L’économiste et spécialiste des politiques publiques dans les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée (PSEM), Abdelghani Youmni, livre dans une interview à la MAP sa vision concernant les pistes à privilégier pour assurer la relance économique post-covid-19 et mettre l’économie marocaine sur les rails de la croissance.
1- La pandémie de Coronavirus a entraîné notre économie dans une crise inédite, d’après vous comment peut-on faire repartir la machine économique de nouveau ?
Le Maroc a marqué l’histoire avec sa résilience, ses solidarités et son leadership en temps de guerre sanitaire, le choix de la vie contre l’économie. Peut-être que la leçon à tirer est que nos faiblesses ont été nos forces face au Covid-19, un dirham non convertible et une capitalisation boursière modeste qui a permis une forte résistance aux intérêts et aux spéculations financiers internationaux.
Cela conduit à une deuxième leçon, la nécessité de reprendre le travail “cœur du réacteur” de toute économie et de ne pas céder aux discours défendant l’austérité budgétaire. Les taux d’intérêts mondiaux sont bas, l’inflation faible, les dettes intérieure et extérieure du Maroc ne sont pas abyssales, n’excédant pas les 100% de son PIB. Akewimi Adesina, Président de la BAD estime qu’il faut évaluer le ratio poids économique et dette d’un pays pour se prononcer sur les risques de surendettement.
La commande publique sur les projets socio-économiques et les infrastructures doit prendre le relais de l’économie privé longtemps débranchée et dont la convalescence sera longue et complexe. Le fonds de solidarité de 34 milliards de dirhams, le report des charges fiscales, puis, le coup de pouce de Bank Al Maghrib qui devrait aller au-delà du 0.25 point pour atteindre un taux directeur de 1.75% directeur permettra le refinancement des entreprises et de l’économie.
Les secteurs vitaux sont tous ceux emploient les 12 millions d’actifs du pays, le revenu du travail est l’unique oxygène de la dignité humaine. En tout état de cause, la priorité doit être donnée aux secteurs industriels de nos métiers mondiaux comme la construction automobile, l’électronique, l’aéronautique et le textile pour éviter les relocalisations. Le tourisme aussi, car à défaut d’une stratégie urgente de promotion du tourisme local, on risque la perte de plusieurs milliards de dirhams d’investissement, de 600.000 emplois et de plus de 400.000 autres dans le secteur de l’artisanat.
2 – Le Covid-19 redessine les contours de nouveaux rapports de force sur l’échiquier international, quelle place pour le Maroc dans le monde de l’après Coronavirus ?
Le nouveau modèle de développement, en gestation, doit réduire les inégalités sociales, propulser véritablement le Maroc sur le chemin de l’émergence, en s’appuyant sur certains acquis et progrès enregistrés ces vingt dernières années. Il devrait être un tournant et un point de rupture dans l’histoire économique du royaume.
Les expériences malaisienne et sud-coréenne nous en disent long sur les stratégies d’émergence économique intégrée à l’incontournable mondialisation. Elles sont basées sur le triptyque: attractivités des capitaux et des industries étrangères, des formations aux compétences technologiques et gouvernance territoriale ancrée à un capitalisme d’Etat.
Autrement dit, le choix pour le Maroc sera, à mon sens, de tourner le dos à un régime de croissance économique basé sur la consommation à crédit, la commande publique et le secteur primaire pour bâtir des écosystèmes industriels à haute valeur ajoutée partagée et qui ciblent la réduction des inégalités entre territoires et citoyens.
Le point clé du positionnement devrait se concentrer sur les industries manufacturières et les spécialisations dans l’automobile, l’aéronautique, le textile, les produits pharmaceutiques et l’agroalimentaire. Le Maroc post Covid-19 pourrait être un partenaire fiable pour la colocalisation d’industries éco-responsables de l’Europe et un hub indispensable pour les échanges avec le continent africain.
Le pragmatisme européen se convaincra que son intérêt géostratégique serait de conclure un deal qui intégrera le fait qu’il est développé mais vieillissant et que le sud de la Méditerranée est plus jeune mais moins avancé.
3 – Dans quelle mesure peut-on mettre à profit les PPP pour réussir la relance économique ?
Le partenariat public-privé (PPP) n’est pas seulement un remède contre la dette mais il peut devenir un puissant outil d’attractivité des investissements étrangers pour l’émergence économique.
Le Maroc Post COVID-19 doit intégrer dans son périmètre de croissance économique les partenariats public-privé productifs “IPE : Investissement à Participation Etrangère”. Les IPE rendront l’innovation, la montée en capital humain et la création d’emplois éligibles en usant des transferts de technologie et de joint-ventures.
Ces PPP pourraient être construits avec des écosystèmes européens et américains qui délocaliseront de l’Asie pour des raisons de proximité, de géopolitique ou d’écologie. Le partenaire apportera les capitaux, la technologie et le savoir-faire managériale et nous le foncier, les bâtiments, les infrastructures, une fiscalité non pénalisante des profits du facteur travail et une main d’œuvre flexible, qualifiée et vigoureuse.
4 – Quels enseignements tirer de cette crise ?
Les crises successives contraignent de plus en plus les nations à faire face à des chocs simultanés sur l’offre et sur la demande et nécessitent une forte résilience de l’économie pour se relancer. C’est à l’horizon de ce constat que je soutiens fortement l’approche Néo structuraliste qui estime que l’Etat doit placer le système financier réformé au service du développement productif, qu’il doit encourager la discipline budgétaire, les politiques monétaires favorisant le revenu du travail, les taux de change flexible et compétitif et les politiques d’attractivité des investissements directs étrangers.
Un “mieux d’Etat social” dans un “plus de marché éco-responsable”. Enfin, bâtir une relation de complémentarité investissement public et partenariat public-privé dans la modernisation de l’industrie et des infrastructures.
Avec MAP