Vivre à Aïn Sebaâ, Sidi Bernoussi ou dans certains quartiers industriels de la capitale économique n’est pas bénéfique pour la santé. Car les industriels ne se préoccupent pas de l’impact de leurs produits nocifs sur l’environnement. Ce qui compte pour eux, c’est leur activité industrielle et sa rentabilité.
Des dizaines de milliers de personnes vivent dans les quartiers industriels de Aïn Sebaâ et de Sidi Bernoussi, destinés à l’industrie depuis les années quarante. Et, dans cette zone, la pollution atmosphérique est très inquiétante. La population locale se voit imposer chaque jour un cocktail de produits nocifs composé d’oxyde d’azote, d’ozone, de dioxyde de soufre, de particules acides, des gaz irritants, d’ammoniaque, etc. Ces produits toxiques sont présents dans son quotidien et en grande quantité.
En l’absence d’une politique urbanistique de la ville de Casablanca, les quartiers de Aïn Sebaâ et de Sidi Bernoussi regroupent une large population. Ils connaissent en même temps une concentration industrielle. Les industries qui s’y trouvent sont spécialisées dans la production pharmaceutique, des détergents, du caoutchouc, du plastique, des huiles de table, des matières chimiques, de l’alimentation du bétail, produits agro-industriels, textile, cuir, mécanique, électronique… Les usines implantées dans ces quartiers rejettent donc des fumées toxiques, aux odeurs nauséabondes ou même asphyxiantes. D’autres unités de production se débarrassent de leurs produits toxiques dans la mer. Certaines jettent même des déchets à proximité de leurs usines et ce sont les habitants de cette zone qui endurent.
Que de dégâts!
Les habitants des quartiers de Aïn Sebaâ et de Sidi Bernoussi souffrent ainsi le martyre. Chaque soir, une grande unité industrielle, installée à côté de la mer depuis plusieurs décennies, rejette ses produits nocifs dans l’air, en mer et sur le sol. Il s’agit de la Chérifienne d’Engrais et de Produits Chimiques (S.c.e.). Cette usine de fabrication d’acide sulfonique, de matières actives pour la détergence et le cosmétique, de silicates de soude et de sulfate d’aluminium est source de plusieurs pollutions, dont celles de l’air, de la mer et du sol, rejetant une odeur asphyxiante. Par conséquent, un grand nombre de personnes souffrent d’asthme et d’allergies. L’odeur est suffocante. Elle est si forte qu’elle arrive jusqu’à Sidi Bernoussi.
«Cette usine a toujours existé et elle faisait travailler près de 3.000 ouvriers. Il y a même un site de ces ouvriers à proximité de l’usine. Cette usine a transféré ses activités à Jorf Lasfar, mais elle fonctionne toujours. Chaque soir, elle rejette dans l’air des fumées blanches aux odeurs étouffantes. Ce rejet dure près d’une heure et demie, à partir de 23 heures. Nos enfants souffrent beaucoup de cette odeur et même les grandes personnes. Mais il n’y a pas que cela. Cette usine rejette aussi du souffre et il est dispersé tout au long du mur encerclant l’usine. De plus, l’usine rejette en mer des produits contenant des acides nocifs. Les mesures de protection de l’environnement ne sont pas prises en considération par cette géante usine», explique une personne habitant à proximité de celle-ci. Et d’ajouter: «Avant, il y avait des poissons qui flottaient sur l’eau, chaque fois que les produits étaient déversés dans la mer. Il nous arrivait aussi de nous baigner dans une eau chaude, sans comprendre que ce sont des produits chimiques dangereux».
Un peu plus loin et à proximité de la gare ferroviaire de Aïn Sebaâ, d’autres habitants souffrent de l’activité d’une autre unité industrielle, Cicalim, spécialisée dans la production d’aliments pour volailles. Cette usine dégage une fumée noire, pleine de pellicules et une odeur nauséabonde et insupportable. «J’habite à côté de cette usine qui constitue un sérieux problème pour les habitants de cette zone. L’atmosphère est envenimée par ses rejets aux odeurs insupportables et surtout dégoutantes. Je regrette d’avoir acheté mon appartement dans cet endroit», témoigne un habitant de la Résidence Diar Salam située à côté de Cicalim. «Cicalim dégage une fumée noire, pleine de particules. Les responsables de cette usine auraient dû construire des cheminées très hautes et y installer un système de filtrage pour éviter ces désagréments aux habitants. Parce qu’à chaque rejet, cette fumée les atteint facilement et ils en souffrent beaucoup. Mais il y a également, à côté de notre Résidence, une fonderie qui dégage à son tour une odeur étouffante. Pour ce qui est de Cicalim, un de leurs techniciens nous a informés que l’usine sera transférée à Bouznika, dans une année», relève un des syndics de Diar Salam.
Sidi Bernoussi n’est pas épargné
Les habitants de Sidi Bernoussi ne sont pas épargnés. Les usines qui empoisonnent l’atmosphère de leur zone ne manquent pas. «Dans cette zone industrielle, l’on trouve presque 13 douars et leur population vit dans un environnement non dépourvu d’intoxications. Elle est donc exposée aux dangers de la pollution suite aux rejets des usines, aux déchets de certaines unités pharmaceutiques, à la vapeur dégagée par une autre unité dédiée au pressing et aux mauvaises odeurs dégagées par certaines industries. Les déchets des laboratoires délaissés constituent un réel danger pour la nappe phréatique et les personnes qui sont en contact avec ces produits non traités et abandonnés dans la nature. La population souffre de maladies respiratoires. L’environnement est ainsi délaissé, puisqu’il n’y a pas de contrôle», souligne Kamal Mohamed, un membre de l’association Ruban Vert du quartier Bernoussi.
Dans cette même zone, cette fois-ci à côté du Boulevard Katafa, s’implante une grande unité industrielle, Procter & Gamble. C’est une société multinationale qui fabrique des produits à usage domestique tels les lessives, les détergents, les couches pour bébés… «Cette usine produit les détergents Tid et Ariel. Elle rejette dans l’air une fumée blanche. Depuis, les terrasses des maisons ne sont plus utilisées par les ménagères. Notre linge est refait plusieurs fois. Il y a six mois, cette usine avait dégagé dans cette zone une fumée blanche et épaisse au point que nos têtes sont devenues également blanches, ainsi que les rues et les terrasses. L’usine avait un problème au niveau de son matériel: c’était un filtre qui ne fonctionnait plus. La population a dû organiser un sit-in devant l’usine, manifestant son mécontentement. Le filtre a été donc réparé, mais les rejets sont toujours les mêmes pendant la nuit, vers 22 heures du soir», témoigne Souad, une habitante de cette zone. «Ce qui est évident, c’est que le Maroc ne place pas l’environnement comme étant une priorité. Les responsables encouragent les industriels et les investissements, mais aux dépens de la santé du citoyen et de l’environnement. L’Etat n’a pas de politique pour sauvegarder l’environnement. Et il n’y a pas de rigueur vis-à-vis de ces industriels, s’agissant de la chose environnementale», charge un habitant de ce quartier en colère.
B.D
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A savoir… La pollution chronique est une pollution avec des émissions répétées d’un polluant ou, parfois, lorsque le polluant est rémanent. Pour sa part, la pollution du sol peut être d’origine industrielle, suite à la présence d’une industrie polluante ne prenant pas toutes les précautions nécessaires pour éviter les fuites, surtout avec l’utilisation massive d’engrais ou d’insecticides qui s’infiltrent dans les sols. Ces pollutions agricoles peuvent avoir plusieurs impacts sur la santé en touchant des nappes phréatiques, d’une part, et en contaminant par bioaccumulation les cultures poussant sur ces sols, d’autre part. La pollution de l’eau peut quant à elle avoir diverses origines au niveau des exploitations agricoles industrielles, de l’industrie et des eaux usées non traitées. |
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Environnement La Direction Générale de la Sûreté Nationale (DGSN) a annoncé la création d’un Service central et de Brigades régionales de l’environnement, chargés d’assurer le suivi des infractions environnementales, de mener les enquêtes nécessaires à ce sujet et de présenter les auteurs devant les autorités judiciaires compétentes. La création de cet organe s’inscrit dans le cadre de «la mise en œuvre des nouvelles dispositions contenues dans la Constitution et qui prévoient de mobiliser tous les moyens afin de garantir aux citoyens un cadre de vie sain et le droit au développement durable», précise la DGSN dans un communiqué. |
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Interview
Hassan Chouaouta, président de l’Association marocaine des experts en gestion des déchets municipaux(AMEDE)
«L’environnement, dernier souci des industriels»
Sur le plan réglementaire, la 1ère loi sur l’environnement ne date que de 2006 et son décret d’application ne vient toujours pas. Rien n’oblige donc les industriels à faire des efforts concernant le respect de l’environnement.
Que pensez-vous des usines implantées dans des zones qui ne sont pas en retrait de la ville?
A ce propos, nous avons deux configurations. La première, c’est qu’au Maroc, il y avait des zones industrielles qui étaient installées avant même la population et qui faisaient partie d’une qualification urbaine. On se retrouve donc aujourd’hui avec des zones industrielles qui étaient planifiées dans des zones réservées et qui, malheureusement, avec l’évolution urbaine, sont cernées de bidonvilles dont les habitants ont réclamé le droit au recasement. Par malheur, ces habitants ont été recasés «sur place». La deuxième configuration est que des quartiers, qui étaient prévus pour l’habitat suite à la promotion industrielle qui s’inscrit dans le cadre du développement économique à la hâte, se sont transformés en zones industrielles non structurées. C’est le cas de plusieurs villes au Maroc, ce qui crée un problème de qualification urbaine de ces cités. Ce n’est que récemment que ce genre de problème a été pris au sérieux dans le schéma de la qualification et dans le schéma de développement urbain. Bernoussi est la zone industrielle la plus ancienne du Maroc. Pendant les années 80, il y a eu une poussé de bidonvilles, suite à l’exode rural dû à la sécheresse. En conséquence, il y a eu des quartiers très peuplés. Rien qu’au quartier industriel, l’on peut trouver 14 bidonvilles, ce qui pose un problème en termes de cohérence et de gestion de l’espace.
Peut-on considérer que Sidi Bernoussi et Aïn Sebaâ sont des points noirs en termes d’environnement?
Les usines industrielles, qui se sont installées durant les années 40, 50 et 60 du siècle dernier, ont été construites selon des techniques datant de ces années. Cette zone industrielle regroupe à elle seule 50% de l’industrie nationale. Et c’est normal qu’il y ait, suite à une concentration des industries, une concentration de la pollution. La pollution de l’air dans cette zone est plus visible. Ces usines, surtout ceux des années 40, 50 et 60 n’ont pas procédé à une mise à niveau environnementale. Sur le plan réglementaire, la 1ère loi sur l’environnement ne date que de 2006 et le décret de son application ne vient toujours pas. Rien n’oblige donc ces industriels à faire des efforts concernant le respect de l’environnement. Un autre problème à gérer aussi est le traitement des déchets industriels, que ce soit les déchets liquides ou solides. Ces derniers constituent réellement un danger. Malheureusement, au jour d’aujourd’hui, il n’y a pas une installation des déchets industriels. La seule plate-forme, qui peut éliminer ce genre de déchets, se trouve dans la région de Settat. Mais la réglementation n’est toujours pas appliquée. Les industriels ne sont pas obligés de trouver des solutions à leurs déchets industriels. Le texte de loi sur l’environnement n’a été adopté qu’en 2006 et les décrets qui reprennent cette loi datent de 2008-2009. Mais cette loi n’est toujours pas appliquée. Ceci dit, la loi marocaine est claire en matière de déchets industriels dangereux. Elle stipule que le producteur de ces déchets dangereux doit déclarer annuellement au département de l’Environnement le sort de ces déchets et à qui il les a confiés. Mais le maillon faible dans tout cela reste le contrôle et les mécanismes de ce dernier n’existent toujours pas. Il est vrai que des efforts considérables ont été fournis par le ministère de l’Environnement, mais il faudrait l’épauler, surtout de la part du ministère de l’Industrie, du Commerce et des Nouvelles technologies.
La population de cette zone est exposée à des dangers, suite à cet environnement malsain. Qu’en dites-vous?
Là où il y a plus de risques, c’est quand on a une pollution affectant l’air. Une étude a été faite pour étudier la qualité de l’air dans cette zone industrielle. Elle a révélé que la pollution atmosphérique dans cette zone a atteint un degré très élevé et c’est vraiment alarmant. Si cette zone connaît une concentration industrielle, elle devra aussi, bien évidemment, avoir une concentration de la pollution. La zone regroupe 50% de l’industrie nationale et 70% du parc automobile marocain. C’est ce qui explique le taux élevé des personnes atteintes d’asthme ou souffrant d’allergies.
Comment les déchets industriels représentent-ils un réel danger?
La Commune de Casablanca ou le Conseil de la ville a l’obligation de gérer les déchets ménagers par le biais des contrats avec des sociétés de collecte des déchets. Mais les déchets industriels dangereux sont jetés à côté des usines ou dans la mer, ce qui constitue un danger réel. Ces déchets sont de nature chimique, pharmaceutique ou industrielle, ou encore sous forme d’emballages souillés de produits chimiques. Ils sont abandonnés dans la nature et peuvent contaminer la nappe phréatique. Malgré les efforts faits par la Lydec, nous avons une loi qui stipule que, quand les déchets liquides sont dangereux, il faut les retraiter pour atténuer leur impact avant de les évacuer dans l’environnement. Le taux des industriels qui retraitent les déchets liquides industriels dangereux est très réduit. Le Maroc produit annuellement 260.000 tonnes de déchets, dont 40% sont produits uniquement par Casablanca. Mais il faut souligner que l’Etat travaille sur la mise en place d’un centre pour l’élimination des déchets industriels dangereux à Khouribga. En attendant, il faut qu’il responsabilise les gens et les sensibilise sur l’importance de la chose environnementale. Il faut également réprimer tous ceux qui commettent des infractions contre l’environnement.
Propos recueillis par BD