et un modèle dans le monde arabe, sans avoir rien à envier aux pays occidentaux, l’Europe en tête.
L’annonce de cette vision royale a été bien reçue à l’international et a suscité des réactions positives tant au niveau des Etats qu’à celui des organismes internationaux. Elle a été unanimement et positivement saluée au même rang que le rapport thématique du CNDH. Le Secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, s’en est félicité.
Pour Marc Fawe, chargé des relations extérieures au Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés au Maroc, d’ici une ou deux années, le Maroc sera doté d’un système d’asile qui fera de lui le premier pays arabe à en avoir. Il n’aura alors rien à envier aux pays européens dans ce domaine. Le tour de la question avec M. Fawe.
MN
Entretien
Marc Fawe, chargé des relations extérieures au Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés au Maroc
«Au Maroc, il y a 800 réfugiés et 4.000 demandeurs d’asile»
Quelle est votre appréciation en tant que responsable au HCR sur la nouvelle stratégie marocaine en matière d’immigration?
La nouvelle politique migratoire demandée et mise en place par SM le Roi Mohammed VI est un moment très positif, très encourageant aussi. Elle ouvre des perspectives d’avenir extrêmement positives pour l’avenir proche et lointain.
Pensez-vous que la mise en œuvre de cette stratégie va demander du temps?
J’estime que développer une stratégie nationale sur une question aussi complexe que l’immigration exige un peu de temps.
La décision en elle-même?
Vous savez, ce qui est important, c’est qu’aujourd’hui, au niveau du pouvoir, il y a une décision qui a été prise pour dire que le Maroc a besoin de cette politique globale. Maintenant, il faut œuvrer pour l’appliquer.
Quelle coopération et quel accompagnement dans ce sens de la part du HCR?
Nous sommes là pour soutenir les autorités marocaines et les accompagner dans la mise en place dans cette stratégie.
Comment?
De telle sorte qu’elle reflète les engagements internationaux du Maroc.
Comment voyez-vous cette politique migratoire?
Elle est globale. Le rapport du CNDH prévoit des recommandations à quatre niveaux: il y a les questions de migration irrégulière et régulière, en plus de la coordination des nouveaux partenariats pour cette politique migratoire.
Le Maroc a transféré les demandes d’asile à son ministère des Affaires étrangères. Comment se présentait la situation avant cela?
Avant, il y avait le Bureau des apatrides qui a fonctionné entre 1957 et 2004. Il a suspendu ses activités en 2004.
Quelle est la première étape de cette nouvelle politique d’asile?
La première étape, c’est de régulariser le statut des réfugiés qui sont reconnus comme tels par le Haut-commissariat aux réfugiés, pour valider ce statut aux yeux du gouvernement marocain. C’est aussi ce qui se faisait avant 2004, mais pas entre 2004 et 2013.
Qu’en était la raison?
Ce qui se passe, c’est que le profil migratoire du Maroc change quand même très fort dans les années 1990 et 2000. Il y a un nouveau profil migratoire du pays. Il est vrai que le cadre légal et institutionnel, à l’époque, n’était pas à jour. Il fallait de ce fait le réviser et l’amender.
Il y avait un vide. Aujourd’hui, un nouveau profil s’annonce et prend forme avec les Hautes directives de SM le Roi.
Qu’en est-il des dossiers qui étaient reconnus par le HCR?
Ils sont maintenant revus et validés par un comité qui invite les réfugiés reconnus par le HCR à se présenter devant lui.
Sont-ils reconnus par le Maroc?
Aujourd’hui, ils sont reconnus par le gouvernement marocain, ce qui n’était pas le cas pendant les huit dernières années.
En êtes-vous satisfaits au HCR?
C’est extrêmement important pour nous, au CHR, parce que c’est quelque chose pour laquelle nous plaidions depuis 2004, car ce qui se passait avant était que les gens n’avaient pas de statut régulier aux yeux de l’Etat marocain.
Ils étaient quand même tolérés…
Ils étaient certes tolérés, mais pas reconnus par le Maroc en tant que réfugiés, donc pas de possibilité de travailler légalement.
Trouvez-vous que la nouvelle stratégie migratoire du Maroc est davantage soucieuse du volet humanitaire?
C’est vrai que la dimension humanitaire est présente et acquise. Il faut savoir que les réfugiés et les demandeurs d’asile sont des gens qui ont tout perdu. Ils ont dû souvent quitter dans l’urgence leur pays et leur famille et laisser leurs biens. Et quand ils viennent ici pour demander l’asile, l’idée est qu’ils puissent reconstruire leur vie dans la sécurité et la dignité. Le problème des gens est donc humanitaire.
Les problématiques de la migration, qu’elle soit régulière ou irrégulière, sont des sujets liés et, en même temps, très disparates. Tous les réfugiés sont des migrants. Ils ont tous bougé, mais tous les migrants ne sont pas des réfugiés.
Qu’est-ce qui fait alors la différence entre un migrant et un réfugié?
Ce qui fait la différence, c’est que le réfugié est forcé de partir de chez lui, de fuir la persécution, soit parce qu’il y a problème politique, soit parce que c’est une fille qu’on force à se marier, soit encore parce que le réfugié appartient à une religion qui n’est pas celle de l’Etat. Donc, il est persécuté par celui-ci et là, la migration est forcée. Le migrant économique et irrégulier, c’est quelqu’un qui a la même dignité humaine que le réfugié, mais il a choisi de partir de chez lui.
C’est tout aussi terrible que la pauvreté pousse les gens à quitter leur pays.
Oui, mais le migrant irrégulier n’a pas une arme sur la tempe qui lui dit: «Tu pars d’ici ou je te tue». Ce n’est pas tout à fait le même profil.
Le Maroc s’est-il transformé de terre de transit vers l’Europe en une terre d’accueil et aujourd’hui d’asile?
Je crois que là, il faut absolument faire la distinction. Le Maroc veut continuer à rester certainement un pays de transit pour des personnes qui, de manière irrégulière, souhaitent passer de l’Afrique vers l’Europe. En cela, j’espère qu’il ne changera pas.
Le transit perdure…
Il y a cela aussi: la transition devient durable.
Est-ce que le migrant s’installe définitivement?
Cela est valable pour les migrants qui choisissent librement de bouger pour des raisons économiques ou d’études.
Mais cela ne les empêche pas de se plaindre, de parler de maltraitance, sachant qu’ils se trouvent en situation irrégulière. Dans les pays de l’Union européenne, ils sont carrément renvoyés chez eux.
Ce n’est pas à moi de parler de cela. Ce serait plutôt à l’Organisation internationale des migrations ou aux ONG marocaines de plaider pour un mouvement libre des personnes.
Quel avenir pour ces migrants?
Au Maroc, il y a cette volonté de régulariser, de donner des papiers à ces migrants économiques qui n’ont pas fui la persécution, mais qui sont là depuis dix ans et qui ont montré quand même qu’ils sont intégrés dans la société marocaine. Il y a donc besoin pour ces personnes d’être régularisées.
Les éventuels prétendants à cette régularisation sont-ils nombreux?
Ce type de régularisation n’est pas à long terme, mais serait ponctuel pour les gens qui pourraient dire et prouver surtout qu’ils sont installés au Maroc depuis une décennie. Il faudrait dire, par exemple: «Je travaille et souhaite avoir des papiers». C’est ce qui s’est passé en Italie avec la régularisation de milliers de migrants, dont la première communauté est marocaine. Ainsi, nombreux sont ceux qui ont été régularisés.
Oui, mais le Maroc n’a pas besoin de main-d’œuvre ?
Même si ce n’est pas de mon ressort de répondre à cette question, je dirais que des personnes très bien placées dans les structures officielles marocaines ne disent pas cela.
Que disent-ils ?
Ils disent que le Maroc a besoin aujourd’hui, comme les Etats européens, de main-d’œuvre migrante pour occuper des postes de travail vacants que les Marocains boudent ou dédaignent.
L’octroi du droit d’asile n’est pas nouveau pour le Royaume, non ?
Le Maroc a ratifié la Convention de Genève sur la ville en 1956. Il était de ce fait le premier pays arabe à avoir ratifié ladite convention. Il a très vite adopté une loi nationale, un décret royal pour donner à la ville les bases nécessaires afin d’être une terre d’asile. C’est quelque chose que le Maroc a fait de manière tout à fait souveraine et libre, il y a de cela soixante ans. Ça a fonctionné, mais avec très peu de personnes: deux cents à trois cents personnes en 40 ans. Maintenant, il y a un peu plus de personnes qui demandent l’asile. Aujourd’hui, il y a plus de 800 réfugiés.
Et les demandeurs d’asile?
Il y a, plus ou moins, 4.000 demandeurs d’asile.
Sont-ils enregistrés en bonne et due forme?
Ce sont ceux que le HCR a enregistrés.
A votre avis, le Maroc a-t-il la capacité d’accueillir et d’insérer ces personnes dans la société?
Ma réponse, en tant que HCR, est très claire. Bien sûr qu’il a la possibilité d’insérer 1.000 personnes dans une population de 33 millions d’habitants et dans un territoire aussi vaste que le sien, comparativement à des pays comme la Jordanie, le Liban, l’Irak ou l’Egypte où vous avez entre 200.000 et 500.000 Syriens. Je ne parle même pas des Palestiniens qui sont en Jordanie ou au Liban. Donc, 500 mille personnes pour une population de 5 à 6 millions. Là, on peut se poser la question de savoir s’il est possible pour ces pays d’absorber autant de personnes.
Pour le Maroc, un pays de 33 millions d’habitants, stable et avec une croissance économique de 4 à 8% selon la conjoncture, 1.000 à 2.000 personnes, c’est franchement dans les cordes.
Il y a quand même des efforts à fournir pour intégrer ces personnes.
Je crois que ces gens pourront s’intégrer s’il y a une stratégie d’insertion de cette population.
Quels acquis pour le Maroc?
Aujourd’hui, ce qui se passe est une nouvelle page de l’histoire qui s’écrit pour les réfugiés et demandeurs d’asile au Maroc. Le Royaume, 60 ans après avoir ratifié la Convention de Genève, va pouvoir effectivement se doter des moyens de devenir une vraie et réelle terre d’asile où les gens pensent avoir un statut régulier vis-à-vis du gouvernement. Ils pourront travailler et inscrire officiellement leurs enfants à l’école. C’est ce qui va se passer assurément avec cette nouvelle stratégie migratoire.
L’image de marque…?
Assurément, à l’international. C’est clair qu’en termes d’image, si la tendance continue, le Maroc se sera doté d’ici un ou deux ans d’un système d’asile bien huilé. De ce fait, il sera le premier pays arabe à s’être doté d’un système d’asile effectif et opérationnel qui n’aura rien à envier aux pays européens et sera géré à 100% par l’Etat marocain.