Entretien avec Ismaïl Alaoui, président de la Commission nationale chargée du dialogue sur la société civile
Interview
Qu’est-ce qui dicte aujourd’hui l’organisation d’un atelier international à Rabat sur le thème «Le droit de pétition à la lumière du benchmark législatif»?
Vous savez, ce n’est pas un thème né maintenant. C’est une obligation pour nous de nous pencher sur ce sujet. Notre Constitution, pour être complète, a besoin que plusieurs lois organiques soient rédigées, une vingtaine à peu près. Parmi ces lois, il y a celle sur la pétition populaire.
Quel rôle de la Commission nationale chargée du dialogue sur la société civile que vous présidez?
Nous avons le devoir, en tant que Commission nationale chargée du dialogue sur et avec la société civile, de voir comment nous pouvons faire en sorte que ce principe de pétition populaire soit traduit en texte et que ce texte permette la traduction de son contenu en actes.
Il y a toute une réflexion à mener et une rédaction à proposer.
Les membres de la Commission sont-ils seuls à prendre la responsabilité de ce travail important?
Bien sûr, la décision ne nous revient pas en tant que Commission. Nous allons débattre et nous contenter de faire des propositions.
Qui doit trancher?
C’est au gouvernement, qui est le maître d’œuvre, de voir ce qu’il doit en faire. Il va faire ce qu’il pense être utile.
A quel niveau?
Il va le proposer certainement au Conseil des ministres, après le Conseil de gouvernement. Et puis, si le Conseil des ministres est d’accord, il proposera le projet de loi au Parlement qui aura toute latitude d’amender ce qui sera proposé. C’est pour vous dire que nous ne sommes qu’au début de l’action.
Y a-t-il d’autres actions à entreprendre?
Je pense que, le sujet étant extrêmement important et la Constitution (de 2011) étant très avancée et très ouverte, la pétition fait partie de toute une série d’actions que nous devons faire dans le cadre de la consultation populaire. Il y a les pétitions, il y a l’initiative législative populaire et il y a le fait que cette consultation populaire doit se manifester à différents niveaux.
Lesquels?
Au niveau des communes. D’ailleurs, la Charte communale le prévoit au niveau de toutes les collectivités locales.
Quel impact sur les autres institutions?
Elle aura peut-être aussi un impact sur la vie parlementaire elle-même. C’est un aspect de l’application de la démocratie participative.
N’y a-t-il pas, à votre avis, une opposition entre la démocratie participative et celle représentative?
Nombreux en effet sont ceux qui pensent qu’il y a contradiction ou opposition entre les deux démocraties, celle que vous venez de citer et celle que j’appelle aussi délégataire. C’est de là justement d’où vient le mal. C’est parce qu’il y a une délégation de pouvoir et souvent les gens à qui nous déléguons nos pouvoirs en tant que peuple et qu’électeurs ne font pas toujours bon cas de cette délégation. Donc, il se peut que, concernant la démocratie participative, par le fait que les citoyens et les citoyennes vont prendre en mains leur sort, on rectifie quelque peu ce dysfonctionnement qu’on constate au niveau de la démocratie représentative.
Alors, à votre avis, y a-t-il ou non une quelconque opposition entre la démocratie participative et celle représentative?
A mon humble avis, je vous dirais qu’il n’y a pas du tout opposition entre les deux aspects de la démocratie.
Est-ce qu’il faut remettre en question la délégation donnée aux élus, par exemple?
Il faut trouver la conciliation nécessaire. Il ne s’agit pas d’arriver jusqu’à ce que proposaient quelques Fabiens en Grande-Bretagne, dès la moitié du 19ème siècle, à savoir remettre en question la délégation qu’ils donnaient aux élus chaque année. Et l’élu qui n’était pas en phase avec ses électeurs pouvait être changé. C’est un peu trop compliqué, peut-être.
On pourrait alors tomber dans une sorte d’anarchie…
On pourrait tomber dans un anarchisme de mauvais aloi, parce qu’il peut y avoir un anarchisme de qualité. Donc tout cela, à mon avis, nous est proposé en débat. Nous essayons de faire en sorte que tout cela soit décanté et de proposer ce que nous devons proposer au gouvernement.
Estimez-vous que la société marocaine est prête pour ce chantier et ce changement?
Le fait que vous posiez cette question donne l’impression que vous en doutez… Mais je dirais que c’est en forgeant qu’on devient forgeron.
Où en est la Commission nationale chargée du dialogue sur la société civile?
La commission se porte bien. C’est elle d’ailleurs qui organise ce chantier. Elle fonctionne et travaille avec des hauts et des bas. Sur ce plan, je pense que nous avons beaucoup pâti du nombre incalculable de congés depuis le Ramadan. Hélas, je me souviens d’une parole de Omar Ibn Al Khattab: «On ne peut rien espérer d’une nation qui a trop de fêtes» (La khaïra mine oummatine kathourate aïadouha) (rires). Je reviens à la question que vous venez de poser, si nous sommes prêts? Eh bien, je dirais cette fois que nous ne sommes pas tellement prêts, mais nous ne le serons jamais si nous ne mettons pas la main à la pâte.
Interview réalisée par Mohammed Nafaa