Ayman, 36 ans, agent de comptoir, est marié et père de deux enfants. Victime de la mauvaise signalisation routière, ce jeune papa garde un goût amer d’une escapade qui devait, en principe, être récréative pour lui et sa petite famille. Voici son récit.
«‘‘A ton âge, tu ne peux quand même pas te perdre, papa!’’, m’avait lancé mon fils de six ans pendant qu’égaré, je tournais en rond, comme un imbécile, dans ce quartier périphérique de Salé. Tenter de retrouver son chemin en pleine nuit avec sa petite famille à bord, je ne le souhaite à personne. J’y ai goûté, il faut me croire, il n’y a pas pire situation. De toutes manières, après une trouille du genre, on prend quelques précautions. Cette mauvaise expérience m’aura servi de leçon, je m’en souviendrai encore longtemps.
Cette année, nous avions décidé, avec mon épouse, d’investir dans l’achat d’une petite voiture. Nous en avions marre de subir les tracas quotidiens d’usagers des transports en commun. Prendre le petit taxi ou le grand pour nous rendre à nos boulots respectifs, payer les mensualités du bus, nous le supportions. Sans parler du fait qu’à chaque période de vacances ou fêtes, nous pâtissions d’aller rendre visite aux parents qui n’habitent pas la même ville que nous. Il fallait nous préparer moralement à cette galère, que ce soit à l’aller ou au retour.
Il est vrai que notre quotidien s’est beaucoup amélioré sans les attentes du taxi, du car et du train, souvent bondés. Assurer sans soucis tous nos déplacements quotidiens, quel privilège! Même aller au marché chaque fin de semaine ou faire nos courses mensuelles, ce n’était plus une corvée. Nous nous sommes également un peu aventurés en balades dans les parages de notre ville provinciale, sans aller plus loin. Une fois notre mois de congé annuel entamé, j’avais tenté de dépasser le périmètre, pour aller passer deux semaines du côté de la grande capitale économique. Notre voyage avait été facile à l’aller, mais il ne le fut pas au retour.
Au départ, «tracer» avait été aisé, grâce à l’autoroute et à l’expérience acquise par mes nombreux déplacements en car. Je connaissais cette route par cœur. Arrivés à Casablanca, pareil: je n’avais pas eu de problème pour me rendre chez mes parents. Je suis né dans cette ville et j’y ai grandi. Une semaine plus tard, il fallait aussi nous rendre à Rabat. Mes beaux-parents nous y attendaient. Là, c’est mon épouse qui se chargea de m’indiquer la voie à suivre pour arriver à bon port.
Jusque-là, rien d’inquiétant, tant que j’étais assisté. Mais, je n’avais jamais remarqué auparavant qu’il était si difficile de trouver son chemin une fois hors de son espace de vie habituel. C’est vrai que, lorsqu’on a pris l’habitude de vivre dans un coin, nul besoin de panneau de signalisation, ni de plaque indiquant une avenue ou une ruelle. On sait s’y retrouver naturellement avec notre «légendaire» système de repérage.
Pour indiquer ma maison, par exemple, je la situe près du grand centre commercial de la ville, à côté du Café Marhaba, en face de la pâtisserie l’Etoile. Pour ultime précision, j’indique qu’en bas de mon immeuble, il y a la Banque.
Personne ne viendra me contredire, on le fait tous pour indiquer n’importe laquelle des adresses. On ne pense jamais aux étrangers qui transitent ou à ceux qui viennent à peine de s’installer.
Et qu’on ne vienne surtout pas me parler du téléphone portable pour le repérage. Parce que ce foutu appareil, comme par hasard, c’est le jour où vous avez un besoin urgent et vital de ses services qu’il vous lâche! Soit sa batterie est hors service, soit son forfait a expiré. On comprend alors l’importance que revêt la signalisation par panneau. Malheureusement chez nous, elle est mal conçue, mal placée ou carrément inexistante à certains endroits.
Nous pensions bien faire en prenant le chemin du retour après le souper, le soir dans la fraîcheur. Nous voulions aussi traverser Rabat, jusque vers Salé, pour voir la marina de nuit, avant de prendre l’autoroute qui mène à Fès.
Tant que nous étions en ville, l’éclairage était parfait, le trafic moins encombré. Nous roulions tranquillement jusqu’au pont et, là, nous avons emprunté l’artère qu’il ne fallait pas. Nous avons été parachutés en plein quartier industriel de Salé. Impossible de nous repérer par téléphone, le mien et celui de mon épouse s’étaient éteints, comme d’habitude en fin de journée. Quant à ceux des enfants, on ne pouvait se connecter dessus, ils n’avaient plus de solde, tant ils les avaient utilisés.
J’ai essayé toutes les voies, mais ce n’était chaque fois qu’un labyrinthe qui me ramenait à la case départ.
A cette heure tardive de la nuit, on ne peut pas dire qu’il était recommandé de demander à quiconque son chemin. Pourtant, n’ayant pas le choix, je m’y suis aventuré. Ce risque n’avait servi qu’à me diriger vers une autre destination inconnue. Je me suis retrouvé sur une route secondaire, celle d’un douar plongé dans la totale obscurité. Je n’osais parler à ma femme de ma jauge d’essence, dont le voyant de réserve s’était allumé, je paniquais intérieurement. Je me déplaçais quasiment à tâtons… Enfin, je fus quelque peu soulagé d’avoir pour sortie la route de Kénitra. Je continuais droit devant moi, jusqu’à entrer dans cette ville que je ne connaissais pas. Je m’arrêtais à une station-service pour faire le plein de carburant et me renseigner sur l’itinéraire à emprunter pour regagner l’autoroute.
Le pompiste me conseilla avec insistance de passer la nuit dans la ville. Il avait raison, j’étais à bout de nerfs, à bout de force. Nous avons donc dormi dans la voiture, sur le parking de cette même station. Le lendemain, c’est un chauffeur de taxi, un homme comme il n’en existe plus, qui m’accompagna jusque vers la sortie. Pour regagner l’autoroute qui mène à Meknès-Fès, nous avons dû emprunter une route secondaire, d’abord. Sans mentir, la veille, il aurait été impossible de m’y retrouver sans aide. D’ailleurs, ce tronçon qui traverse un douar et une forêt, il vaut mieux le traverser de jour, c’est plus prudent.
Mais, une chose est certaine, sans ce problème de mauvaise signalisation routière, je ne me serais jamais perdu. Dorénavant, il sera hors de question pour moi de voyager de nuit. La seule question qui me reste est la suivante: Y a-t-il un responsable pour s’occuper de ce problème de signalisation dont je ne suis pas le premier à me plaindre ? Ou doit-on continuer de laisser les gens tourner en rond, chaque fois qu’ils vont là où ils n’habitent pas ?».
Mariem Bennani