Les sites touristiques, jusqu’à présent épargnés, semblent devenir la cible de terroristes radicaux en Tunisie. Il s’agit bien sûr d’empêcher l’économie du pays de se reconstruire autour du tourisme.
Cette stratégie n’est pas nouvelle. L’Egypte et même le Maroc en savent quelque chose.
Il faut bien voir que, pour les obscurantistes, le touriste est assimilé à l’infidèle et au croisé. Il est facile de diaboliser certains touristes. Leur comportement est parfois provocant, le plus souvent par ignorance des coutumes et traditions des pays musulmans. Il y a une forme de tourisme qui révulse et qui porte tort à tous les autres. C’est le tourisme sexuel orienté vers les enfants.
Mais le tourisme normal est naturel et personne ne nie son apport, parfois déterminant, à la démocratisation par le développement économique et la rentrée de devises. Si l’Espagne a pu se démocratiser politiquement, c’est grâce aussi à une situation économique permettant de sortir de l’isolement franquiste et c’est grâce au tourisme pendant la période autoritaire.
Le tourisme, quel que soit le régime, c’est l’ouverture, le contact. S’attaquer aux touristes, c’est s’attaquer à des invités, parfois mal polis, c’est vrai, dans une stratégie de fermeture du pays et de destruction de son économie. Ceux dont la misère est le fonds de commerce politique ne supportent pas l’économie touristique. La Tunisie en apporte seulement une nouvelle preuve.
Hedi Yahmed, rédacteur en chef de Hakaekonlin.com et spécialiste des groupes djihadistes tunisiens, analyse:
«Ce qui s’est passé à Sousse et Monastir était, pour nous les observateurs des mouvements djihadistes en Tunisie, assez prévisible, pour ne pas dire prévu. Il y a une progression des scénarios terroristes. On sait que les groupes terroristes ont commencé à agir dans les régions montagneuses à la frontière algérienne. Ensuite, il y a eu les assassinats ciblés des leaders politiques, comme Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi. Puis, il y a eu l’offensive armée dans la région du mont Chaambi qui a poussé les groupes terroristes à faire réagir les cellules dormantes dans les villes. On peut prendre comme exemple ce qui s’est passé le 18 octobre à Goubellat ou encore à Sidi Ali Ben Aoun. Et maintenant, nous sommes dans la phase d’utilisation des cellules dormantes dans les villes et les tentatives d’attentat à Sousse et Monastir sont à classer dans cette catégorie. Ces attaques visent évidemment des civils, mais aussi le cœur économique du pays: le tourisme». Et de compléter avec cette évidence: la faiblesse des pouvoirs fait la force des terroristes.
«On peut faire une comparaison avec d’autres pays. C’est là où l’on rencontre l’instabilité que les groupes terroristes sont implantés. Je pense à la Somalie, au Yemen, à l’Egypte aussi ou à l’Algérie et au Mali. Les groupes djihadistes préfèrent une situation d’Etat faible, d’instabilité politique et sécuritaire. Ils ne peuvent grandir que dans ces milieux d’instabilité. En Tunisie, toutes les attaques, attentats ou assassinats visent à déstabiliser la situation politique, à détruire le processus démocratique pour avoir une place. Et, d’ailleurs, ces attaques peuvent se répéter puisque nous n’avons pas de gouvernement fort».
La Tunisie veut donc très vite sécuriser ses touristes.
Dans la région de Sousse, située à 140 km au sud de Tunis, où un kamikaze s’est fait exploser sur une plage sans faire de victimes, les contrôles policiers ont été considérablement renforcés. Des patrouilles quadrillent la zone touristique, des contrôles ont été mis en place aux ronds-points et des policiers déployés devant les supermarchés; l’ombre de Nairobi plane, bien sûr. A Tunis, la police a renforcé sa présence sur l’avenue centrale Habib Bourguiba, coupant la circulation devant le ministère de l’Intérieur avec des barbelés. A Zarzis, zone touristique non loin de l’île de Djerba et de la frontière libyenne considérée comme le point de passage pour les trafiquants d’armes, la présence des forces de sécurité a été démultipliée.
Les médias tunisiens et les acteurs économiques ne cachaient pas leurs craintes pour l’avenir du tourisme, en convalescence depuis la révolution de janvier 2011 qui avait entraîné une chute de 30% des revenus.
Il faudra attendre pour juger de l’impact réel sur les réservations de cette action terroriste, sur un secteur déjà terriblement fragilisé depuis le début des printemps arabes. Ce qui se passe en Tunisie concerne tout le monde. Le tourisme, décidément un point fort, est aussi un maillon faible.
Patrice Zehr