L’Afrique du Sud après Mandela

Jacob zuma

Mandela est parti bien après la fin de l’apartheid. Depuis son retrait, de l’eau a coulé sous les ponts.

Depuis la mise à bas de l’apartheid en 1994, l’Afrique du Sud a connu trois présidents, Mandela, Mbeki et aujourd’hui Jacob Zuma, si l’on excepte l’intermède de Kgalema Motlanthe lorsque Thabo Mbeki dut démissionner en 2009. Les sifflets contre Zuma, lors de la cérémonie d’hommages, montre bien que, pour certains, l’avenir est inquiétant.
Mandela s’est attelé à la construction «politique» de la nouvelle Afrique du Sud; Mbeki a pris la main pour rassurer le monde des affaires et les institutions financières internationales. Jacob Zuma a donc tout naturellement hérité de la cocotte-minute: 43% des Sud-Africains vivent avec moins de deux dollars par jour et le taux de chômage de la population active est de 24%, d’après des chiffres officiels. Il serait en fait de près de 40%, selon l’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE).
En février 2011, le président sud-africain a annoncé la création d’un fonds de 1,2 milliard de dollars pour combattre le chômage. Le gouvernement s’est engagé à créer 5 millions d’emplois et à ramener à 15% le taux de chômage dans les dix prochaines années.
En août 2010, une longue grève dans les secteurs publics a cristallisé les mécontentements et tendu les relations entre l’ANC et ses alliés syndicalistes et communistes.
Si on a pu voir l’apparition d’une classe moyenne noire, qui a quitté les quartiers pauvres, le socle de la hiérarchie sociale change peu. La population reste majoritairement ségréguée dans les faits. Si la transition démocratique a été une réussite en matière politique, le bilan est plus sombre en matière économique et sociale.
Aujourd’hui, 25% des noirs gagnent moins de 80 € par mois, contre seulement 2% des blancs. 1% des noirs gagne plus de 1.500 €, contre 23% des blancs. Le chômage, en augmentation depuis la récession en 2008, est de 40% chez les noirs, 5% chez les blancs.
Un autre phénomène social est dû à l’attractivité de l’Afrique du Sud pour les pays voisins (Namibie et Mozambique, mais moins maintenant Botswana et Zimbabwe). L’immigration est forte, en particulier dans les régions minières où les populations viennent travailler illégalement et moins cher que la population locale. Ces immigrations engendrent des tensions, voire des conflits dans les quartiers pauvres. A Soweto, dans l’ancien bidonville, on se barricade comme les blancs dans leurs maisons-forteresses pour se protéger des immigrés.
Seize ans après les premières élections libres en Afrique du Sud, en avril 1994 et la fin de l’apartheid, le pays reste très contrasté. C’est aujourd’hui l’Etat le plus riche du continent, mais une forte majorité vit encore dans une situation d’extrême pauvreté, dans un pays où le taux de chômage est de près de 25%. Les blancs et les noirs sont aujourd’hui politiquement égaux, mais les premiers conservent encore la majorité du pouvoir économique. Une classe moyenne noire a cependant émergé ces dernières années, notamment grâce au Black Economic Empowerment (BEE), programme mis en place par le gouvernement de Nelson Mandela en 1994 pour favoriser l’emploi pour la majorité noire. L’Afrique du Sud semble loin du rêve de Nelson Mandela, même si le passage de la société raciste et inégalitaire de l’apartheid à une vraie démocratie s’est déroulé relativement en paix. Aujourd’hui, le président Jacob Zuma est fortement critiqué par des membres de son propre parti, l’ANC (Congrès National Africain) et par l’opposition.
Jacob Zuma doit faire face à de nombreuses oppositions. C’est un ancien activiste de l’aile gauche de l’ANC. Il a combattu l’apartheid pendant de nombreuses années et a notamment été emprisonné pendant dix ans à Robben Island, avec Nelson Mandela.
Après seulement quelques mois au pouvoir en 2009, les scandales de corruption et de clientélisme des membres de la classe dominante ont éclaté. Jacob Zuma, en cherchant à contenter trop de monde (blancs, noirs, pauvres et riches) a fini par exacerber l’opposition. La vie personnelle du président est également régulièrement attaquée, notamment sa polygamie.
Dans les campagnes, la situation est considérée comme pire avec de fortes tensions raciales et inégalités entre les propriétaires en majorité blancs et les ouvriers en majorité noirs. Le Prix Nobel de littérature, John Maxwell Coetzee, a ainsi représenté cette haine raciale des campagnes dans son roman «Disgrâce» et le meurtre, le 3 avril, d’Eugène Terre’Blanche (fondateur de l’AWB, mouvement de la résistance afrikaner) par deux de ses ouvriers noirs qui se plaignaient de ne pas être payés et d’être régulièrement battus, a illustré ces tensions.
Il reste beaucoup à faire pour concrétiser le «rêve» d’un homme admiré et le succès final, qui n’est pas garanti, demandera l’émergence de bonnes volontés, mais aussi d’êtres d’exception, sans atteindre bien sûr la dimension de Mandela.

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Patrice Zehr

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