Légalisation du Cannabis : quels objectifs ?

Abderrahmane Merzouki

Entretien avec Abderrahmane Merzouki, enseignant chercheur à l’Université Abdelmalek Essaâdi

«La légalisation du cannabis doit être liée à des objectifs bien spécifiés»

Des partis politiques, dont le groupe parlementaire du PAM, ont lancé un appel pour la légalisation de la culture du Cannabis au Maroc. Qu’en dites-vous ?

La problématique de la culture du Cannabis au Maroc ne peut être résolue par de telles initiatives, lancées par tel ou tel parti, dans le cadre de conquêtes politiciennes. Ces initiatives ont vu le jour durant les dernières échéances électorales qu’a connu le pays. Et voila qu’un grand responsable du PAM, qui s’exprimait dans un meeting électoral, s’étonnait que lors de ses passages sur les routes du Rif, il ne voyait presque pas d’hommes. En fait et après maintes recherches, notre politicien s’est rendu compte que les hommes ont pris le maquis et ont regagné les hautes montagnes pour fuir les avis de recherche lancés contre eux par la justice, ils étaient tous des cultivateurs de Cannabis. L’autre parti qui s’est exprimé aussi autour cette problématique, c’est l’Istiqlal. En effet, lors de la même échéance électorale, le dirigeant syndical a utilisé la transitivité pour démontrer aux citoyens présents que son syndicat est prêt à les défendre s’ils font partie de son puissant syndicat des travailleurs, ils étaient, bien sûr, des travailleurs de Cannabis. Vous m’excuserez, mais avec de telles initiatives, on ne peut pas se positionner avec un «pour» ou un «contre». Ça me rappelle la polémique soulevée par le célèbre Ayouche sur la Darija et l’Arabe pour notre enseignement et tout le monde parle du pour et du contre sans vraiment avoir une idée sur l’enjeu.
Dans le cas de la légalisation, on serait les premiers au Monde, je vous assure. Alors que pas mal de régions rurales du Maroc peuvent opérer un saut en avant bien significatif dans leur «bien-être social». Et adieu le plan vert ! Le haut commissariat au Plan aura du pain sur la planche pour expliquer l’amélioration de nos indicateurs de développement humain…
Soyons sérieux, si cette démarche était plausible, l’Espagne et d’autres pays voisins seraient les premiers à l’adopter. Tout le monde connait la réalité de notre culture du Cannabis (on parle du Maroc d’après l’indépendance). Culture cantonnée dans le nord du pays «le Rif»; une région historiquement marginalisée. Le désenclavement de la zone ainsi que la programmation de projets structurants ne datent que de cette dernière décennie. Quand je parle de culture du cannabis, je parle du cultivateur qui n’avait -et n’a toujours- pas d’alternative pour s’assurer un gain sûr, sinon à partir de la culture de la plante facile et non exigeante qu’est le Cannabis.

Est-ce que vous soutenez ceux qui appellent à cette légalisation?

J’espère que le préambule ci-dessus facilitera la compréhension des facettes de la problématique de la culture du Cannabis au Maroc. Je pourrais aussi répondre par une question: peut-on demander la légalisation de quelque chose d’illégal sur le plan international ? Dans ce cas, on devrait se munir d’un arsenal juridique et de juristes à l’international capables d’affronter les organisations internationales et le monde entier. Donc, soyons précis, qu’est-ce qu’on veut légaliser au juste ?

En tant que chercheur, que pensez-vous de la légalisation du cannabis?

Chambre des conseillers | Le projet sur le cannabis en vote mardi

Je crois que nos collègues des partis politiques ou des ONG prêchent un peu dans l’amalgame. Je ne dirais pas qu’ils sont de mauvaise foi, mais plutôt que les ambiguïtés qui enrobent leurs initiatives sont raisonnées par un manque de savoir sur cette problématique. Il m’est arrivé d’écouter certains dire que tel pays et tels Etats des USA ont légalisé le Cannabis. Certains disent que les Hollandais, les Allemands, les Français et les Portugais, ont légalisé le Cannabis. La réalité dans ces pays est la suivante: 5 plantes de Cannabis en pots ou dans le jardin, mènent devant un juge. Les expériences de légalisation de ces pays et d’autres s’inscrivent essentiellement dans le cadre de leur programme de lutte contre la drogue. C’est-à-dire, par légalisation, on entend que l’état contrôle toute la filière de mise à disponibilité du Cannabis à ses citoyens. L’expérience portugaise est actuellement considérée comme la plus complète et la plus réussie. Des expériences de coopératives de culture ont été montées en Andalousie. Il s’agit de variétés de Cannabis très pauvres en résine et dont la consommation comme plante médicinale, sous forme d’herbe, fumée, ou prise sous forme de tisane, ou comme épice en cuisine. De ces variétés, d’autres utilisations non médicinales sont possible à partir de la fibre des tiges. Ainsi, pour l’utilisation médicinale, la légalisation est relative à la consommation, notamment par des malades cancéreux à qui on a autorisé la possession de résine de Cannabis.
A ceux qui veulent légaliser la culture du Cannabis chez nous et imaginent que la moisson sera redirigée vers l’usine pour la fabrication des médicaments, je dirais que le processus n’est pas aussi simple. Le Cannabis est une plante unique du monde végétal, je peux vous dire que c’est la plante la plus étudiée au monde, le THC, le principe actif à effet psychotrope appartient à la famille des cannabinoides, une famille chimique qui comprend plus de 60 composés. Actuellement la majorité des recherches pharmacologiques concernent essentiellement trois de ces composés, le THC (Tetrahydrocannabinol), le CBD (cannabidiol) et le CBN (Cannabinnol).

Comment peut-on donc légaliser la culture de cette plante, si convoitée par les trafiquants de drogue, sans qu’il y ait d’amalgame ? Quelles sont vos propositions à ce sujet?

Vraiment, c’est une question très difficile, car elle relève du domaine de nos spécialistes sécuritaires. Je vais tenter de répondre à ma manière et qui est celle d’un enseignant-chercheur dont la rencontre avec le Cannabis date de plus de 25 ans. Pour rappel, ce genre de question, posée lors d’un programme télévisé sur 2M, a été à l’origine de mes dissensions avec le représentant de l’Intérieur et celui de l’Agence du Nord, qui mettaient sur un pied d’égalité cultivateurs, trafiquants et consommateurs. Ceci étant, en supposant qu’on accepte la légalisation de la culture de cette plante, en principe, vous n’aurez plus de trafiquants. Car vous aurez déjà légalisé la filière Cannabis et le problème est résolu. A mon avis la légalisation du cannabis doit être liée à des objectifs bien spécifiés. Pourquoi doit-on légaliser le Cannabis ? Autrement dit, l’Etat doit avoir les idées bien claires. Est-ce que l’Etat a une idée sur le nombre de variétés introduites actuellement et qui ont permis une augmentation de la production de résine (Gkardala, mexicana, afghana, pakistana, l’avocat…) ? Nos responsables de la santé publique savent-ils que la consommation de ces nouvelles résines par nos jeunes est en train de leur causer d’énormes dégâts psychiques irréversibles ? A mon humble avis, la phase première qui consiste à s’intéresser à la compréhension et à l’élaboration de nos objectifs, c’est ce qui va nous permettre d’élaborer une stratégie qui pourra aller dans le sens de la légalisation, ou de chercher d’autres voies. Je dirais que la problématique du Cannabis est d’ordre socio-économique et toute approche devrait être multidisciplinaire. Personnellement, les résultats de mes recherches sur cette plante se sont soldés par une thèse de Doctorat d’Etat soutenue en 2001, un bon nombre d’articles scientifiques, une dizaine de projets internationaux, une thèse nationale, soutenue en juillet dernier par un de mes doctorants «Approche ethnosociologique de la culture du cannabis»… Et la seconde «Les potentialités thérapeutiques du haschisch: cannabis et vison nocturne» est programmée pour janvier 2014. Le Cannabis continue d’être un axe prioritaire de mes recherches et je dirais que l’aspect scientifique pourrait être une filière très utile à explorer. Espérons un changement dans les attitudes de nos nouveaux responsables de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique.

** Festival d'Imintanout

Quelle utilisation scientifique peut-on faire du cannabis?

Enormément d’utilisations. Une interrogation bibliographique sur Pubmed central, scienceDirect, Springer, Wiley-Blackwell, Taylor and Francis, Oxford journals et autres, vous livrera des milliers d’articles scientifiques sur les différents aspects étudiés de cette plante et ses composés chimiques. Personnellement je continue d’explorer une voie concernant le Cannabis et la vision nocturne. Trois articles ont été déjà publiés sur ce sujet et bientôt une thèse sera soutenue sur le Cannabis, la vision et la déficience en vitamine A. Pour ce sujet j’ai eu un appui considérable de mon groupe de recherche à l’université de Grenade et une aide inestimable de notre collègue Ethan Russo, un neurologue de l’université de Montana. Actuellement, il est chercheur à GW Pharmaceuticals, multinationale pharmaceutique qui a mis sur le marché le dernier médicament tiré du Cannabis, le Sativex, un spray buccal destiné à soulager certains patients atteints de sclérose en plaques et qui est déjà commercialisé dans 22 pays dont 17 européens. Sa commercialisation en France est prévue pour 2015. Aux médicaments à base de Cannabis déjà existants -et vu l’effervescence enregistrée dans le domaine des recherches sur le Cannabis et ses dérivés- s’ajouteront bientôt d’autres médicaments. Personnellement je ne peux que regretter et avec amertume l’absence de structure et d’aide pour explorer ce terrain du savoir et ce, malgré les potentialités humaines dont nous dispositions

A-t-on fait une étude sur les conséquences de cette légalisation?

Non, on n’a pas abordé les conséquences de la légalisation, du moins en tant qu’étude complète… Sinon, cet aspect a été abordé via une enquête sur les perspectives de l’approche ethno-sociologique pour potentialiser les ressources endogènes de la province de Chefchaouen. La population autochtone et les cultivateurs de Cannabis rejetaient dans leur majorité cette option, comme ils rejetaient aussi toute infrastructure de désenclavement. L’appréhension vis à vis de toute initiative de l’Etat était la position adoptée par la population de ces régions

Interview réalisée par Naîma Cherii

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