Retraite : Ça va chauffer, côté syndicats !

Syndicats marocains

Le projet de réforme des retraites est confronté à une très forte résistance. En plus des partis de l’opposition (dont l’USFP et l’Istiqlal), qui sont contre ce projet émanant du gouvernement de Benkirane, les syndicats UMT, CDT et FDT, rassemblés en un front syndical, ont également signifié leur désaccord.

Ils avaient déjà boycotté, mercredi 4 novembre dernier, une rencontre avec le chef de gouvernement en signe de protestation. Et ils comptent organiser une marche, ce 6 février 2014.

Depuis des années, la CMR (Caisse marocaine de retraites) souffre de graves déficits. La dette implicite du régime des pensions civiles géré par cette Caisse plafonne actuellement à 800 milliards de DH et celle-ci sera en faillite d’ici 2019.
Tout le monde parlait de la réforme du système des retraites au Maroc. Les différents gouvernements qui se sont succédé ont vu et revu de multiples scénarios, mais aucun n’a été retenu. Aujourd’hui, c’est le gouvernement de Abdelilah Benkirane qui décide de s’aventurer dans la réforme de ce régime de retraite dans un but de redressement. En janvier 2014, Mohamed Boussaïd, ministre de l’Economie et des Finances, a représenté (par délégation) le chef de gouvernement Abdelilah Benkirane à la dernière réunion du Conseil d’administration de la CMR. A l’issue de cette réunion (7 janvier), il a été décidé, outre le contrat-programme 2014-2016, de finaliser la réforme au cours de cet exercice, avant son application le 1er janvier 2015.

Une forte opposition

Plusieurs partis, dont l’USFP et le Parti de l’Istiqlal, ainsi que trois centrales syndicales, l’UMT, la CDT et la FDT s’opposent à la décision de Benkirane consistant à entamer la réforme de la Caisse marocaine de retraites. Certains partis appartenant à la majorité ont également émis des réserves sur ce projet de réforme.
Les trois centrales syndicales dénoncent certaines mesures qu’elles qualifient surtout d’antidémocratiques et d’impopulaires. Et elles déclarent la guerre au gouvernement. Aussi comptent-elles organiser, ce 6 février à Rabat, une marche nationale. Les trois syndicats ont publié un communiqué commun, le 23 janvier dernier, pour riposter contre ce projet de réforme. Mais bien avant cela, ils avaient boycotté (mercredi 4 novembre 2013) une rencontre avec le chef de gouvernement en signe de protestation. Les syndicats invoquent l’absence de dialogue social, puisqu’ils n’étaient pas associés au processus de réforme du régime de la retraite CMR, ni non plus à toutes les politiques sociales devant être mises en œuvre. Et ils s’insurgent contre le chef de gouvernement, Abdelilah Benkirane qui, selon eux, n’a pas tenu ses promesses, car il a gelé les salaires et l’avancement des fonctionnaires. Il a surtout opté pour la hausse des impôts. L’augmentation de l’âge de la retraite et du taux de cotisation, ainsi que la correction de la retraite sur la base des dix dernières années, au lieu du dernier mois de la vie active, reflètent le peu d’intérêt accordé aux retraités, poursuivent-ils. De la sorte, de telles réformes ne peuvent qu’attiser la tension sociale, selon les syndicats. La centrale istiqlalienne, l’UGTM, n’y est pas encore, mais Hamid Chabat a promis d’organiser une marche contre le gouvernement.

Ce qu’en pense l’UMT

«Le gouvernement a étonnamment instauré un certain nombre de mesures pour la retraite, à savoir l’augmentation des cotisations salariales, la prolongation de l’âge de la retraite à 62 ans puis à 65 ans et la baisse les pensions de 40%. L’UMT considère ce projet de réforme de la CMR antidémocratique et antipopulaire. Cette réforme a été élaborée sans concertation préalable avec les représentants des travailleurs. Ces mesures frappent de plein fouet les droits acquis des salariés. L’actuel gouvernement nous demande de travailler plus, de cotiser plus et de gagner moins», souligne Miloudi Moukharik, Secrétaire général de l’Union Marocaine du travail. Et d’ajouter: «L’UMT rejette cette soi-disant réforme qui veut faire endosser les frais et les conséquences aux salariés. Pourtant les fonctionnaires n’ont aucune responsabilité de la faillite que va connaître la CMR et les autres Caisses de retraite. Les salariés n’ont été ni dans la gestion de la CMR, ni même représentés dans son Conseil d’administration. Ils ont payé leurs cotisations sans évasion, alors que l’Etat, depuis 1960 et jusqu’en 2003, n’a pas payé sa part de cotisation (la part patronale). Les arriérés étaient de 19 milliards DH. Donc, l’Etat-patron ne payait pas. Il a fallu que l’UMT intervienne auprès de Driss Jettou, l’ex-Premier ministre, lors d’une rencontre, pour régulariser la situation de cette Caisse. Sans oublier, bien entendu, les détournements de fonds et la mauvaise gestion». Selon Miloudi Moukharik, les dépôts des salariés dans les Caisses de retraite étaient toujours investis dans des projets de luxe au profit des non-cotisants, c’est-à-dire les bourgeois ou les nantis de notre pays. «Nous n’avons jamais vu cette Caisse investir dans des maisons de retraite ou dans des crèches… au profit des cotisants», conclut le SG de l’UMT.

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Et les réserves de la majorité…

Quelques partis de la majorité ont émis des réserves quant aux réformes de la Caisse de retraites. «La réforme de la retraite doit faire son chemin pour un redressement, sans toucher aux intérêts des retraités. On est très sensible au sujet depuis le rapport de la Cour des comptes concernant la CMR. Il faut donc une réforme des équilibres et des mesures urgentes. Il faut préparer une vision, une démarche et une solution globale. Il faut également un grand élargissement du champs des caisses de retraites», indique Abdellatif Ouammou, membre du BP du Parti du Progrès et du Socialisme (PPS) et parlementaire. Et d’ajouter: «Ce qui pose problème actuellement, ce sont les trois mesures de la réforme. Nous avons formulé des réserves quant à l’élargissement de l’âge de la retraite à 65 ans en 2020. Au-delà de 60 ans, les travailleurs auront des problèmes de santé et c’est un peu trop. La 2ème mesure concerne l’augmentation du taux de la cotisation, ce qui impactera négativement le pouvoir d’achat des travailleurs qui est généralement faible. Ce n’est vraiment pas le moment et on peut certainement trouver une autre solution. Se baser sur le salaire des dix dernières années du salarié pour fixer la pension, ça peut porter préjudice au salarié. Il faut une transition consensuelle pour pouvoir faire une réforme globale. Il ne faut surtout pas faire des mesures de retouche malgré l’impact de la crise économique. On n’est pas d’accord pour passer à des mesures à caractère violent».

Le gouvernement dans une mauvaise situation

Lors de la présentation de la loi de Finances 2014, il a été précisé que, concernant le calendrier de la réforme des retraites, l’année 2014 connaîtra des décisions concernant les différents scénarios présentés. L’adoption des textes et le démarrage de l’application de la réforme seront pour début 2015. Certes, les réformes qui concernent les différentes Caisses de retraites, que ce soit la CMR ou les autres Caisses, dont la CIMR, le RCAR et la CNSS, ne se feront pas facilement. L’opposition est très forte de la part et des partis de l’opposition et des centrales syndicales qui se constituent en front uni. Affaire à suivre…

Badia Dref
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Rapport de la Cour des comptes sur la CMR


La CMR (Caisse marocaine de retraites) est menacée de faillite en 2019. Et ce sont près de 900.000 fonctionnaires affiliés (civiles et militaires) qui pouvaient se retrouver sans pension de retraite. Les problèmes de trésorerie se manifesteront dans trois ans, selon le rapport de la Cour des comptes. Plusieurs causes sont évoquées. Mais au-delà des données structurelles, la gestion de tous les jours est, elle aussi, mise en cause. Elle a occasionné des pertes qui se chiffrent en millions de dirhams. «Des placements hasardeux» dans des actions de la BNDE et de Managem qui ont causé 92 millions de dirhams de perte. La CMR, qui aurait dû se débarrasser des actions BNDE au moment où celle-ci enregistrait des résultats négatifs de plus de 3 milliards sur les exercices 2001 et 2002, avait fait le choix de conserver ces titres jusqu’à ce que l’assemblée générale extraordinaire de la Banque de décembre 2003 décide l’annulation définitive de ces actions. Environ 70 millions de dirhams sont partis en fumée. Et plus de 22 millions de dirhams: ce sera la moins-value liée à la vente des actions de Managem. «La CMR a vendu au moment où le cours était à son plus bas», relève la Cour des comptes. Et de faire remarquer: «Aucun gestionnaire d’actif, aussi compétent soit-il, ne peut prétendre gagner à tous les coups» et «l’appréciation de la performance du gestionnaire doit être globale».
Globalement, par le biais des placements, la CMR a gagné 524 millions de dirhams nets et 3 milliards en plus-values latentes, soit une performance de 90%. Les détournements se chiffrent à plus de trois millions de dirhams. Il y en a eu deux, à Salé et à Rabat. Les auteurs ont exploité des failles au niveau du système d’information, observe la Cour des comptes. Des pensions sont indûment versées du fait du non-contrôle des décès des pensionnés ou des remariages des veuves. Près de 28 millions de dirhams ont été «offerts» sans droit et, pis encore, ne sont pas recouvrés auprès des héritiers. Certains cumulent indûment les pensions: près de 10 millions de dirhams de pertes non réclamées. L’attribution de marché n’échappe pas au laisser-aller ambiant. «Il a été constaté que certaines conventions sont établies par la Caisse sans être au préalable soumises à l’approbation du Conseil d’administration», note le rapport de la Cour des comptes. De plus, «des dispositions de la réglementation des marchés ne sont pas respectées dans certains cas, dont le plus important en termes financiers est celui relatif à la construction du nouveau siège», indique le rapport. L’enveloppe de ce marché s’élevait à 145 millions de dirhams. Ce chantier, adjugé à la société Cogeba, devait initialement durer 15 mois pour être livré au mois de juin 2005.

Maroc : Réforme de la retraite et contestation

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Leur avis…

Fadel, 37 ans

«La réforme de la retraite est nécessaire et va avec la tendance mondiale, puisque l’amélioration de l’espérance de vie humaine soumet les régimes de retraites à des tensions importantes. L’espérance de vie a en effet atteint entre 85 et 88 ans en Europe et au Maroc elle est à peu près de 74 ans. Ceci pèse lourd sur les Caisses de retraite. Sans oublier les fautes du passé, c’est-à-dire les détournements de fonds à la CNSS, à la CMR et autres. Et surtout la mauvaise gestion. Pour moi, ces réformes sont nécessaires. On n’a pas le choix: il y a des trous à combler. Cependant, l’augmentation de l’âge de départ à la retraite va rendre les choses difficiles aux nouveaux arrivants au marché de l’emploi. Ces réformes doivent préserver les droits et les acquis des travailleurs. Parallèlement à cela, il faut prendre des mesures sévères contre ceux qui volent les deniers publics, afin de ne pas revivre la même situation».

Abderrahim, 37 ans

«L’âge de la retraite ne doit pas dépasser les soixante ans, parce que les travailleurs ne peuvent plus donner un rendement meilleur au-delà de cet âge. Il y a des métiers qui sont fatigants et cette mesure n’est pas idéale pour ce genre de situation. Puis, il faut céder la place aux jeunes diplômés. Quant à la l’augmentation des cotisations, elle aura un impact négatif sur le pouvoir d’achat des fonctionnaires. Je suis totalement contre cette mesure. Les gens se tuent au travail pour avoir par la suite une retraite qui les fera vivre honorablement durant leur vieillesse. Penser à baisser leur pension relève de l’absurdité, même si cela réduit les dépenses de l’Etat. Et si les caisses sont vides, ce n’est pas la faute non plus des salariés. Il faut trouver des solutions sans pour autant toucher aux droits acquis de cette frange de la société».

Nader, 41 ans

«J’ai entendu parler des différentes mesures pour réformer le régime des retraites marocain qui souffre depuis des années de réels problèmes, dont le principal est le manque de liquidités. Nos responsables ont opté pour l’augmentation de l’âge de la retraite à l’instar des pays européens. Cette mesure connaîtra une opposition de la part d’un grand nombre de personnes. Mais ce qui est à souligner, c’est que les salariés qui sont concernés par cette mesure ne sont pas consultés. Je trouve cela bizarre! Trouver des solutions pour le régime des retraites, alors qu’on est toujours en crise, est certes très difficile. Le gouvernement de Benkirane va s’attirer les foudres des salariés et le PJD sera moins populaire. Les autres mesures qui concernent l’augmentation de la cotisation et une pension qui se calcule sur la base des dix dernières années de travail, c’est vraiment injustifié. Cela provoquera sûrement des grèves».

Touria, 45 ans

«La crise a poussé certains pays européens à porter l’âge légal de la retraite à 65 et même à 66 ans comme en Irlande. Entre la hausse de la cotisation, la baisse des niveaux de la pension et l’allongement de l’âge légal de la retraite pour rééquilibrer les régimes de retraite, je choisis la dernière mesure. Mais cela aura des impacts négatifs sur le marché de l’emploi: les jeunes seront obligés d’attendre davantage s’ils veulent décrocher un boulot, car les postes vacants deviendront rares. À mon avis, il doit sûrement y avoir d’autres solutions pour redresser ces régimes de retraie et sortir de l’impasse. Le montant des cotisations des salariés doit être investi dans des projets qui rapportent. Trouver une solution aux dépens des salariés est injuste. Il faut également recouvrer l’argent volé par les responsables peu scrupuleux qui se sont succédé à la tête des organismes de retraite».

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