Que l’on en soit conscient ou pas, l’ascension fulgurante de l’EIIL (Etat Islamique en Irak et au Levant) et la proclamation du «Califat islamique» qui s’en est suivie, constituent un nouveau tournant qui bouleverse la donne… Et pas seulement dans la région du Golfe !
C’est un séisme d’intensité, aujourd’hui égale à ce qu’avait entraîné l’entrée en scène d’Al Qaïda, demain peut être supérieure…
C’est une nouvelle lame de fond fanatique dont on voit dès à présent l’impact qu’elle aura (qu’elle a déjà ?) sur la scène internationale… Mais aussi sur chaque Etat. Car, outre les tueries au nom de l’Islam et invasions territoriales en Syrie et en Irak, déjà inscrites à leur actif, les initiateurs du «Califat» (tout juste autoproclamé) avancent comme avancent tous les fanatiques: en conquérants, bombardant le monde de leurs menaces !
Appels à adhésion et à allégeance des musulmans où qu’ils soient dans le monde ; annonces de punition, promesses d’actes terroristes, sentences d’excommunication…
Les Etats Unis ne s’y sont pas trompés en relevant le niveau de sécurité de leurs aéroports, exigeant même que soit appliqué ce même niveau dans les aéroports des pays (comme le Maroc) d’où décolleraient des avions à destination des USA.
La France non plus n’est pas restée les bras croisés, planchant –entre autre- sur de nouveaux textes pour circonscrire le phénomène d’embrigadement jihadiste de ses jeunes.
Et cela ne fait que commencer. La mobilisation du monde devra obligatoirement connaître de nouveaux développements. Les différents services du renseignement et de la sécurité seront amenés à collaborer pour définir et mettre sur pied une stratégie de «containment» de ce jihadisme armé qui menace de ses foudres le monde entier.
Mobilisation et vigilance seront également de mise à l’intérieur de chaque Etat. A commencer par les Etats musulmans. Car, après l’appel du nouveau «Calife» (Abou Bakr Al-Baghdadi qui a désormais l’aura d’un Oussama Benladen), nul doute que les actes spontanés de jihadistes épousant la cause de l’EIIL, se multiplieront. Leurs auteurs n’auront pas besoin d’être mandatés, ni encadrés par l’Organisation pour agir. Ils le feront d’eux-mêmes, au nom d’idéaux partagés que, de temps à autre, la diffusion d’une vidéo portant la parole du chef, nourrira.
Au Maroc, justement, l’immédiate diffusion d’une vidéo attribuée à l’EIIL et ouvrant le feu sur plusieurs figures du monde politique et religieux (le ministre islamiste de la Justice, Mustapha Ramid, le salafiste qui a critiqué l’EIIL, Omar Haddouchi, le leader de gauche, Mohamed Elyazghi, etc), n’a pas manqué de soulever de légitimes interrogations. Quoi ? Aussitôt proclamé, le «Califat» se pencherait sur le Maroc ? Et avec cette précision, désignant les têtes à abattre ? Certes, le Maroc se sait dans le collimateur de l’EIIL, pour toutes les raisons que l’on sait. Il a bien enregistré les menaces des nouveaux maîtres jihadistes contre tout Etat musulman qui organiserait des compétitions sportives, sachant que le Royaume en abrite deux: la coupe du monde des clubs et la CAN, en décembre et janvier prochains… Mais, aux yeux de nombreux Marocains, cette vidéo porte la signature de «jihadistes locaux» qui suivent de très près la vie politique marocaine…
Pour avoir démantelé ces dernières années, des dizaines de cellules –dormantes ou actives- de jihadistes, le Maroc sait quels risques courts le pays avec l’apparition d’un nouvel Etat et d’un nouveau chef jihadistes qui excellent en «télé-prosélytisme» et «télé-recrutement».
Des risques face auxquels ne suffira pas la réforme du champ religieux entreprise depuis quelques années et relancée en juin dernier (prise en main des mosquées, formation des imams-mourchidines, etc). Ce qu’il faudra, c’est une vigilance de tous les instants et de tous les appareils de l’Etat.
Si l’on en croit les dernières informations, cette vigilance a commencé et les sécuritaires s’organisent. Les défis sont énormes. Certes, il faut surveiller les frontières au moment où les Marocains de l’étranger reviennent pour les vacances (la facilitation de leur transit ne devant pas profiter aux terroristes) ; surveiller, à l’intérieur du pays, les cellules qui pourraient se réveiller (revigorées par l’appel du «Calife»), ou se constituer ex-nihilo ; surveiller les transferts d’argent qui financeraient d’éventuels embrigadements ; surveiller tout et tout le temps… Mais, il faut aussi et surtout une gouvernance de nos politiques qui soit suffisamment juste et responsable aux yeux des citoyens pour qu’ils ne préfèrent pas les feux du jihad au désespoir de leur quotidien.
Bahia Amrani