Au Maroc, l’âge légal pour le mariage est fixé par le code de la famille à 18 ans. Aussi bien pour le garçon que pour la fille. Ça, c’est la règle. Mais la loi prévoit aussi des dérogations qui autorisent le mariage avant l’âge légal. Ces dérogations s’appliquent généralement aux filles mineures qui sont mariées très tôt, notamment en milieu rural et parmi les couches défavorisées.
Le mariage des mineures divise la société.
Les uns le défendent, les autres le fustigent… Chacun ayant ses arguments pour justifier le pour ou le contre…
Mais ce qui est clair aujourd’hui, même si l’on est pour le mariage précoce, c’est qu’il y a abus. Le chiffre a doublé entre 2004 (date de la réforme du Code de la famille) et 2011 (dernières statistiques du ministère de la Justice) pour s’approcher des 40.000 mariages de mineures !
Or, devant ces chiffres, la classe politique a deux attitudes diamétralement opposées.
Pour le PJD (Parti Justice et Développement, islamiste, chef de la majorité), s’il y a autant de dérogations, il n’y a qu’à baisser l’âge légal et permettre que les filles se marient à 16 ans au lieu de 18.
Pour l’opposition, au contraire, il faut revoir la loi, pour en verrouiller les failles qui permettent toutes ces dérogations.
Relâcher ou resserrer… Tout le débat est là !
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La loi en question
Le mariage des mineures divise la classe politique
Le débat au sein de la Commission de la justice et de la législation à la Chambre des représentants, portant sur le mariage des mineures, a été houleux.
Cependant, les députés ne veulent pas soumettre la problématique à l’appréciation du Conseil supérieur des Oulémas, ni à celle du CNDH.
Ils penchent plutôt vers une solution parlementaire. Ils tiennent à leur autonomie. Mais est-ce là l’essentiel ?
Les mariages dits «coutumiers» (ôrfi) ont longtemps -et même aujourd’hui- permis de détourner et de contourner la loi.
Ainsi, le mariage à 18 ans, âge légal (art. 19 du Code de la famille, voir encadré), n’est toujours pas respecté, particulièrement dans le monde rural où le mariage des mineures (filles) est chose courante.
Sous la pression de la société civile, l’Etat s’est fixé une décennie (2004-2013) pour clore ce dossier. Mais cette décision n’a pas permis de résoudre, sur le terrain, ce grand problème, alors que plusieurs militants d’ONG ont réclamé, en vain, la révision de l’article 16 et suivants du Code de la famille pour les lacunes qu’ils comportent.
Positions opposées
Aujourd’hui encore, le mariage des mineures divise la classe politique. Même la majorité gouvernementale n’y échappe pas. Le PJD et le PPS ne sont pas arrivés à accorder leurs violons, chacun continuant à camper sur ses positions littéralement opposées à celles de l’autre.
Le premier (PJD) prône un mariage des mineures à 16 ans, présenté comme solution médiane.
Le second (PPS) opte pour le maintien de la capacité matrimoniale à 18 ans.
Le parlement bouge
C’est au parlement, au sein de la Commission de la justice et de la législation, que les antagonistes se sont donné rendez-vous pour se faire la guerre à travers un débat chahuté où tous les coups étaient permis.
Alors que le groupe du PJD à la Chambre des représentants a interpellé le président Karim Ghellab, lui demandant de soumettre au débat une proposition de loi relative au mariage des mineures, concernant la révision de l’article 19 du Code de la famille pour permettre le mariage des mineures, c’est-à-dire à 16 ans, le PPS mène bataille pour maintenir l’âge légal du mariage à 18 ans et, en même temps, pour supprimer les exceptions prévues par le Code de la famille qui permettent le mariage des mineures (article 20).
Pour contrecarrer leurs adversaires de gauche -le PPS et l’USFP qui ont accordé leurs violons sur ce sujet précis- les islamistes proposent de se référer au Conseil supérieur des oulémas dans l’espoir que ce dernier autorise le mariage avant l’âge légal, c’est-à-dire à 16 ans.
Un sujet casse-tête
Le débat houleux au sein de la Commission parlementaire de la justice et de la législation n’est pas parvenu à dégager un consensus sur ce sujet qui est un vrai casse-tête.
Devant cette impasse, il a été décidé, pour ce qui est de soumettre la proposition de loi à l’appréciation du Conseil National des Droits de l’Homme (CNDH), de reporter la consultation.
En effet, il s’est trouvé des voix qui désapprouvaient le recours au CNDH, comme la députée Fouzia Labied (UC).
Un problème d’hommes et de femmes
Les députés ne voient pas d’un même œil le mariage des mineures.
L’istiqlalien Abdelouahad El Ansari y voit un problème d’hommes et de femmes et non de femmes seulement. Dans un geste d’apaisement, il a précisé: «Nous ne voulons pas qu’il soit un sujet qui divise les députés hommes et femmes, mais un sujet qui unit».
On peut comprendre que les députés préfèrent trouver une solution qui soit le fruit de leurs débats et concertations, sans aucune intervention extérieure au parlement.
Mais, en attendant, le mariage des mineures ne semble pas près d’être aboli !
Il est passé de 18.341 unions en 2004 à 39.031 en 2011, selon les statistiques officielles du ministère de la Justice et des Libertés…
Mohammed Nafaa
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Opposition Alors que le PJD suggère de porter le problème devant d’autres institutions, comme le Conseil supérieur des oulémas ou le CNDH, les députés de l’opposition, eux, veulent résoudre le problème au Parlement et nulle part ailleurs. Voici l’avis de deux d’entre eux. Fouzia Labied (UC) «Nous considérons que nous avons, en tant que législateurs, assez d’expérience pour assumer nos responsabilités et nous devons cependant prendre en compte les spécificités culturelles de certaines régions du Maroc oublié… Soumettre la proposition au CNDH n’est pas, à mon sens, une proposition adéquate pour l’instant». Abdelouahad El Ansari (Istiqlal) «Il n’est nul besoin de soumettre le sujet à l’appréciation ni du Conseil supérieur des oulémas, ni du CNDH. Nous les connaissons et connaissons aussi leurs orientations». MN |
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Que dit le Code de la famille, révisé en 2004 ? Voici les articles, publiés au Bulletin officiel, relatifs à la question du mariage et de l’âge matrimonial légal dont l’éventuelle révision enflamme gouvernement et parlement: Article 16 Article 19 Article 21 Article 22 |
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Mariage à 16 ans
Pour ou contre ?
Rend-on service à une fille en la mariant à 16 ans ? Ou lui confisque-t-on sa jeunesse et ses espoirs d’avenir en la poussant à renoncer à tout pour se consacrer à un mari, au sortir de l’enfance ? Les avis sont partagés.
Que disent ceux qui appellent à baisser l’âge matrimonial pour permettre aux filles de se marier dès l’âge de 16 ans ?
Et d’abord, qui sont-ils ?
Généralement, les premiers à défendre le mariage des mineures sont des conservateurs, voire des ultra-conservateurs.
Pour eux, une fille de 16 ans est tout à fait prête pour le mariage. Il ne faut donc pas lui laisser le temps de subir de mauvaises influences.
Il y a quelques années, les filles étaient même mariées dès l’âge de 12, 13 ou 14 ans. Considérées comme les dépositaires de l’honneur de la famille, les filles étaient vite données en mariage (donner est bien le terme approprié, puisqu’on ne leur demandait pas leur avis) et ce, pour plusieurs raisons.
D’abord, pour préserver cet honneur.
Ensuite, parce qu’il n’y avait pas d’autres perspectives pour la femme. Ni études, ni activité hors du foyer familial. Ne restait donc que le mariage…
Il y avait aussi les mariages d’intérêt: donner sa fille au fils d’un propriétaire terrien, d’un commerçant, d’un notable, ou même à l’un des trois pères (un sexagénaire pouvait épouser une mineure, cela ne choquait personne) assurait l’établissement de liens familiaux entre le père de la fille et le mari (ou son père).
Aujourd’hui, alors que le monde et le pays ont évolué, curieusement, on retrouve quasiment les mêmes arguments chez les défenseurs du mariage précoce.
Arguant du fait que la vie n’a pas beaucoup changé dans le Maroc profond, aussi bien dans les contrées rurales qu’en ville, dans les couches sociales les plus démunies, ils soutiennent qu’il faut permettre aux filles qui le souhaitent (en réalité, à leurs familles) d’opter pour le mariage avant d’atteindre l’âge légal.
Sans études, sans perspectives, elles n’auraient que cela pour s’en sortir et de plus, elles y tiendraient par respect pour les traditions.
La plupart de ces arguments se retrouvent chez le chef de file de la majorité, le PJD, lorsqu’il appelle à baisser l’âge matrimonial de 18 à 16 ans.
Arguments qui mettent hors d’eux ceux qui s’opposent farouchement au mariage des mineures.
Pour ceux-là, permettre de marier une fille à 16 ans, c’est sacrifier la vie d’une citoyenne qui aurait pu se réaliser et prendre le temps de la réflexion avant de s’enterrer dans un mariage qui l’use bien avant l’heure. C’est aller à contrecourant de l’évolution du monde qui veut qu’une épouse soit éduquée et responsable, afin de contribuer à éduquer à son tour ses enfants afin de leur permettre d’envisager un avenir meilleur. C’est tirer le pays vers le bas, au prétexte qu’il faut respecter ceux qui s’attachent aux traditions. Et c’est, surtout, permettre à certains adultes d’utiliser d’innocentes mineures à des fins inavouées… Qu’il s’agisse du père qui en fait une monnaie d’échange. Ou du mari qui exploite honteusement la situation, pour épouser parfois une jeune personne ayant l’âge de sa fille, voire de sa petite-fille.
Une chose est sûre, les défenseurs de la modernité sont totalement contre le mariage des mineures. Une femme moderne, c’est une femme éduquée (au moins niveau lycée) qui fait ses choix en toute liberté, qui s’y prépare et qui donne un sens à sa vie, en dehors des considérations de mariage. Et non une femme-enfant qui le restera toute sa vie parce qu’elle n’aura connu aucune transition entre l’enfance et le statut d’épouse.
Quand on voit ce qu’est devenu le monde et ce que deviennent les femmes dans les pays qui encouragent leur créativité et leurs compétences, on a peine à croire que chez nous, certains veuillent encore destiner la femme au seul mariage et de surcroît dès l’âge de 16 ans !
KB
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Leur avis…
Khadija, Couturière
«Moi, on m’a mariée à l’âge de 19 ans et pourtant, j’étais jeune et inexpérimentée. Le père de mon mari avait demandé ma main à mon père pour son fils et mon père avait accepté parce que c’était son ami. Il jouait aux dames tous les jours avec lui. Il a donc dit qu’il préférait ceux qu’il connaissait à ceux qu’il ne connaissait pas. Mais si le père était sans histoires, ce n’est pas le cas du fils que j’ai épousé. Il a eu de mauvaises fréquentations. Il n’arrivait pas à garder un sou. On a eu trois enfants qui ont été nourris tant que mon beau-père vivait, mais quand il est mort, mon mari a vite dilapidé le peu qu’il lui a laissé et on s’est retrouvé vivant aux crochets de mes parents jusqu’au jour où, abandonnant toutes ses responsabilités, il est parti je ne sais où, au Sud, où il aurait trouvé un travail de chauffeur de camion. Il se serait même remarié. En tout cas, je ne l’ai plus revu. Avec l’appui de ma famille, j’ai monté cette petite affaire de couture qui me fait vivre. Mais la vie de mes enfants n’est pas celle dont on peut rêver. Ils n’ont pas fait d’études poussées et vivent de petits travaux ici et là.
Alors, marier une fille à 16 ans, que peut-on attendre d’elle si son mari finit comme le mien ?»
Ali, Syndicaliste
«Je suis absolument contre le mariage des mineures. Pour moi, ces hommes qui bavent devant les «settachiates» (filles de 16 ans) ne sont que des pédophiles légaux. La loi encourage ça si elle accepte que les mineures se marient. Et c’est inadmissible ! On se bat pour la dignité des citoyens au travail. Eh bien, l’épouse de 16 ans n’a aucune dignité. Elle passera sa vie dans les cuisines et au service de son vieux mari. L’Etat ne devrait pas permettre ça. On devrait tous manifester pour empêcher que l’Etat baisse l’âge des filles !».
Amina, Sans profession, Epouse d’un juge
«Moi, je suis pour le mariage des filles très tôt. Peut-être pas à 16 ans, mais le plus tôt possible. Comme ça, la fille n’aura pas le temps d’ouvrir les yeux et d’avoir toutes ces exigences qui gâchent la vie de nos filles avec leur mari. Je suis d’accord que le mieux est que le mari éduque sa femme et lui fasse prendre de bonnes habitudes pour que leur mariage soit harmonieux. Chacun à sa place. La femme doit s’occuper de sa famille et respecter son mari et le mari doit assumer ses responsabilités. Mais quand la femme étudie et travaille, elle n’accepte plus ça. Ses yeux s’ouvrent et elle veut commander et être libre. Ce n’est pas dans nos traditions».
Zahra, Enseignante au lycée
«Je dis que les extrêmes ne sont jamais bons. Ni il faut marier les filles trop jeunes, ni il faut les laisser célibataires trop longtemps. Il faut les pousser à faire des choix sérieux. C’est ce que j’ai fait avec ma fille. Quand un parti s’est présenté, elle m’a dit qu’elle voulait poursuivre ses études. Je lui ai répondu que j’en parlerai à son père pour qu’il négocie ça dans l’acte de mariage. Son mari a accepté. Aujourd’hui, ils travaillent tous les deux et je crois qu’ils s’en sortent bien dans leurs relations de couple. Mais elle avait 20 ans et je crois que je ne l’aurais jamais laissée se marier à 16 ou 17 ans…»
Youssef, Cadre chez un opérateur télécoms
«Ce qu’il faut comprendre, c’est que le Maroc, ce n’est pas seulement ces femmes qui se disent émancipées, libres et financièrement indépendantes. Il y a aussi ces pauvres filles qui ne rêvent que de se caser, de s’occuper de leur mari et de faire des enfants. Pourquoi devrait-on les empêcher de se marier tôt ? On peut changer la loi pour baisser l’âge du mariage, mais il faut surtout veiller à ce que la loi soit appliquée dans l’esprit. Il faut des juges consciencieux qui voient l’intérêt de la fille, au cas par cas et donc qui soient incorruptibles. Parce que le bonheur de certaines filles mineures est dans leur mariage ! Et puis, déjà, je trouve qu’il y a un défaut dans la loi actuelle. Si la fille et le garçon doivent se marier à 18 ans, ils auront donc tous les deux le même âge dans certains cas. Or, il faut une petite différence entre l’homme et la femme, parce qu’elle vieillit plus vite à cause des grossesses. Ce serait donc bien que la fille ait un âge légal de mariage inférieur à celui de l’homme. Il n’y a pas d’égalité ici».
Témoignages recueillis par MB