Prêts pour la régionalisation avancée ?

Fouad benseddik

Entretien avec Fouad Benseddik

Sommes-nous vraiment prêts pour la régionalisation avancée ?

Fouad Benseddik a plusieurs casquettes. Il est directeur des méthodes et des relations institutionnelles à VIGEO, un organisme européen d’évaluation, audit, conseil et rating des entreprises en matière de responsabilité sociale.

Dans ce cadre, il est chargé du développement des activités de Vigeo au Maroc. Il est aussi membre du Conseil économique et social du Maroc (Cese: Conseil économique, social et environnemental), dans la catégorie des experts.
A ce titre, il était de tous les rapports et de toutes les analyses et conclusions du Cese, concernant la régionalisation avancée. De même qu’il était de tous les déplacements au Sahara et concertations qui y ont eu lieu.
Mais ce brillant universitaire (titulaire d’un doctorat d’Etat en Sciences politiques, Paris X), cet Obélix du syndicalisme (neveu du fondateur du syndicat UMT, feu Mahjoub Benseddik, il est tombé tout petit dans le militantisme syndical), tient à garder sa liberté de penser.
Sans manquer à son obligation de réserve, en tant que membre du Cese et, surtout, sans remettre en cause le travail de ce Conseil dont il loue les efforts, rendant au passage un hommage, aussi bien au premier président du Conseil, Chakib Benmoussa, qu’à son successeur, Nizar Baraka, il accepte d’exprimer son point de vue, à titre strictement personnel, sur la régionalisation avancée. Et pour lui, ce projet de régionalisation avancée gagnerait à être un peu plus débattu, muri… Il s’en explique dans cet entretien.

Entretien

Qu’est ce qui «bloque» avec le projet de «régionalisation avancée»? Elle devait commencer au Sahara. Le Cese -dont vous êtes membre- a présenté un premier rapport au Roi, il y a un an de cela (fin mars 2013). Puis le Cese a présenté un nouveau modèle de développement intégré pour les provinces du sud. Où en est-on aujourd’hui?

Le premier rapport était un diagnostic de la situation des droits de l’homme, au sens large, qui a fait ressortir les points forts et les insuffisances de la gestion des affaires publiques dans les trois régions du Sud.
Le second rapport a fourni une batterie de recommandations en faveur d’une nouvelle approche, articulant de façon mesurable le développement humain et la gouvernance responsable, avec pour ambition de déclencher un vrai décollage économique où le secteur privé prendra le relais et amplifiera l’effort d’investissement jusqu’ici porté par l’Etat.
Les recommandations du Cese ne préjugeaient cependant ni des modalités ni du calendrier ni de l’étendue de la régionalisation. Elles valent, si je puis dire, «toutes choses égales par ailleurs».

Il y a quand-même bien un lien entre le travail du Cese sur le développement des provinces du Sud et la régionalisation ?

Bien-sûr que oui. Mais ce lien, pour les provinces du Sud exactement comme pour les autres régions, n’a rien d’univoque, ni de schématique.

Mais vous savez bien que la régionalisation est inscrite au cœur même de la proposition d’autonomie formulée par le Maroc ?

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Il faut être attentif à ne pas mélanger les agendas. Et prendre garde à ne pas céder à l’illusion de résoudre un problème par un autre problème.
Les difficultés du tissu économique, le besoin d’investissements, la réduction des inégalités sociales, les difficultés qui entravent le fonctionnement de la machine administrative ne résultent pas de la centralisation de l’Etat, et ne disparaitront pas par enchantement parce que les régions auront des Conseils élus au suffrage universel.
De mon point de vue, la régionalisation avancée telle qu’elle a été définie par la Commission qui a travaillé sur ce sujet soulève de vraies difficultés.
Ce sujet n’est pas mûr et il y aurait sans doute avantage à ouvrir, dans un esprit de responsabilité, un débat national à son propos.

Mais la régionalisation avancée est inscrite dans la Constitution ?

Je sais bien. Il y a eu une accélération des calendriers. Les recommandations de la Commission sur la régionalisation avancée n’avaient pas encore été publiquement débattues en 2011 que la réforme de la Constitution est intervenue qui les a gravées dans son texte.
Son titre IX érige la région et ses élus, au suffrage universel, en des acteurs institutionnels dont les compétences appellent de la réflexion, du débat et de la clarification avant la production des lois organiques destinées à les mettre en place.
Il y a intérêt à bien tenir compte de l’Histoire.
Le Maroc est un vieux pays dont l’identité, à la fois unitaire et diversifiée, a toujours été impulsée du centre vers les régions. Ce trait est une constante de son Histoire et une composante clé de sa singularité.

Le travail du cese n’a-t-il pas été, finalement, limité en quelque sorte par celui de la commission consultative sur la régionalisation dont les recommandations avaient été entérinées par la Constitution de juillet 2011, un peu dans la précipitation ?

C’était un peu inévitable. La régionalisation, qu’il s’agisse des provinces du Sud ou des autres régions, concerne certes le développement au sens large, mais elle comporte une dimension éminemment politique. Il faudra tôt ou tard en questionner l’utilité et la faisabilité.
Ce qui est frappant c’est ce silence des élites politiques auquel fait écho l’indifférence de l’opinion publique pour cette affaire.
Qui peut dire que les Marocains souhaitent vraiment l’émergence de parlements régionaux élus au suffrage universel ?
En vue de quoi ? Avec quels moyens ?
Pour être attractive et mobilisatrice, la régionalisation a besoin d’être pensée comme une fondation nouvelle, une sorte de nouveau départ où les citoyens ont la possibilité d’orienter la gestion de leurs affaires et de la contrôler, avec une vision de l’avenir et des objectifs partagés. A cette condition, et dans cet esprit, la régionalisation sera le chantier de toute une génération.
En attendant, mieux vaut commencer par le commencement, veiller au respect et à l’effectivité des lois existantes, libérer l’initiative privée et l’encourager, promouvoir le dialogue social et le dialogue civil, susciter les contrats collectifs entre les acteurs de la société civile, l’Etat et les entreprises, partir du réel vers l’idéal plutôt que de créer, sui generis, des OVNI institutionnels.

** UCESIF

Dans ces conditions, ne faut-il pas avoir le courage de reprendre la réflexion? De repartir même de zéro en lançant un débat national?

Je suis tout à fait de cet avis. Mais il faut quand même avancer et tracer des perspectives, même modestes.

Est-il possible d’organiser des élections communales et régionales crédibles avant d’avoir achevé la réflexion sur la régionalisation avancée? On est déjà à la mi-législature et il n’y a toujours pas d’élections communales et régionales, la 2ème chambre est dans la quasi-illégalité

Cette sorte d’entre-deux n’est pas saine, où tout le monde semble attendre nul ne sait quoi.
Les gens n’attendent pas des politiques qu’ils réalisent des miracles… Dans un aucun domaine. En revanche, ce qui est certain c’est le besoin de clarté et d’objectivité.
Le Maroc a des atouts à faire valoir dans la globalisation du monde, il peut les affirmer et les développer en s’appuyant sur un Etat stratège, planificateur et animateur de la croissance, du développement humain et des solidarités avec les plus vulnérables, tout en déconcentrant au maximum les services publics et l’administration des départements dont l’efficacité requiert de la proximité tels que l’éducation, la santé, la culture.

Compte tenu de tout ceci, quelles perspectives? Est-il possible de définir et d’installer une régionalisation avancée réussie ? Comment? Quel pourrait en être le calendrier?

La régionalisation est un moyen et non une fin en soi. Une réflexion collective est indispensable sur ce que peut signifier de progressiste et d’utile le «principe de subsidiarité» auquel fait référence l’article 140 de la Constitution de 2011.
Cette notion est, me semble-t-il, utilisée à l’envers. Dans l’architecture institutionnelle marocaine telle qu’elle est, les régions n’ont pas de compétences ni de ressources propres et n’ont fondamentalement rien à déléguer à l’échelon supérieur, parce que telle est la définition de la subsidiarité.
Ici, c’est plutôt en termes de transfert de compétences du centre vers les régions, ou de regroupement de compétences municipales que la régionalisation est envisagée. Il y a donc besoin de clarifier le modèle cible et de tendre graduellement, sur un calendrier de moyen terme, vers sa réalisation.
Au Cese nous avons modélisé un schéma de contractualisation des objectifs du développement entre l’Etat et les élus régionaux et locaux, en appui sur les services extérieurs de l’administration, et dans un cadre régi par des principes exigeants de respect de l’autorité de la loi, d’obligation de reddition de l’information et des comptes, de participation des partenaires sociaux et des organisations de la société civile à la construction des décisions et à l’évaluation des politiques publiques.
Il y a moins besoin de nouvelles institutions que de bonnes règles pour mieux faire tourner celles qui existent.

Propos recueillis par BA

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Un commentaire

  1. Maria Almodavar

    de la pensée créative, c’est rare ! 😀 😀 😀

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