La révolution ukrainienne a gâché, c’est certain, les JO de Poutine. Pour le moment, le président russe semble avoir perdu la partie. L’Ukraine, en tout cas la partie occidentale du pays, avec la capitale Kiev, a choisi Washington et Bruxelles contre Moscou.
Il est évident qu’il y a eu une révolution. Des manifestations populaires ont tourné en insurrection. Le régime a été renversé malgré ses tentatives de répression et le président est maintenant lâché par ceux qui tentent comme toujours de sauver leur peau.
Cela étant, une fois de plus, c’est un régime élu, même autoritaire et corrompu qui est renversé en dehors des règles de la démocratie. Le départ d’Ianoukovitch ne règle pas plus l’avenir de l’Ukraine que la chute de Moubarak n’a réglé celui de l’Egypte.
Deux Ukraine restent face à face et le risque de partition est énorme dans un pays en crise économique qui regarde vers l’Europe, mais dont l’économie dépend largement de Moscou. Olexandre Tourtchinov, proche de l’opposante Ioulia Timochenko, a été nommé au poste de président par intérim. Un intérim plein de périls.
«L’Ukraine est en train de glisser dans le précipice; elle est au bord d’un défaut de paiement», a affirmé Olexandre Tourtchinov dans une adresse à la nation diffusée à la télévision. Il a réaffirmé que l’intégration européenne était «une priorité» pour l’Ukraine. «Nous sommes prêts à un dialogue avec la Russie, en développant nos relations sur un pied d’égalité (…) et qui respecteront le choix européen de l’Ukraine». La communauté internationale redoute que la crise des derniers mois n’ait encore creusé le fossé entre l’Est russophone et russophile, majoritaire et l’Ouest nationaliste et ukrainophone.
Sur le terrain, cependant, les régions plus proches de Moscou ne donnent pas signe, pour le moment, de vouloir faire sécession. Anatoli Moguilev, le Premier ministre de Crimée, péninsule du sud russophone qui abrite une importante base militaire russe, a annoncé dimanche (23 février) que la république autonome allait se plier aux décisions du Parlement. Et dans la région de Kharkiv (est), également russophone, le gouverneur et le maire, qui avaient fui le pays samedi, sont revenus dimanche et ont déclaré: «Ianoukovitch, c’est du passé».
La chancelière allemande Angela Merkel et le président russe Vladimir Poutine sont eux aussi tombés «d’accord sur le fait que l’Ukraine doit se doter rapidement d’un gouvernement en mesure d’agir et que l’intégrité territoriale doit être préservée».
L’Ukraine recherche désespérément maintenant un dirigeant incontestable. Acclamée par une centaine de milliers de personnes sur la place Maïdan, l’ancienne Premier ministre, Ioulia Timochenko, a demandé pardon pour toute la classe politique ukrainienne, sous-entendu y compris pour elle-même. Il est vrai qu’elle n’a pas laissé que de bons souvenirs, alors qu’après la «Révolution orange», elle se disputait le pouvoir avec le président pro-occidental Viktor Iouchtchenko.
Après plus de deux ans de détention sur ordre de Viktor Ianoukovitch, elle n’exclut pas de se présenter à la prochaine élection présidentielle, prévue pour le 25 mai. Mais elle-même est née au début des années 1960 dans une région russophone, à Dniepropetrovsk et a profité des privatisations post-soviétiques.
Le mouvement a révélé d’autres dirigeants. Arseni Iatseniouk, 39 ans, était l’adjoint de Ioulia Timochenko. L’ancien champion du monde de boxe, Vitali Klitschko, 42 ans, chef du parti Oudar (Coup). Klitschko n’a pas caché son intention d’être candidat à la présidence, malgré son inexpérience politique. Mais celle-ci peut être aussi un avantage pour ce géant (2,02 mètres) qui, contrairement à beaucoup d’acteurs politiques en Ukraine, ne peut être accusé de s’être enrichi avec les fonds publics. Oleh Tiahnybok, 45 ans, originaire de Lviv, dirige le parti Svoboda (Liberté) qualifié d’extrémiste de droite et d’antisémite. Il avait obtenu 11% des voix aux dernières élections, mais il semble que son influence politique ait diminué au cours des années, même si ses troupes ont été souvent aux avant-postes des affrontements avec les forces de l’ordre.
Bien que les situations russe et ukrainienne ne soient en rien comparables, Poutine considère que la fin d’un régime autoritaire en Ukraine, avec toutes ses caractéristiques postsoviétiques, constitue une menace pour son propre pouvoir. Il a raison, il peut y avoir une contagion ukrainienne.
Le Kremlin dénonce le non-respect par l’opposition de l’accord passé la semaine dernière avec Ianoukovitch. Mais Moscou garde quelques cartes dans son jeu. D’abord des moyens de pression économiques. La Russie en a usé à plusieurs reprises, jouant sur le prix du gaz livré à l’Ukraine, y compris celui qui transite par ce pays en direction de l’Europe occidentale, ouvrant ou fermant ses frontières aux produits ukrainiens au gré de ses intérêts stratégiques.
La partie n’est pas finie…
Patrice Zehr