Ce qui se passe en Irak est très grave. Il y a possibilité d’un Etat djihadiste s’étendant en Irak et en Syrie. Les combattants de l’Armée islamique au levant ont défait l’armée irakienne.
Ils contrôlent la plus grande patrie du pays sunnite et pétrolier. Ils ont pris Ninive – Mossoul, la deuxième ville du pays, Kirkuk et même Tikrit, la ville de naissance de Saddam Hussein et de Saladin.
Les Américains ont le dos au mur. S’ils ne déclenchent pas une nouvelle action militaire, 3 ans après leur retrait, Bagdad peut tomber. Ce serait un événement comparable à la chute de Saigon. La pire défaite de l’Amérique face au communisme pourrait être suivie de la pire défaite américaine face aux djihadistes. Ce qui menace serait pire que l’instauration d’un Etat taliban en Afghanistan.
Si une intervention militaire américaine est rendue indispensable, ce serait également un revers politique majeur pour le président Obama qui avait annoncé la fin de l’interventionnisme US dans le monde.
Comment ont-ils pu, tous ces observateurs et tous ces militaires, se laisser surprendre? Les lecteurs de ce journal, eux, ne sont pas, on l’espère, surpris. La guerre «inexpiable» contre l’Irak de Saddam a -ici, depuis des années- été dénoncée. Pour ses prétextes comme pour ses conséquences. Face aux clivages ethniques et religieux, Saddam Hussein apparaît avec le recul comme le dernier Irakien, celui fédérant de force, mais fédérant chiites, sunnites et Kurdes.
La transition démocratique est bien sûr un leurre politique qui n’a jamais réussi à imposer une envie de destin commun aux composantes de l’Irak. Le retrait américain était politique et ne correspondait absolument pas à une étude militaire objective. L’armée irakienne du nouveau pouvoir chiite n’a pas envie de mourir pour une cause qui n’est pas la sienne et la solde qui a permis les enrôlements n’est pas suffisante pour transformer des hommes en uniforme en armée.
Le pouvoir chiite n’a jamais réussi à devenir un vrai pouvoir national. Les comparaisons avec le Vietnam sont tentantes. Mais le désert n’est pas la jungle…
La tentation du bombardement pour éviter le pire va être très forte. Le pire, c’est la naissance d’un Etat terroriste plus dangereux que celui donné par les talibans à Al Qaïda et au cœur du monde arabe.
Le Secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, a appelé la communauté internationale à s’unir derrière l’Irak. Les Etats-Unis, en alerte face à cette poussée djihadiste, ont affirmé ce mercredi soir (11 juin) «se tenir prêts» à apporter leur aide au pays.
Le groupe, lui, fait une large propagande sur les réseaux sociaux, glorifiant ses prises. Un hashtag (mot clé), #SykesPicotOver (la fin de Sykes-Picot), circule également sur le réseau social Twitter, en référence à l’accord secret de Sykes-Picot signé en 1916 et délimitant les frontières entre l’Irak et la Syrie. Les jihadistes contestent en effet cet accord et ont souvent mentionné dans leurs discours leur volonté de l’annuler. Ils souhaitent créer un Etat. «L’EIIL (l’Etat islamique en Irak et au Levant) a toujours voulu contrôler un territoire et y créer un émirat islamique où il impose la charia, établit des camps d’entraînement et planifie des attaques pour poursuivre la bataille», précise John Drake, analyste. «La guerre civile en Syrie a donné aux insurgés la chance d’obtenir un tel territoire. Et leur succès est de nature à enhardir leurs partisans qui voient qu’il est possible de réaliser leur objectif».
Face à cette menace, il est bien évident que le régime qui résiste n’est certes pas celui de Bagdad, mais celui de Damas et du président Al-Assad. Un casse-tête pour les Américains et leurs alliés.
Les chiites pourraient s’unir également des deux côtés de la frontière sous la protection de l’Iran pour contrer les extrémistes sunnites.
Le régime de Damas a affirmé qu’il était prêt à coopérer avec Bagdad pour faire face au «terrorisme», «le même», selon lui, en Syrie et en Irak, au lendemain de la prise par des jihadistes de la deuxième ville de ce pays.
«Le terrorisme, soutenu par l’étranger, auquel fait face l’Irak frère, est le même qui sévit en Syrie», selon un communiqué du ministère syrien des Affaires étrangères. En Syrie, Daech (acronyme en arabe d’EIIL, ndlr) contrôle déjà de larges parts de la province pétrolière de Deir Ezzor, frontalière de l’Irak, faisant craindre une unité territoriale avec le nord-est de ce pays. «Ce terrorisme menace la paix et la sécurité dans la région et le monde», a indiqué le ministère syrien, appelant le Conseil de sécurité de l’ONU «à prendre des décisions claires condamnant ces actes terroristes et criminels et à agir contre les pays soutenant ces groupes».
En Syrie, l’armée du levant était alliée avec les rebelles qui combattent le régime de Bachar Al-Assad depuis trois ans, mais les insurgés ont retourné leurs armes contre elle en raison des atrocités qu’ils lui attribuent et de sa volonté hégémonique.
Irak-Syrie, un terrible défi aggravé par une mauvaise lecture, par aveuglement idéologique souvent, des réalités.
Non, les ennemis de mes ennemis ne sont pas forcément mes amis et il faut se méfier du diable que l’on ne connaît pas par rapport à celui que l’on connaît.
Patrice Zehr