Pour qui suit l’actualité dans une perspective historique et critique, deux faits majeurs ressortent.
Le début du XXIe siècle est marqué par l’émergence d’un terrorisme islamiste radical multiforme et mondial. Il est marqué aussi par les conséquences de l’effondrement de l’URSS.
C’est peut-être l’élément déclencheur des nouveaux désordres planétaires, sans aucun jugement favorable au régime en cause.
Les événements d’Ukraine méritent sur ce deuxième point une réflexion d’ensemble que nous ferons sur deux numéros: avec le post soviétisme en Europe et le post soviétisme dans l’ex-URSS musulmane.
La Russie d’aujourd’hui n’accepte pas un effacement lié à l’effondrement de l’URSS. Elle considère qu’il y a un complot des USA et de l’Europe pour s’emparer de vastes espaces et pays liés par l’histoire à Moscou. Cette vision est incompatible avec celle des USA qui considèrent toujours qu’il y a une sorte de fin de l’histoire inscrite dans la fin du soviétisme. Le système démocratique libéral a gagné et doit s’imposer partout dans le monde pour le bien des peuples.
Logique démocratique contre logique historique et nationale, le dialogue est presque impossible. Et quand le dialogue est impossible…
1- La chute de l’URSS, souvenons-nous…
Le 25 décembre 1991, le président soviétique Mikhaïl Gorbatchev, l’homme de la perestroïka, annonce sa démission dans une allocution à la télévision: il cloue le cercueil de l’empire communiste qu’il n’a pas su sauvegarder et qui aura duré quelque 70 ans. Sa disparition marque la fin d’un ordre mondial basé sur la rivalité avec les États-Unis. Équilibre de la terreur certes, mais équilibre tout de même.
Après des mois de déliquescence, des tentatives de reprise en main (13 morts à Vilnius en janvier), un putsch manqué en août et des déclarations d’indépendance en série, les leaders de trois républiques clés -Boris Eltsine pour la Russie et ses homologues d’Ukraine (déjà!) et du Bélarus- ont décrété, peu avant le 8 décembre, que l’Union des républiques socialistes soviétiques n’existait plus
C’est aussi la fin définitive de la guerre froide et d’un monde bipolaire qui fait des Etats-Unis, provisoirement, la seule superpuissance mondiale. La plupart des 15 républiques soviétiques deviennent indépendantes pour la première fois de leur histoire et sont confrontées au défi de se créer une identité nationale nouvelle et une économie solide; des objectifs que beaucoup d’entre elles n’ont toujours pas atteints, loin s’en faut.
«La chute de l’URSS est la plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle». La déclaration est signée Vladimir Poutine. Depuis le 8 décembre 1991 et les accords dits de Minsk, l’URSS n’est plus qu’un souvenir, fantasmé pour certains, honni pour d’autres.
2- Les républiques satellites
Il était d’usage de parler de pays «satellites», car l’image est parlante: on évoque des pays dépendants de la grande URSS, astre central. On parle aussi de «démocraties populaires»: il s’agit là de l’expression consacrée que ces pays utilisaient pour se désigner face à des démocraties non «populaires», sous-entendu «bourgeoises».
Ces pays correspondent géographiquement à une grande partie de l’est de l’Europe qui a été «libérée» puis occupée par l’Armée rouge: Pologne, Roumanie, Tchécoslovaquie, Hongrie, Bulgarie, puis RDA. Sans oublier deux cas un peu à part: la Yougoslavie et l’Albanie.
Un pas décisif est franchi au milieu de l’année 1989, lorsque Gorbatchev annonce la fin officielle de l’alignement des pays satellites sur l’URSS. Dorénavant, chaque pays du bloc est libre de suivre sa voie, l’Armée rouge engluée en Afghanistan ne pouvant plus intervenir. Ceux qui n’avaient pas oublié les révoltes de Budapest, puis de Prague, sont les premiers à saisir leur chance: le démantèlement des démocraties populaires de Pologne et de Hongrie commence dès le mois de juillet. La Hongrie, en premier, prend l’initiative de démonter le rideau de fer. Aussitôt, des Allemands de l’Est exigent un visa pour partir en vacances en Hongrie et se ruent au volant de leur petite Trabant pour passer à l’Ouest. À l’automne 1989, les dirigeants est-allemands savent que la partie est perdue: contourné, le mur de Berlin devient inutile. Les forces de l’ordre, complétement désemparées, laissent la foule est-berlinoise renverser l’édifice qui symbolisait à lui seul la guerre froide. Puis, par une sorte de réactions en chaîne, dans un climat plus ou moins violent, les autres démocraties populaires tombent une à une, jusqu’en décembre 1989. La Roumanie et la Bulgarie, les premières à avoir succombé en 1945, sont les dernières à se libérer. L’URSS négocie alors, moyennant finance, le retrait de ses troupes en Europe orientale.
3- Les ripostes russes
L’URSS a disparu sans véritable cataclysme, mais les années suivantes ont été marquées par la dégradation des infrastructures, l’appauvrissement de la population et des conflits locaux qui ont coûté la vie à des centaines de milliers de personnes. Le pays est à la dérive; il est humilié. Il est également pillé par d’anciens dignitaires communistes devenus des oligarques. Malgré un courage certain face au putsch des orthodoxes, Eltsine, diminué rapidement, ne peut rien faire et donne une image de faiblesse de la Russie. Poutine, ancien du KGB, y assiste, la rage au cœur.
L’ambition retrouvée de Moscou grâce au pétrole et au gaz, clairement affichée par le tandem Poutine-Medvedev, est simple: il s’agit, grosso modo, de dissuader les anciennes républiques soviétiques de se rapprocher d’autres entités, telles que l’Union européenne (UE). C’est le conflit géorgien, puis ukrainien.
A terme, le but est de (re)créer une puissance russe multipolaire. Pour ce faire, Moscou utilise le bâton et la carotte. Dans les faits, le bâton des sanctions économiques et/ou énergétiques est le plus souvent employé, car plus efficace. Il permet de faire de ces pays les vassaux de la nébuleuse russe.
L’Ukraine n’est qu’un moment d’un long processus. Le Tadjikistan a été le théâtre d’une guerre civile contre les islamistes. L’Arménie et l’Azerbaïdjan se sont affrontés autour du territoire séparatiste du Nagorny Karabakh. La Russie a mené deux campagnes sanglantes dans sa petite république rebelle de Tchétchénie. La Géorgie a combattu des séparatistes en Abkhazie et en Ossétie du Sud.
Aucun de ces conflits n’a été définitivement réglé: les islamistes menacent toujours au Tadjikistan, le Nagorny Karabakh connaît une paix fragile et une rébellion désormais islamiste s’est répandue dans tout le Caucase russe. Pour la première fois depuis la chute du régime soviétique, la Russie a envoyé ses chars, en août 2008, dans une ancienne république sœur, la Géorgie qui avait entrepris de reprendre le contrôle de l’Ossétie du Sud.
Finalement, la désillusion des ex-républiques soviétiques peut être endiguée. L’affranchissement d’avec la Russie est paradoxalement au prix de relations étroites avec elle. Les républiques baltes, l’Ukraine, la Biélorussie sont plus ou moins affranchies de Moscou, mais ne peuvent se passer des matières premières russes. A contrario, l’État russe a besoin de ces pays frontaliers pour exporter ses matières premières. L’Ukraine est le symbole de cette interdépendance -énergétique- avec Moscou. Il est entendu que Kiev ne peut se passer des Russes.
4- La guerre de Géorgie
La deuxième guerre d’Ossétie du Sud oppose, en août 2008, la Géorgie à sa province séparatiste d’Ossétie du Sud et à la Russie. Le conflit s’est étendu à une autre province géorgienne séparatiste, l’Abkhazie.
Après plusieurs jours d’accrochages frontaliers entre la milice des séparatistes sud-ossètes (soutenue et formée par la Russie) et l’armée géorgienne, les hostilités commencent dans la nuit du 7 au 8 août 2008 par un assaut des troupes géorgiennes qui fait 12 morts dans les forces de maintien de la paix de la CEI (à prépondérance russe) et 162 victimes sud-ossètes, selon le bilan officiel de la Justice russe donné en fin d’année 2008. La Russie applique le plan militaire de guerre contre la Géorgie, dont la planification avait été ordonnée en 2006 par le président russe Poutine. Se fondant sur le fait que la grande majorité des Ossètes du Sud ont un passeport de la Fédération de Russie, le président russe, Dmitri Medvedev, ordonna à ses troupes d’intervenir afin de protéger la population de l’Ossétie du Sud et de contraindre la Géorgie à la paix. Après quatre jours d’avancée rapide des forces russes et de bombardements sur plusieurs villes géorgiennes, Medvedev annonce que les objectifs sont atteints et que les troupes russes resteront sur les positions définies par l’accord de 1992 pour garantir la paix dans la région Le 16 août, est signé un cessez-le-feu qui met, au moins temporairement, fin au conflit, sans régler pour autant les questions ossètes et abkhazes. Le 26 août, la Fédération de Russie reconnaît officiellement l’indépendance de l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie et se dit prête à «assurer la sécurité de ces deux États».
Aucune leçon politique n’a de toute évidence été tirée de ce conflit.
Patrice Zehr
il faut renvoyer tous ces moujiks au 18 eme siecle