Les dernières annonces de découverte de gaz naturel au Maroc ont eu l’effet d’une bombe. Le Maroc est le seul pays du Maghreb à n’avoir ni suffisamment de pétrole, ni suffisamment de gaz qui en fasse une puissance pétrolière. Mais les Marocains ne cessent d’entendre que le potentiel du pays est grand. Une telle annonce ne les laisse donc pas indifférents.
Pas plus qu’elle ne laisse indifférent le reste du monde, à l’affût de nouveaux gisements en ces temps de crise… Y a-t-il du vrai dans ces dernières annonces ? C’est ce que le Reporter a tenté de savoir là où les sources sont les plus fiables. Dossier.
Découverte d’hydrocarbures ou pas au Maroc, cette ancienne-nouvelle question qui taraude les Marocains est sujette à maintes interprétations à connotation politique, surtout. Mais le jeu de ping-pong entre les compagnies de prospection et l’Office national des hydrocarbures et des mines (Onhym), n’est plus à l’ordre du jour. Les Marocains ont toujours à l’esprit l’affaire Talsint où le pays avait annoncé officiellement la découverte de gaz et de pétrole. C’était en 2000. Aujourd’hui, le débat refait surface -encore une fois !- avec l’annonce de «découverte majeure de gaz à Sidi Mokthar» relayée par l’agence Chinoise Xinhua. La mise au point de l’Onhym se veut tranchante: «Il s’agit seulement d’estimations d’un potentiel géologique et non de réserves», a expliqué l’Office dans un communiqué. Qu’en pense le président de la Fédération de l’énergie-CGEM, Moulay Abdallah Alaoui? «D’abord, il faut savoir que la prospection et l’exploration gazière requièrent au moins 10 ans avant d’arriver au stade de l’exploitation. Encore faut-il savoir si cette exploitation serait commerciale au non», explique-t-il. Rappelant donc que, pour une découverte pétrolière ou gazière, il faut au moins 10 ans, alors que le nucléaire exige entre 15 et 20 ans, il considère que c’est un travail à long terme, surtout qu’il faut distinguer entre découverte et sécurité d’approvisionnement. A son avis, il est très difficile de s’aventurer sur l’existence ou pas de réserves avant d’entamer les forages et études complémentaires. «Ce qui est à noter, c’est que le potentiel gazier est évalué à 5 milliards de mètres cubes à l’horizon 2017», ajoute-t-il. My Abdallah Alaoui ne manque pas de confirmer une présence potentielle. Toutefois, il ignore complétement la viabilité économique des puits creusés. A ce niveau-là, ce sont les compagnies d’exploration qui sont concernées au premier chef. Mais ce qui est à remarquer, c’est qu’elles ne communiquent pas sur leurs critères économiques retenus pour effectuer les tests nécessaires. C’est ce qui explique qu’on est encore loin de savoir réellement le niveau et l’importance du débit en milliers de pieds cubes de gaz naturel par jour. C’est ce qui pousse également Alaoui -le doute étant permis- à s’interroger sur les soubassements de telles annonces médiatiques. A ce titre, il invite l’Onhym à adopter une démarche de communication bien réfléchie face à la prolifération, ces derniers temps, des annonces de découverte de gaz naturel et de pétrole qui font toujours polémique. Aujourd’hui, l’afflux des majors mondiaux de l’exploration pétrolière et gazière, comme Gulfsands Petroleum et Cairn Energy, n’est pas fortuit, tient à remarquer Alaoui. Outre le bon climat des affaires, l’attractivité du pays se mesure également par l’importance du potentiel énergétique. Et ce n’est pas un hasard si 32 conventions ont été signées avec des compagnies internationales entamant déjà de nombreuses analyses, tests et études prospectives qui «nécessitent des investissements très lourds», selon l’Onhym. «Le Maroc devrait se targuer aujourd’hui d’avoir attiré les majors de l’industrie énergétiques (BP, Total…). Cette attractivité est à attribuer à la bonne législation et aux mesures d’accompagnement mises à disposition des investisseurs étrangers. L’effet des tensions géopolitiques au Moyen-Orient n’est pas à négliger», éclaire-t-il. Et de conclure qu’à l’heure où la facture énergétique atteint des sommes exorbitantes, il est temps d’optimiser le mix énergétique en diminuant la part du charbon au profit du gaz naturel.
Mohamed Mounjid
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Entretien avec Moulay Abdallah Alaoui, président de la Fédération de l’énergie-CGEM
«On ne devrait ni donner de faux espoirs ni afficher de négativisme»
Les dernières annonces de découverte de gaz naturel ont fait polémique. Quel est votre Avis?
Que les sociétés pétrolières annoncent qu’il y a découverte de gaz naturel, ce n’est pas ça le plus important. Il faut qu’elles assument leur responsabilité. Et leurs annonces doivent être interprétées. Est-ce qu’elles visent des objectifs commerciaux ? S’agit-il tout simplement de pures spéculations? Que sais-je? Certes, l’attitude de l’Onhym peut paraître plus réservée lorsqu’on parle de découverte pétrolière. S’agit-il de potentiel, de réserves prouvées ou d’exploitation commerciale? Il existe toute une panoplie d’appréciations sur les gisements. C’est ce qui explique qu’on ne devrait donner ni de faux espoirs ni afficher de négativisme. L’Onyhm est dans son rôle et il faut attendre. Même si on trouve des réserves, est-ce que l’exploitation sera commerciale? C’est un travail coûteux et de longue haleine. En plus des études sismiques qui démontrent le niveau du potentiel, il faut ajouter le coût très cher des charges d’exploitation, pour ne citer que les forages et les tests. Ce qui est réjouissant, c’est que, pour la première fois au Maroc, les forages en eau profonde dans la région d’Agadir ont atteint 5.500 mètres de profondeur, alors qu’auparavant, ils ne dépassaient guère les 1.500 à 2.000 mètres. Autre bonne nouvelle, c’est que Gulf Sands Petrolium Maroc a commencé, au début de la semaine en cours (28-29 octobre), les travaux de forage dans la zone onshore de Fès».
Où en est le code gazier?
Le code gazier est toujours en gestation. Certes, il a accusé un peu de retard, mais je suis toujours optimiste. Avec l’installation d’une nouvelle équipe gouvernementale, il y a lieu de fonder des espoirs pour voir l’étude du développement du gaz au Maroc mise en œuvre. L’Etat devrait accompagner le secteur privé pour mener à bien ce grand chantier, lequel nécessite un savoir-faire, des investissements capitalistiques lourds et une coopération étroite entre les champions nationaux et les grandes compagnies pétrolières internationales. Je tiens à souligner que si on laisse le secteur privé travailler tranquillement, je suis sûr et certain qu’il réalisera les investissements dans les délais. L’enveloppe est évaluée à 2 milliards d’euros pour mettre en œuvre ce projet qui nécessite cinq ans de travail. Il est évident que ce projet doit être soutenu par les pouvoirs publics pour lui assurer une rentabilité normale et acceptable. Comme le cite l’ancien chancelier allemand, Helmut Schmidt, les profits d’aujourd’hui font les investissements de demain et les emplois d’après-demain.
L’introduction du gaz dans l’économie nationale traîne encore. Pourquoi, selon vous?
Effectivement, l’introduction du gaz tarde encore. C’est compréhensible. Car, à chaque remaniement ministériel, chaque nouveau ministre livre sa propre lecture. Ce désordre dans la gestion des dossiers ne rend pas service aux intérêts économiques du pays. D’où la nécessité de maintenir la continuité des stratégies sectorielles, comme l’a bien spécifié SM le Roi Mohammed VI dans son Discours à la nation du 25 août 2013.
L’autorité de régulation attend toujours.
Nous sommes pour une autorité indépendante, compétente et disposant de pouvoirs élargis à toutes les filières énergétiques. Elle devrait avoir un budget autonome. Encore faut-il trouver les meilleurs hommes pour cela. Il est vivement conseillé d’élire domicile soit auprès du Roi, soit auprès du chef de gouvernement. Et elle devrait inclure au sein de ses rangs des délégués pour chaque filière (délégué électricité, délégué combustibles liquides et délégué énergies renouvelables), dans l’espoir que le nouveau ministre de l’Energie active le pas pour accélérer le déroulement des choses.
Etes-vous pour ou contre la décompensation énergétique?
Etant libéral, je suis pour la vérité des prix, quoique graduellement. Parce que les subventions pourraient engendrer le gaspillage. Il faudrait alors plus de sobriété dans la gestion des dépenses.
Propos recueillis par M.M