Une seule étincelle peut remettre le feu aux poudres. Le procès du président déchu s’annonce comme une longue période à haut risque. Les groupes islamiques armés défient toujours l’armée dans certaines zones du Sinaï. Cependant, les affrontements se sont calmés et le spectre de la guerre civile et religieuse semble s’être éloigné.
L’armée paraît solide et sur le point de contrôler la situation. Un signe en est la fin de l’état d’urgence. Celui-ci et le couvre-feu avaient été décrétés le 14 août dernier à la suite de l’intervention des forces de sécurité contre les campements des partisans du président islamiste, Mohamed Morsi, renversé par l’armée début juillet.
L’état d’urgence permet aux autorités les arrestations et les perquisitions sans mandat. Le couvre-feu est quant à lui en vigueur de 1 heure à cinq heures du matin. Il débutait dans un premier temps à 19 heures, mais a été assoupli pour relancer l’activité économique.
Cette décision a été saluée par les Etats-Unis, par la voix de la porte-parole du département d’Etat, Jennifer Psaki, qui se félicite de «la levée formelle de l’état d’urgence, y compris du couvre-feu». La responsable a toutefois exprimé les «inquiétudes» de son gouvernement quant aux projets des autorités du Caire de «légiférer en matière de sûreté». C’est le résultat d’une répression qui n’a jamais faibli malgré les pressions internationales.
Les rassemblements ont été durement réprimés ces quatre derniers mois: plus d’un millier de personnes, en majorité des partisans de M. Morsi, ont été tuées dans des heurts et les autorités ont arrêté quelque 2.000 personnes, dont la plupart des dirigeants des Frères musulmans. Ces campagnes d’arrestations ont limité leur capacité à mobiliser massivement.
Le «président» Morsi reste cependant impressionnant de calme et très combatif. A l’ouverture de son procès, le 4 novembre, il a récusé l’autorité de ses juges et martelé qu’il était le seul président légitime. L’audience a été ajournée au 8 janvier.
«Le président envisage d’engager une procédure judiciaire contre le coup d’Etat et cela sera la tâche de l’équipe de ses défenseurs dans un avenir proche», a déclaré à la presse Mohamed Al-Damati qui dirigeait un groupe d’avocats ayant rendu visite à M. Morsi en prison, lundi 11 novembre.
«Des plaintes seront déposées devant le procureur général pour démontrer que ce qui s’est passé est un crime», a-t-il poursuivi. Des recours seront également déposés devant la justice administrative pour faire «annuler l’action conduite par le général Abdel Fattah Al-Sissi», a conclu l’avocat. «L’Egypte ne connaîtra pas de retour à la stabilité sans annulation de ce coup d’Etat», a assuré M. Morsi dans une lettre lue par M. Al-Damati. Il a également pressé ses partisans -qui manifestent quotidiennement- de rester «fermes». «Je salue le peuple qui s’est révolté dès les premières heures contre le coup d’Etat et qui continuent de se révolter chaque jour dans tout le pays», a-t-il conclu. Un tribunal égyptien a condamné 12 étudiants pro-Morsi à 17 ans de prison chacun pour avoir attaqué le centre d’études islamiques Al-Azhar lors de manifestations en octobre dernier.
Les forces considérées comme démocratiques sont plus inexistantes que jamais. L’absence en Egypte de partis politiques structurés et établis, qui favoriseraient le pluralisme, condamne les modérés à un quasi-anonymat. L’opinion publique, si elle ne s’inscrit pas dans la mouvance islamiste, soutient dans sa majorité, par envie de stabilité, la «guerre contre le terrorisme» menée par l’armée.
De nombreux Egyptiens associent désormais l’armée à la stabilité, même lorsque les Frères musulmans affirment que la répression qu’ils subissent aujourd’hui est pire que celle vécue sous l’ère Moubarak.
Emad Chahine, professeur de Sciences politiques à l’université américaine du Caire, cité par le journal français «Les Echos», souligne que les médias officiels prennent bien soin d’étouffer la voix des modérés. «Si vous êtes contre le coup d’Etat, vous êtes pour les Frères. Si vous êtes pour les Frères, vous êtes un terroriste. Et si vous êtes pour la démocratie, vous appartenez à la cinquième colonne. Voilà le raisonnement», dit-il.
On est loin, très loin, comme en Tunisie, d’un printemps arabe, mais il y a un retour à la stabilité dans la rue et à la sécurité même si celle-ci est passée par l’emploi de la force.
L’Egypte souhaite avant tout le calme et le retour du tourisme. Mais une partie de la société, les femmes, reste victime de toutes les violences: harcèlement sexuel, discriminations et violences diverses. En dépit de la révolution de 2011, l’Egypte est le pays du monde arabe qui apparaît le plus cruel pour les femmes, selon une enquête publiée, mardi 12 novembre, par la Fondation Thomson Reuters. L’Irak arrive en deuxième position, suivi par l’Arabie Saoudite, la Syrie et le Yémen. Par ailleurs, les Comores, où les femmes détiennent 20% des postes ministériels et où les épouses conservent leur terre ou leur maison après un divorce, arrivent en tête, suivies par Oman, le Koweït, la Jordanie et le Qatar.
Le printemps des femmes reste, lui, une perspective encore bien lointaine, malgré leur rôle parfois déterminant dans les «révolutions».
Patrice Zehr