Dossier : Les viandes contaminées à l’ammoniac ?

abattoirs casablanca

Des viandes contaminées seraient-elles en circulation à Casablanca? En tout cas, une grosse panique est actuellement déclenchée dans les abattoirs de Casablanca. En cause, une nouvelle fuite d’ammoniac qui s’y est déclarée… La énième !

Ce genre d’incident n’est pas nouveau. En 2010, les abattoirs de la métropole étaient déjà au cœur d’une tourmente relative à une autre fuite, la première ayant eu lieu dans une chambre froide de viande. L’affaire avait été médiatisée par le Syndicat des chevillards et l’Union générale des entreprises et professions (UGEP).
Dans un entretien accordé au Reporter, Mohamed Dahbi, Coordinateur de l’UGEP dénonce le silence des autorités casablancaises. Il révèle que, depuis deux semaines, les plaintes des professionnels ne cessent d’affluer au syndicat des chevillards affilié à l’UGEP afin de signaler qu’une nouvelle fuite d’ammoniac s’est produite dans les abattoirs.

Les chevillards réunis en urgence

«Jusqu’à aujourd’hui, à cause de l’état vétuste et déplorable des appareils, les fuites d’ammoniac continuent de se produire aux abattoirs de Casablanca. Suite à ces nouvelles fuites, la société délégataire a commencé à diminuer, depuis quelques jours, les quantités d’ammoniac au niveau des chambres froides, ce qui pourrait avoir un effet sur les viandes», nous affirme Mohamed Dahbi. Il ajoutera: «Il y a une semaine, nous avons envoyé une lettre au gouverneur de la Préfecture de Moulay Rachid et aux services vétérinaires pour qu’ils réagissent à ce problème, lequel n’est pas sans constituer un danger pour la sécurité des usagers des abattoirs et des habitants du voisinage».
Suite à ce nouvel incident, le troisième du genre en moins de deux ans, les chevillards se sont donc réunis en urgence, dimanche 24 novembre à Casablanca, pour examiner la situation dans les abattoirs de la métropole. Ce même dimanche, les professionnels ont relancé le débat sur bon nombre de leurs difficultés, surtout sur le risque que pourrait présenter la viande consommée par les Casablancais à cause de l’ammoniac.
Dans un communiqué parvenu au Reporter, les chevillards, qui n’ont pas mâché leurs mots, ont demandé aux autorités d’intervenir sans délai pour sanctionner les abus constatés dans ces abattoirs. «Les autorités concernées doivent ouvrir une enquête sur les dysfonctionnements touchant aussi bien les aspects technique et financier que la mauvaise gestion des abattoirs de Casablanca», peut-on lire dans le document. En clair, ils pointent du doigt le non respect du cahier des charges par la société délégataire en charge de la gestion des abattoirs et dénoncent le laxisme de l’autorité délégante. «Alors que les responsables de la commission de contrôle et de suivi devaient obliger la société turque délégataire à respecter des clauses prévues par le cahier des charges, en effectuant les réparations et le renouvellement des appareils jugés vétustes et présentant un danger pour la santé des professionnels, les responsables de cette commission de suivi n’ont rien fait pour éviter que ce genre d’incident se produise dans les abattoirs», tient à souligner M. Dahbi.

Les abattoirs toujours critiqués

Ainsi, depuis 2010, les abattoirs de Casablanca constituent un sujet hautement polémique. Le 15 juin 2012, l’opinion publique casablancaise a été scandalisée en découvrant «l’insalubrité et les conditions de travail extrêmement difficiles dans les abattoirs. Les professionnels avaient révélé une fuite qui s’est avérée beaucoup plus importante qu’en 2010. Quelque 2.500 carcasses d’ovins avaient été aspergées d’ammoniac suite à une fuite survenue à cause de la rupture d’une conduite dans une chambre froide. Les carcasses en question, représentant 30 tonnes de viandes rouges, auraient alors été incinérées». Aujourd’hui encore, les mêmes abattoirs sont toujours critiqués pour les conditions de travail très difficiles aussi bien des professionnels que des ouvriers dans les abattoirs, affirme Mohamed Dahbi. Et la même source de poursuivre: «Malgré les nombreuses réclamations des professionnels, ni les autorités concernées, ni la société délégataire, ni encore la commission chargée du suivi et du contrôle n’ont fait le nécessaire pour protéger les usagers des abattoirs et les consommateurs. Au lendemain des fuites d’ammoniac du 15 juin 2012, la société turque s’est engagée à procéder à des renouvellements au niveau des appareils d’ammoniac et a promis de résoudre ce problème de fuite. Mais elle a failli à ses engagements».
Même son de cloche chez Abdelali Ramou, SG du syndicat des chevillards. Dénonçant lui aussi le silence des autorités, le syndicaliste a lancé, non sans colère: «Cette nouvelle fuite aurait pu être évitée, si on avait pris au sérieux les plaintes des professionnels, lesquels avaient déjà dénoncé, en 2009, l’état déplorable de certains appareils utilisés dans les abattoirs».

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Etat déplorable du matériel

Selon le SG, qui est également président de l’Association nationale des commerçants de viande rouge, «les appareils de pression ou compresseurs d’ammoniac dont disposent les abattoirs sont toujours dans un état déplorable. C’est ce qui a d’ailleurs causé cette nouvelle fuite». Déjà en 2009, «le rapport publié par le laboratoire de contrôle  »Veritas » a dévoilé que les appareils (30) contenant de l’ammoniac présentent toujours un danger réel pour les professionnels à l’intérieur des abattoirs», affirme le SG du Syndicat des chevillards. Et de poursuivre: «Dans son rapport, le dit laboratoire a souligné l’interdiction de toute utilisation de ces appareils tant que des tests hydrauliques ne sont pas réalisés. Or, à ce jour, la société turque, chargée de la gestion des abattoirs de Casablanca, n’a pas estimé important de procéder à ces tests». Le SG conclut: «La société turque et le Conseil de la ville sont responsables de cette situation et de l’exposition de la santé des consommateurs à des risques».
Pour Bouazza Kherrati, vétérinaire et président de la Fédération marocaine des droits du consommateur (FMDC), il est choquant de voir que des abattoirs, comme ceux de Casablanca qui ne sont pas aux normes requises et même pas agréés par le ministère de l’Agriculture, ne sont pas encore sanctionnés. Ceci est d’autant plus critiquable, dit-il, qu’«ils peuvent continuer de vendre leurs viandes et que les Casablancais ne sont même pas tenus au courant de ces fuites d’ammoniac qui continuent de se produire dans ces abattoirs». Et de conclure: «Les abattoirs de Casablanca doivent être fermés, non seulement à cause de ces nouvelles fuites que les chevillards ont révélées, mais aussi pour tout ce qui fait de ces abattoirs un établissement ne respectant pas les normes requises, que ce soit sur le plan national ou international».

Vivement une enquête

Bon nombre de questions demeurent sans réponse. La fuite d’ammoniac constitue-t-elle un risque pour la santé des consommateurs des viandes venant des abattoirs de Casablanca? Qu’en est-il exactement de la concentration d’ammoniac dans ces abattoirs? Est-ce que tout risque de contamination est écarté? Quelle responsabilité la commission de suivi et de contrôle a-t-elle dans cette affaire? Assume-t-on un suivi régulier dans ces abattoirs? Bref, autant de questions posées qui nécessitent des réponses de la part des autorités concernées. Lesquelles devraient en tout cas vérifier la véracité des révélations des professionnels en ouvrant une enquête.
Interpellé par Le Reporter sur ces nouvelles fuites d’ammoniac dans les abattoirs de Casablanca, Abdellah Assouel, directeur régional de l’Office national de sécurité sanitaire des produits alimentaires (ONSSA) a souligné: «Les services de l’ONSSA ne sont pas responsables de la question de la fuite d’ammoniac, mais plutôt du contrôle sanitaire des viandes. Ce sont les autorités délégantes qui sont responsables des questions techniques dans les abattoirs». Et d’ajouter qu’il ignore tout des nouvelles fuites révélées par les professionnels. Ces derniers dénoncent l’absence d’un système de contrôle «adéquat» dans les abattoirs de Casablanca. Ils ont indiqué au Reporter qu’ils ont interpellé, il y a une semaine, toutes les autorités concernées via des lettres. «Dans ces lettres, nous avons demandé aux autorités concernées par ce dossier d’ouvrir une enquête sur la question des fuites d’ammoniac, ainsi que sur tous les dysfonctionnements qu’il y a dans les abattoirs de Casablanca. Nous avons aussi demandé d’ouvrir une enquête sur toutes les personnes qui protègent la société délégataire qui, jusqu’à présent, n’a pas respecté les clauses du contrat la liant au Conseil de la ville de Casablanca», martèle Mohamed Dahbi

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Naîma Cherii
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Responsable turc: «Nous attendons l’aval du maire pour renouveler les appareils vétustes»

Appareils vetustes abattoirs casablanca

Dans une déclaration au Reporter, Umit Ackay, Coordinateur principal aux abattoirs de Casablanca, se veut rassurant. Il affirme: «En ce moment, il n’y a pas de fuite d’ammoniac dans les abattoirs de Casablanca et il n’y aucun risque de contamination».
«Certes, en 2012, il y a eu une fuite d’ammoniac dans les abattoirs. Mais on avait réglé le problème en procédant à des réparations au niveau des réseaux d’ammoniac qui avaient causé la catastrophe enregistrée il y a plus d’un an», a expliqué le responsable de la société turque, Unluer, gestionnaire du complexe des viandes rouges.
En ce qui concerne le problème qui existe toujours au niveau des appareils d’ammoniac -qui sont très critiqués par les professionnels pour leur vétusté-, le responsable turc a indiqué: «Nous avons nous-mêmes constaté ce problème et avons en effet décidé de changer toutes les installations dans les abattoirs. Mais le fait est que nous sommes seulement des gestionnaires de ces établissements. Avant de procéder au renouvellement des installations, nous devons d’abord avoir l’aval du Conseil de la ville». Et de conclure: «Il y a huit mois, nous avons envoyé une étude au maire de la ville pour avoir son autorisation d’entreprendre le renouvellement de tous les appareils vétustes. Nous attendons toujours son aval pour entreprendre ce renouvellement».

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Entretien avec Abdelali Ramou, SG du Syndicat des chevillards

Abdelali ramou SG Syndicat des chevillards 2013

«Nous dénonçons le comportement irresponsable de la commission de contrôle et de suivi»

Les responsables de la société turque «Unluer» affirment avoir fait les tests hydrauliques demandés par le bureau Veritas, alors que les professionnels continuent de dire qu’il n’en est rien. Quelles sont vos preuves?

Le Conseil de la ville et la société délégataire nous ont affirmé que des réparations et des entretiens allaient être effectués. Nous avons même reçu des promesses que l’on n’utiliserait plus d’ammoniac, mais un autre produit utilisé actuellement sur le plan international. Mais à ce jour, rien n’a été fait dans ce cadre. Le rapport du laboratoire Veritas, qui a accablé les gestionnaires des abattoirs de Casablanca sur l’état très vétuste et déplorable des appareils destinés à l’ammoniac, n’a pas été rendu public, ce qui prouve que la société turque voulait étouffer l’affaire. Concernant ces tests hydrauliques demandés par Veritas, nous avons des preuves qui attestent que la société turque n’a rien fait. D’ailleurs, si les tests en question étaient effectivement faits, les abattoirs de Casablanca auraient été fermés pendant au moins 45 jours, chose qui n’a pas été faite.

Pensez-vous que vos critiques concernant la gestion des abattoirs de Casablanca seront cette fois prises au sérieux?

Nous pensons que, cette fois-ci, notre voix sera entendue, surtout après le discours royal et l’arrivée d’un nouveau wali. Nous gardons donc espoir qu’une enquête soit ouverte au sujet de tous les dysfonctionnements que nous avons soulevés dans nos lettres adressées aux autorités de la ville. A rappeler que le Bureau syndical avait déjà adressé aux autorités locales et aux responsables de la ville, lors de la première fuite d’ammoniac, un rapport détaillé et accompagné de photos confirmant que, à cause de leur vétusté, certains appareils d’ammoniac présentaient un danger pour les usagers des abattoirs. Mais aucune mesure n’a été entreprise pour assainir la situation dans les abattoirs. Aussi, dénonçons-nous le comportement irresponsable de la commission de contrôle et de suivi, laquelle a essayé, depuis les premières fuites d’ammoniac, d’étouffer l’affaire. Cela témoigne de la négligence des conditions de sécurité qui sont observées dans tous les abattoirs du monde pour protéger les usagers des abattoirs.

Propos recueillis par N.C

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