On a cru un moment, en Ukraine, que le mouvement de contestation pro-européen avait échoué. Dans la rue, la mobilisation s’était essoufflée. Le pouvoir pro-russe, conforté par l’aide massive économique de Moscou, pensait l’avoir emporté. Il a été imprudent.
Le pouvoir pro-russe a fait voter par ses partisans des lois limitant la liberté de manifester. Cette erreur lui sera sans doute fatale.
La contestation est repartie de plus belle et le pouvoir, depuis des jours, n’a cessé de reculer. Il devrait, si ça continue, accepter des élections anticipées.
Mais il peut y avoir également, en raison de cette erreur stratégique, un vrai risque d’affrontement et même de guerre civile. Un faux-pas peut toujours faire tomber dans le vide. Le président français, François Hollande, a raison. La situation en Ukraine «est grave et elle appelle à la plus grande vigilance». «Ce qui peut se produire dans les prochaines heures, dans les prochains jours, c’est une confrontation et des violences et nous devons tout faire pour rétablir le dialogue et favoriser l’apaisement», a ajouté le président français.
Viktor Ianoukovitch a répondu, lui, à l’opposition, l’accusant de «continuer d’envenimer la situation» en raison des «ambitions politiques de quelques-uns» de ses chefs. S’adressant à ses concitoyens, dont le pays traverse depuis plus de deux mois une grave crise politique, il a néanmoins déclaré qu’il fallait prendre en compte les erreurs que font toujours les autorités. Quant à sa maladie diplomatique ou réelle, elle n’a fait qu’ajouter à la confusion et aux incertitudes.
L’opposition, se sentant confortée, fait bien sûr monter les enchères. Elle a refusé (mercredi 29 janvier) de soutenir la loi d’amnistie des contestataires, adoptée par le Parlement afin de sortir le pays de la crise, tandis que la Russie a averti Kiev qu’elle pourrait revenir sur son soutien économique. Ce cas ukrainien doit inciter à la réflexion tous les pouvoirs confrontés à une contestation et qui veulent apaiser les choses. On pense bien sûr à l’Egypte et à la Tunisie.
L’armée en Egypte appelle son chef, le général Abdel Fattah Al-Sissi, qui vient d’être promu maréchal, à se présenter à l’élection présidentielle prévue en 2014. Le commandement de l’armée l’a mandaté pour se présenter aux élections. La nouvelle, annoncée par l’agence de presse officielle Mena, semble répondre à une mise en scène bien planifiée. Elle a suivi de quelques heures sa promotion au grade de maréchal par Adli Mansour, le président par intérim. La veille, il avait déjà préparé le terrain à son ascension en annonçant la tenue du scrutin présidentiel d’ici à trois mois, avant les législatives. Processus normal ou passage en force dangereux?
Un groupe djihadiste s’inspirant d’Al-Qaïda, Ansar Beït al-Maqdess, a revendiqué l’attentat contre le général Mohamed Saïd, tué au Caire par des hommes armés qui ont pris la fuite à moto. La victime dirigeait le bureau technique du ministère de l’Intérieur, rattaché à la personne du ministre, Mohamed Ibrahim. Basé dans la péninsule du Sinaï, le groupe a menacé de s’attaquer au maréchal Al-Sissi -à qui l’armée a demandé de postuler à la magistrature suprême- et au ministre de l’Intérieur. «La vengeance va venir», a-t-il prévenu dans un communiqué publié sur des sites jihadistes.
Selon le centre américain de surveillance des sites islamistes SITE, un commandant d’Ansar Beït al-Maqdess, Abou Oussama Al-Masri, a appelé les soldats à se mutiner, menaçant, sinon, de les attaquer. Ansar Beït al-Maqdess a parallèlement revendiqué l’attaque (lundi 27 janvier) dans le Sinaï d’un gazoduc acheminant du gaz en Jordanie et menacé d’étendre sa «guerre économique contre la clique des traîtres jusqu’à leur défaite». Il affirme qu’il va s’en prendre aux «intérêts économiques du régime», accusant «Al-Sissi et ses généraux» de se remplir les poches de milliards de livres égyptiennes.
Un procès qui dérape, une manifestation provoquant une bavure, une décision politique non judicieuse, le faux-pas menace toujours tous les pouvoirs politiques contestés par une partie de la population, à tort ou à raison. Le faux-pas est à l’origine de bien des exploitations ayant débouché sur des changements de régime.
Ceux qui sont aux affaires doivent donc rivaliser de prudence et de pertinence dans les périodes à risque. L’actualité est là pour le confirmer.
Patrice Zehr