Turquie : Erdogan découvre le «grand Satan» américain

Turquie : Erdogan découvre le «grand Satan» américain

Ceux qui auront fait le pari de passer leurs vacances d’été en Turquie ont eu des vacances luxueuses, sans augmenter leur budget. La raison en est simple: la livre turque s’est effondrée. Erdogan met en cause un  complot des USA pour le faire tomber, mais se heurte à une crise économique inattendue et énorme. Le temps paraît bien lointain où la Turquie, première armée de l’OTAN, était un allié privilégié et choyé de Washington.

Les USA ont approuvé le 1er août des sanctions contre deux membres du gouvernement turc, en réponse à la détention par la république turque du pasteur américain, Andrew Brunson, accusé d’activité terroriste. Il aurait été impliqué dans la tentative de coup d’Etat contre le président Recep Tayyip Erdogan en 2016.

Un collaborateur de l’ambassade américaine a rendu visite, mardi 28 août en prison, à Andrew Brunson et l’état physique de celui-ci n’a pas changé, selon Heather Nauert. Les USA demandent à la Turquie sa libération immédiate.

La devise turque a perdu près de 40% de sa valeur depuis le début de l’année et près de 20% au cours du seul dernier mois. Sa chute s’explique notamment par la préoccupation des marchés devant les politiques économiques menées par Ankara et la mainmise croissante de M. Erdogan sur l’économie.

A l’annonce, le 10 août, du doublement des tarifs douaniers sur l’acier et l’aluminium américains pour la Turquie, la livre a chuté de 17% face au dollar en une journée, avant de se rétablir en partie la semaine suivante.

Pour une source diplomatique européenne qui a requis l’anonymat, cette «folle réaction» s’explique par toutes les faiblesses structurelles de l’économie turque et la défiance générale des marchés à son égard.

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Depuis plusieurs mois déjà, bien avant que les Etats-Unis ne commencent début août à imposer des sanctions contre Ankara, précipitant la chute de la livre, les économistes mettent en garde contre un risque de surchauffe de l’économie turque. Mais lorsque la livre turque s’est écroulée, M. Erdogan a promptement dénoncé un «complot» visant à mettre la Turquie «à genoux». La semaine dernière, il a même évoqué une tentative de «coup d’Etat économique», en écho au putsch manqué en juillet 2016.

«Si M. Erdogan ne souhaitait pas que la crise avec les Etats-Unis en arrive là, il va pourtant s’en servir», souligne Soner Cagaptay, chercheur au Washington Institute of Near East Policy, intérrogé par le quotidien libanais L’Orient le jour. «Il peut désormais exclusivement associer la crise économique en Turquie, qui est le résultat de ses politiques, aux sanctions américaines», ajoute-t-il.

Le torchon brûle-t-il vraiment entre Ankara et Washington? La question semble paradoxale depuis que Donald Trump aurait déclaré une nouvelle guerre commerciale avec son allié turc le 10 août dernier. Mais cette crise a des côtés trompe-l’œil. Cette stratégie s’explique par la géopolitique actuelle de la Turquie et de ses choix. Sur un plan local, tout d’abord, la Turquie d’Erdogan a un ennemi: les Kurdes. Impliqués directement dans le conflit syrien, Ankara et Washington se retrouvent face à face dans le nord-ouest de la Syrie.

Le premier veut éradiquer les factions kurdes des YPG (Unités de protection du peuple), comme il l’a fait à Afrine, alors que le second ne cesse de leur fournir des armes dans le but très philanthropique de protéger son accès aux immenses champs pétroliers de la région. De plus, sur la scène plus politique, l’entente cordiale entre la Turquie, la Russie et l’Iran représente une réelle menace pour les intérêts américains en Syrie, mais aussi dans toute la région. Une région que rêve d’ailleurs de dominer Recep Tayyip Erdogan. Multipliant les déclarations de politiques régionales, notamment en faveur de la Palestine, l’homme d’Etat turc souhaite accroître son pouvoir dans le monde sunnite, notamment face à l’Arabie saoudite.

Un printemps arabe islamiste ?

Erdogan a toujours choisi de ne pas choisir entre les mondes unipolaire et multipolaire, considérant que l’équilibre politique entre les Etats-Unis et les grandes puissances, Chine en tête, était le seul moyen pour la Turquie de conserver sa souveraineté et son indépendance. Mais depuis quelques jours, Trump lui demande justement de choisir, principalement sur le terrain syrien et sur les missiles russes.

En septembre 2017, la Russie a annoncé avoir signé un contrat prévoyant la livraison de systèmes de missiles S-400 à la Turquie. Selon une source diplomatique citée par les médias russes en juin dernier, la production des systèmes destinés à Ankara devrait être achevée en mai 2019.

Pour leur part, les Etats-Unis exercent des pressions sur la Turquie, leur allié au sein de l’OTAN, pour qu’elle renonce à l’acquisition de ces systèmes de défense antiaérienne, menaçant de refuser de lui livrer des chasseurs F-35.

Comme quoi une crise peut être un leurre, pour en cacher bien d’autres bien réelles.

Patrice Zehr

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