Reportage : Comment vivent les SDF au Maroc ?

Enfants des rues le reporter maroc

Hommes, femmes, vieux et enfants, sont nombreux à vivre dans la rue, dans la souffrance, au milieu de tous les dangers et dans la privation. Ayant pour domicile la rue, ils doivent se débrouiller pour survivre: chercher de quoi se nourrir et trouver un endroit où passer la nuit. Mais pour ce faire, ils doivent lutter et endurer. Le Reporter est allé à leur rencontre.

Le nombre de personnes vivant dans la rue croît de jour en jour au Maroc. Ce phénomène est la conséquence de la pauvreté, du chômage, de la vieillesse, des liens familiaux qui se relâchent de jour en jour et s’affaiblissent…
Ces sans-abri n’ont jamais choisi de demander l’aumône, de voler, de se prostituer, d’arpenter les rues et de manger les restes de nourriture trouvés dans les poubelles. S’ils se comportent de la sorte, c’est uniquement pour survivre. Ces personnes, broyées par la société ou oubliées par leurs familles, ont trouvé refuge dans la rue qui est pourtant un enfer insupportable.
Kamélia, une SDF âgée de 29 ans, a perdu ses facultés mentales. On la retrouve toujours allongée sur la chaussée, à proximité d’un grand hôtel situé à côté de Sidi Belyout. Elle vit de ce que lui offrent les gens. Elle peut même manger des restes de nourriture trouvés dans les poubelles et autres vide-ordures.

Kamélia, raconte un marchand de jus d’orange qui exerce sur place, travaillait à la réception d’un grand hôtel. Elle maîtrisait cinq langues, selon lui. Mais pour une raison méconnue, elle a fini par «perdre la raison» et se retrouver dans la rue. Elle vit ainsi dans la rue depuis trois années.
Hassan est aussi un SDF, aliéné. Il porte des habits très sales et fume tout le temps. Pour survivre, il demande l’aumône aux passants et erre dans les rues de Casablanca. Il vit dans une autre bulle. «Je vis dans la rue parce que j’ai égaré la clé. Mon oncle maternel me ramènera à la maison», confie-t-il au Reporter.
Ils sont malheureusement nombreux et chacun a son histoire.
Ibrahim, un quadragénaire, est lui aussi un sans-abri et ce, depuis huit ans. Il survit grâce à la générosité des passants. «Je suis du Douar Hssibou du quartier de Aïn Sebaâ. Je travaillais dans une grande société de renommée internationale et j’avais une bonne situation. J’ai été renvoyé de mon boulot il y a 9 ans. Mes multiples absences étaient à l’origine de mon renvoi. Mais les vraies raisons, c’était le comportement de mon ex-femme. Elle pratiquait la sorcellerie, ce qui m’a déstabilisé à cette époque-là et, par conséquent, j’ai perdu mon travail. Juste après, mon ex-femme a demandé le divorce qu’elle a d’ailleurs obtenu en s’adressant au tribunal. J’ai touché le fond parce que, depuis le divorce, je vis dans la rue», raconte Ibrahim. Et d’ajouter: «Les nuits et les jours, dans les rues de Casablanca, sont difficiles à supporter. Je remercie Dieu de ne pas m’avoir fait perdre la raison. Pour vivre, je demande l’aumône et il m’arrive toujours de rassembler à peu près 20 DH par jour, parfois plus; une somme qui me permet d’acheter de quoi manger. Les gens m’offrent aussi des habits. Le soir, je dors à proximité d’une usine, à l’abri. Quand il m’arrive de me balader la nuit dans les rues de Casablanca, je rencontre de temps en temps des clochards agressifs et même des drogués. Ils essaient de me voler mes affaires, mais je fais tout pour les éviter; je ne me bagarre jamais avec eux».
A proximité de la Cour d’appel située sur l’avenue des FAR, vit Ba Ahmed, très connu par les gens du quartier. Il est sans toit depuis plus de 5 ans. Il a une petite place à lui, tout près d’un parking. Ba Ahmed porte de bons habits, très propres au point de douter que c’est un SDF. «Je vis dans la rue depuis plus de 5 ans. J’ai quatre enfants: trois filles et un garçon. J’ai quitté mon domicile parce que je n’étais pas d’accord sur certaines choses. Je suis toujours en contact avec les membres de ma famille. Ma fille vient souvent me voir et me remet des habits et de quoi manger. Les gens aussi viennent à mon aide. Je vis là depuis des années. J’attends ma fille qui est mariée en Arabie Saoudite. Elle viendra au Maroc cet été. Elle m’a promis de me trouver un domicile où habiter», nous confie Ba Ahmed.
Omar, un sexagénaire, monte dans les bus pour faire la manche. Il vit depuis plus de vingt ans dans la rue. «Je suis un SDF, certes, mais je suis très propre. Je suis pratiquant et je vais souvent à la mosquée. Les gens me donnent des vêtements et de l’argent. Je m’achète de quoi manger. Mais je dis toujours  »al-hamdou lillah ». J’habite à proximité d’une mosquée. On me connaît et je suis tranquille dans mon petit coin. L’hiver, c’est ce qui est de plus difficile à supporter. Mais il y a également la solitude», raconte-il.

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Qu’en est-il des enfants des rues?

Les enfants des rues vivent souvent en groupes. Ils passent la nuit dans des endroits qu’ils se sont appropriés, souvent sur des terrains abandonnés ou dans des jardins publics, à la gare routière… Le jour, on ne les voit pas tous, mais la nuit, ils sortent de leurs cachettes. On les voit dans un état déplorable. Blessés, balafrés, sales, la peau pleine de boutons… Ces enfants désœuvrés, abandonnés à leur propre sort, sont exposés à tous les dangers. Vulnérables, ils peuvent vite basculer dans la débauche. Ils deviennent addicts aux drogues, à l’inhalation de produits au néoprène, à l’alcool, au hachich, au karkoubi… «Cela fait trois mois que je vis dans la rue, plus précisément dans un quartier de l’Ancienne Médina. Je suis originaire de Kalaât Seraghna. J’ai quitté ma famille, parce que je ne veux plus vivre avec elle. J’ai également quitté l’école. Mais la raison principale de mon départ est due au fait que je suis addict au haschich. Maintenant, je vis dans la rue avec d’autres enfants. Pour pourvoir manger, nous faisons la manche, mais il nous arrive de voler. Nous sortons en groupe et il nous arrive aussi d’être victimes de violences. Certaines enfants moins âgés que moi ont même été violés. Mais malgré notre vulnérabilité, le groupe a développé un fort esprit communautaire: on s’entraide. Nous sillonnons les rues, surtout la nuit. On inhale souvent une solution au néoprène. Il nous arrive aussi de boire de l’alcool. Si nous consommons tout cela à longueur de journée, c’est pour oublier notre dure réalité et notre condition de vie», dit Youssef. Et d’ajouter: «On a toujours peur des policiers. Chaque fois qu’on les voit, on file vite. Dans le groupe avec lequel je vis dans la rue, en plus des enfants qui ont fugué en quittant leur famille, il y en a deux qui ont été abandonnés par leurs parents. Quand on s’adresse aux gens pour leur demander l’aumône, certains nous donnent une pièce, mais d’autres refusent et disent que s’ils nous donnent l’argent, nous allons sniffer et nous droguer. Il y a des gens qui peuvent nous aider, mais aussi d’autres qui peuvent nous frapper, parce qu’ils pensent que nous sommes tous des malfaiteurs, des agresseurs ou surtout des voleurs».
«Quand nous ne parvenons pas à avoir de l’argent, nous nous rendons de temps à autre au Samu Social de Bourgogne ou chez l’association Bayti. On y va surtout quand on est malade ou quand on veut avoir des habits. Une fois chez eux, nous pouvons aussi prendre un bain. Ils nous connaissent et ils nous aident souvent», révèle Youssef.

Badia Dref

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Quand on vient à l’aide des enfants sans-abri…


Comme la rue est le monde des enfants SDF, ceux-ci sont au fait de tout ce qui s’y passe et savent tout jusqu’au moindre détail. Ils sont généralement très débrouillards et autonomes dès qu’ils intègrent la rue. Ils s’offrent aussi les prestations des ONG qui viennent à leur aide et peuvent même trouver refuge chez elles. Ils peuvent aussi avoir de la nourriture, des habits, être soignés en cas de maladie, participer à des ateliers, s’adonner à des loisirs… Les associations pensent pouvoir les intégrer, mais la tâche semble difficile pour ces ONG.

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La situation des femmes sans-abri


«Les raisons qui ont poussé les femmes et les filles à devenir des sans-abri sont différentes, mais ce qui les réunit, c’est la rue. Ces dernières sont victimes de la violence conjugale, de la violence familiale, de l’incarcération des parents… Elles sont également des mères célibataires, de petites bonnes et des personnes qui sont sans toit. Ces femmes souffrent énormément dans la rue. Elles sont exposées aux violences et aux viols. Par conséquent, elles sont toujours malades. Quand elles ont des rapports sexuels forcés, elles souffrent automatiquement d’ulcères. Pis encore, elles deviennent psychiquement fragiles. Elles commencent à haïr leur corps et à se haïr, suite aux multiples viols subis. Pour se venger de leur corps, ce qui est dangereux, certaines s’adonnent à la prostitution, tandis que d’autres s’ouvrent les veines», explique El Bouazzaoui El Meloudi, coordinateur du centre Samusocial de Casablanca. Et d’ajouter: «Ces femmes qui vivent dans la rue sont exposées aux maladies et à la saleté. Et elles doivent se battre pour survivre. Elles sont obligées de chercher l’argent à tout prix en mendiant ou en se prostituant. Elles sont tout le temps exposées aux humiliations. Et elles sont obligées de laisser de côté leur fierté si elles veulent vivoter. Ces femmes sont aussi devenues accros aux drogues, parce qu’elles vivent en groupe et doivent faire comme les autres, sinon elles seront exclues. Ces drogues les aident à ne plus avoir peur et à oublier leur situation dramatique. Les femmes sans abri sont un phénomène qui a fait naître un autre, celui des bébés  »de la rue ». Ils sont quatre bébés à vivre avec leurs mamans dans la rue, selon nos statistiques». Selon le coordinateur du Samusocial de Casablanca, le personnel de ce centre travaillant sur le terrain fait le repérage et le ramassage des cas pour les aider à intégrer la société de façon normale. Juste après, une enquête familiale est menée pour une éventuelle réintégration dans la famille. Mais il y a également une orientation des sans-abri vers d’autres associations partenaires.

BD
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Entretien avec Dr Wafaa Bahous, Directrice du Samusocial Casablanca

Wafa bahous samusocial casablanca

«Nous contribuons à l’intégration sociale et professionnelle des personnes en situation de rue»

Le Samusocial est un service d’aide mobile d’urgence sociale en faveur des sans-abri. Il est à leur l’écoute, concernant les causes qui ont fait qu’ils soient dans la rue et s’emploie à connaître leurs problèmes, leur vécu, leurs besoins et surtout leurs attentes, afin d’essayer d’y répondre.

Quelles sont les différentes interventions du Samusocial de Casablanca auprès des sans-abri?

Le Samusocial est un service d’aide mobile d’urgence sociale en faveur des sans-abri. Il intervient selon 3 axes. Le premier axe concerne l’intervention dans la rue, c’est-à-dire faire un repérage des personnes vivant dans la rue, établir le contact avec ces personnes, les mettre en confiance, être à l’écoute de leurs causes d’arrivée dans la rue, connaître leurs problématiques, leur vécu dans la rue, leur région d’origine, leur tranche d’âge; et puis connaître surtout leurs attentes et essayer d’y répondre. Le Samusocial leur assure également un accompagnement médico-psycho-social. Le 2ème axe, pour sa part, comprend l’intervention dans le centre d’accueil d’urgence. Il s’agit en fait des prestations de services dont le Samusocial fait bénéficier ses usagers, y compris le service d’accueil, c’est-à-dire recevoir et connaître les attentes des bénéficiaires, ainsi que le service hygiène qui leur offre la douche, les vêtements et la coiffure. Le service médical leur propose des prestations médicales, dont des consultations médicales, des soins infirmiers et des démarches médicales (accompagnement des bénéficiaires malades dans les structures sanitaires). Mais il y a aussi le service social qui offre des prestations sociales, dont l’écoute et l’accompagnement social, administratif et juridique; en plus des orientations vers les structures répondant aux besoins des usagers, que ce soit la famille, les structures associatives ou les institutionnels. Tout cela pour une réelle réinsertion dont on fait toujours le suivi. Le 3ème Axe, quant à lui, consiste en un pôle formation, sensibilisation et plaidoyer. Les ressources humaines et le matériel restent insuffisants par rapport aux besoins des personnes en situation d’exclusion dans la mégapole de Casablanca.

De telles interventions nécessitent de gros moyens. En disposez-vous? Et quelles sont vos ressources?

Le budget annuel du Samusocial Casablanca est de 6.000.000 DH, dont 50% sont assurés par le ministère de la Solidarité, de la Femme, de la Famille et du Développement Social et 50% assurés par l’INDH, le ministère de la Santé, le Conseil de la Ville, la Commune d’Anfa et les donateurs privés.

Quel est l’impact de vos interventions auprès de ces gens-là?

Nous contribuons à l’intégration sociale et professionnelle de la population cible, c’est-à-dire une contribution à la construction et au rétablissement des liens familiaux, la mise en confiance en soi de la population cible, la contribution aux préventions et à la sensibilisation sur les droits des personnes en situation de rue, l’amélioration progressive de l’image des personnes en situation d’exclusion, la sensibilisation de l’ensemble des acteurs étatiques et de la société civile sur la problématique d’exclusion et surtout la contribution à la construction et à la restauration d’un cadre de vie légal et stable.

Interview réalisée par Badia Dref

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