Faut-il revoir le système de gestion des quotas du thon rouge au Maroc? C’est la conviction des professionnels de la pêche côtière et artisanale, qui ne cachent pas leur colère et mettent en doute «l’équité» du système de gestion des quotas.
Depuis quelques semaines, les professionnels de la mer –qui relancent le débat sur le thon rouge au Maroc- se consultent et enchaînent les réunions dans pratiquement tous les ports du pays, selon nos sources professionnelles. Ils demandent de mettre de l’ordre dans ce dossier «sensible» ; et pointent surtout le monopole d’une minorité sur ce marché du thon rouge.
Cette colère des opérateurs de la pêche côtière et artisanale est survenue quelques jours avant la tenue de la 26ème réunion ordinaire de la Commission internationale pour la conservation des thonidés de l’Atlantique (ICCAT) à Majorque, en Espagne.
Selon nos sources proches du dossier, les professionnels de la pêche côtière et artisanale n’écartent pas d’envisager des mouvements de protestation pour forcer l’ouverture d’un dialogue avec le ministère au sujet du «roi des mers»: le Thon rouge. En attendant, l’heure est à la mobilisation.
A l’heure où nous mettions sous presse, des sources à la Confédération nationale de la pêche côtière (CNPC) soulignent que le bureau exécutif de cette instance professionnelle tiendra une réunion urgente dans les jours qui viennent. Ce sujet du thon rouge et de la répartition des quotas seront à l’ordre du jour, indiquent les mêmes professionnels.
«La grande partie des quota est allouée aux grands. Tandis que la pêche côtière et artisanale, quant à elle, ne bénéficie que des miettes. Sachant que les professionnels de l’Atlantique ne capturent pas cette espèce», soutiennent ces même voix à la CNPC. Et de poursuivre, non sans exacerbation: «La non transparence qui entoure le sujet provient pour une large part de la pression du lobby du «thon rouge» et de la complaisance de certains responsables».
A l’Union des coopératives des opérateurs de la pêche artisanale dans la région du nord, on se dit aussi en colère. Les professionnels sont en train de s’organiser pour préparer des manifestations de protestation», selon un membre à l’Union. Celui-ci nous informe, au passage, que ces pêcheurs comptent hausser le ton et, s’il le faut, prévient-on, arrêter toute l’activité dans les ports du nord. Des sit-in de contestation seront organisés, début de la prochaine saison du thon rouge, en vue de faire entendre leur voix, souffle la même source.
«Si rien n’est fait, nous avons décidé de profiter d’une éventuelle arrivée de SM le Roi Mohammed VI dans la région pour sortir avec toutes nos barques, lors de l’été prochain et nous plaindre directement à lui», annonce Karim Lamrabat, président de l’Union, laquelle réunit 17 coopératives opérant dans la zone allant de Tanger à Saadia. Notre interlocuteur indique, par ailleurs, que l’Union est actuellement à l’œuvre pour coordonner avec les gens de Tan-Tan, Boujdour, Dakhla, Laayoune, pour faire entendre les doléances des professionnels.
Disparition d’un quota de 767 tonnes !
«Depuis les années 90, le thon rouge est pêché par une minorité. Pendant près de trois décennies, la répartition s’est faite de manière injuste», déplore le président de l’Union des coopératives des opérateurs de la pêche artisanale dans la région du nord. Pour ce professionnel, le quota alloué au Maroc reste faible. «La grande partie de ce quota profite à quelques bénéficiaires. Mais la pêche artisanale ne bénéficie que d’un quota très faible», insiste-t-il.
Le président rappelle la répartition actuelle: sur 2.998 tonnes allouées au Maroc en 2017, les opérateurs de la pêche artisanale et côtière de M’diq, par exemple, ont, cette année -pour la première fois- un quota global de 45 tonnes. Selon Karim Lamrabat, les opérateurs de la pêche artisanale de cette zone ne profitent pas pleinement de ce quota. Explications de notre interlocuteur: «La période fixée par l’INRH pour entamer la saison du thon rouge commence en juillet et se poursuit jusqu’au mois de novembre». Or, explique-t-il, «durant cette période, le thon rouge ne fait que transiter par notre zone. D’ailleurs, on n’a pas pu capturer notre quota» . C’est pourquoi, dit-il, «nous demandons que le quota soit individuel et qu’il soit pêché durant la période allant du mois d’avril à juillet».
L’attribution de la plus grande partie du thon rouge aux «mêmes bénéficiaires» n’est pourtant pas une nouveauté. Alors, pourquoi s’alarmer? Et pourquoi le thon rouge crée, depuis quelques jours, la polémique?
A l’origine de cette polémique, des informations, ayant circulé dernièrement dans les milieux de la profession sur «l’absence» d’un quota de 767 tonnes de thon rouge. C’est l’Union des Coopératives des opérateurs de la pêche artisanale dans la zone de la méditerranéenne qui a révélé, la première, l’information.
Le communiqué, rendu public par l’Union, fin octobre dernier, déplore l’absence «inadmissible» de ce quota et pointe clairement les «défaillances» du gouvernement quant à cette «disparition» du quota supplémentaire alloué au Maroc par l’ICCAT.
«Pour la première fois, nous avons pris connaissance des documents officiels du ministère et des quotas alloués. Nous avons découvert qu’un quota de 767 tonnes n’a pas été alloué cette année. En tout cas, aucune trace de ce quota dans les documents du ministère», déplore le président de l’Union, Karim Lamrabat. Celui-ci se dit «scandalisé par l’absence de la transparence» dans ce dossier d’allocation de quotas aux professionnels.
Qui a bénéficié réellement de ce quota? Et pourquoi, ce quota n’apparait-il pas dans les documents officiels du ministère ? La question est, en tout cas, sur les lèvres de l’ensemble des opérateurs de la pêche artisanale et côtière. Elle soulève même un tollé dans la profession.
Les appels à une ouverture d’une enquête se multiplient, d’ailleurs, au sein de la pêche artisanale et côtière à travers tous les ports du pays.
Dans la zone du nord, par exemple, la requête des opérateurs de la pêche artisanale est soutenue par l’Union des coopératives de la pêche artisanale, laquelle est d’ailleurs à l’origine de la polémique. Cette entité professionnelle a rapidement réagi, en adressant des lettres au Chef de gouvernement et au Cabinet Royal, selon Karim Lamrabat, également adjoint du président de la fédération des palangriers. Objectif: demander qu’«il y ait transparence dans ce dossier de gestion des quotas de thon rouge».
Dans la foulée, l’Association de préservation des ressources à Dakhla monte, elle-aussi, au créneau pour demander une enquête au sujet de ce quota. Mais pas seulement. «Le plus grave dans tout ça, c’est qu’il y a un quota global pour tous les opérateurs de la pêche artisanale et côtière du Maroc. Mais les gens de l’Atlantique n’en savent rien. Ils ne savent pas que leurs quota est fixé», déplore le président de cette association, Mohamed Bennane.
Après cette affaire, poursuit-il, «les professionnels de la pêche côtière et artisanale de la région de Dakhla ont appris qu’il y a un quota qui leur est fixé et qu’ils devaient bénéficier d’un quota de 342 tonnes de thon rouge pour l’année 2019. Mais, faute de communication, ils n’en pêchent rien». Pourquoi n’a-t-on pas été informé ? Et pourquoi cacher une telle information ? Et qui a profité de leur quota ? Et pour combien d’années ? Ces questions sont, en tout cas, posées par les professionnels des deux segments, qui, selon nos sources, comptent hausser le ton pour faire entendre leurs doléances.
Une chose est sûre. Cette guerre ne dit pas encore son nom, mais elle semble déjà s’annoncer entre les opérateurs de la pêche artisanale et côtière, le lobby du «thon rouge» et le ministère en charge de la répartition des quotas de thon rouge. Un dossier à suivre.
Naima Cherii