Santé mentale au Maroc : Une folle réalité

Santé mentale au Maroc : Une folle réalité

Le 13 octobre 2019, au quartier Anassi à Casablanca, une femme a jeté ses trois enfants du toit d’un immeuble. D’après les témoignages de ses voisins, la mère de famille souffrait de troubles du comportement. Cette affaire a eu le mérite de déterrer le débat sur la situation de la santé mentale au Maroc.

Le 10 octobre de chaque année, le Maroc, à l’instar de tous les pays du monde, célèbre la journée mondiale de la santé mentale. L’occasion de dresser un état des lieux de la situation de la santé mentale dans le Royaume. 

Les troubles mentaux gagnent du terrain

Cette année, la Ligue Marocaine des Droits de l’Homme (LMDDH), a publié les résultats de son rapport sur la santé mentale des Marocains, en tant que problème majeur de santé publique. Il en est ressorti que 48% des Marocains vivent avec des troubles mentaux plus ou moins graves. Selon la LMDDH, le Maroc n’arrive toujours pas à prendre en charge comme il se doit, les personnes atteintes de troubles psychiques. Plusieurs raisons expliquent cela, notamment le manque en médecins et en centres spécialisés dans ce type de pathologies.   Comme souligné par la LMMDH, le Royaume ne compte que 197 psychiatres travaillant dans les hôpitaux publics, un chiffre jugé faible, compte tenu de la moyenne mondiale et des normes internationales. A ce propos, le rapport indique qu’avec une moyenne de 0,63 psychiatre pour 100.000 habitants, contre une moyenne mondiale de 3,66 psychiatres pour 100.000 habitants, il apparait clair que le souci de la santé mentale des Marocains ne figure pas au rang des priorités des pouvoirs publics.

Manque d’infrastructures adaptées

Selon la Ligue Marocaine des Droits de l’Homme, le Maroc ne dispose pas des infrastructures nécessaires pour répondre aux besoins des patients atteints de maladies psychiatriques. Casablanca, à titre d’exemple, ne compte que trois centres spécialisés dans ce type de pathologies. Il s’agit du Centre Hospitalier Universitaire (CHU) Ibnou Rochd, outre les centres de Tit Mellil et d’El Hank. Ces trois centres souffrent d’une insuffisance en capacité d’accueil, outre le manque en personnel médical spécialisé. Dans ce contexte, il est préconisé de renforcer la capacité litière nationale, estimée actuellement à 0,7 lits pour 10.000 habitants, alors que l’objectif est d’atteindre la norme de 1 lit pour 10.000 habitants. En outre, doter les régions les plus éloignées d’infrastructures hospitalières dédiées au traitement des troubles mentaux, s’avère d’autant plus urgent aujourd’hui. Pour rappel, le ministère de la Santé et l’Organisation Mondiale de la Santé avaient réalisé, en janvier 2019, une enquête sur la santé mentale au Maroc. Cette enquête avait révélé que près de 50% des personnes interrogées présentaient des signes de dérèglement psychologique, allant du trouble obsessionnel à des psychoses, en passant par des insomnies passagères.  25,6% des personnes visées par ladite enquête présentaient pour leur part, des signes de dépression chronique sévère.

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Entre incompréhension et préjugés

Lors d’un débat, à Rabat, à l’occasion de la célébration de la journée mondiale de la santé mentale, le directeur du Centre hospitalier Arrazi a indiqué que les personnes souffrant de troubles mentaux sont exclues et stigmatisées de la part de la société marocaine. Jalal Toufiq a également insisté sur la souffrance de ces personnes, le manque d’accès aux soins nécessaires dans les hôpitaux et l’exclusion familiale. De son côté, la vice-présidente de l’association «Sila» pour la santé mentale, Najiba Benikhlef, a souligné l’importance de la prévention et de la sensibilisation des familles pour combattre les stéréotypes entourant la maladie mentale et contribuer à un changement de mentalités dans la société, appelant à augmenter le nombre, aujourd’hui réduit, d’associations opérant dans le secteur pour soutenir le secteur public. Elle a, en outre, expliqué que l’association organise des ateliers au profit des pensionnaires des établissements sanitaires, qui souffrent encore de stigmatisation, sous forme d’activités variées comme le jardinage, le théâtre ou la musique et des séances de psychoéducation visant à informer les patients et leurs proches sur le trouble psychiatrique et à promouvoir les capacités pour y faire face. Pour sa part, le chef de service des soins infirmiers du Centre hospitalier psychiatrique Arrazi (Salé), Abdelaziz Arbaoui, a affirmé que les infirmiers ont une mission délicate et doivent disposer de compétences relationnelles nécessaires pour effectuer, surtout, le premier contact avec des personnes atteintes de maladies mentales et gagner ainsi leur confiance, pour qu’elles reviennent à leur état normal.

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Quid de la législation?

La législation marocaine sur la santé mentale remonte aux premières années de l’indépendance. Il s’agit du Dahir n° 1-58-295 du 30 avril 1959 relatif à «la prévention et au traitement des maladies mentales et à la protection des malades mentaux». Cette loi représentait à son époque -et durant des années- une avancée considérable et un acquis normatif indéniable. D’autant plus que le nombre de pays qui disposaient alors d’une telle loi était très limité. Pourtant, contrairement à la majorité des textes de loi marocains, cette loi qui n’a subi, depuis sa promulgation, aucune modification, est actuellement désuète et est, pour ainsi dire dépassée, eu égard aux progrès réalisés à l’échelle internationale, en matière des droits de l’Homme en général et de santé mentale en particulier. Son obsolescence tient également à l’évolution juridique et institutionnelle considérable que connaît le Maroc, à l’ère des grandes réformes ; et aux progrès de la recherche scientifique en matière de psychiatrie et de traitement des personnes atteintes de troubles mentaux.

Mohcine Lourhzal

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