Frégate turque au large de la libye
Si le protocole de la Royale (marine de guerre française) avait été respecté, il y aurait eu un combat naval franco turc en méditerranée. Un bâtiment de guerre français ciblé par des navires turcs aurait dû répondre à ce qui est considéré comme un acte belliqueux exigeant riposte immédiate. Il ne s’est rien passé.
Certains militaires sont très sévères en off pour dénoncer une faiblesse qui ne peut qu’encourager l’agressivité turque. Mais pour les politiques, notamment de la majorité présidentielle, un tir français causant des pertes sur un bâtiment turc aurait été sur un plan international, même légal et en défense, considéré comme une agression. Il faut dire que cet incident qui s’est passé entre deux membres de l’Otan, s’est déroulé dans le contexte Libyen.
La position de la France est «en même temps» c’est à dire ambiguë. Soutien officiel, comme Ankara, au gouvernement de Tripoli reconnu par la communauté internationale, mais aide sur le terrain aux troupes du maréchal Haftar aux côtés de l’Egypte.
Les navires turcs qui ont ciblé la frégate française en Méditerranée le 10 juin dernier étaient en « position de combat ». Une enquête a été ouverte au sein de l’Otan. Pour Emmanuel Macron, la Turquie « joue un jeu dangereux « . Le président turc Recep Tayyip Erdogan rétorque que le chef de l’Etat français a « perdu la raison ». Entre Paris et Ankara, deux alliés au sein de l’OTAN, les échanges d’amabilités ont fusé ces derniers jours, sur fond de rivalité en Libye et en Méditerranée.
L’escalade en cours entre la France et la Turquie est doublement problématique. La France -en apportant son appui au général Haftar, opposé au «gouvernement» soutenu par les Nations unies, n’a-t-elle pas pris le risque d’être en contradiction avec ses propres principes et de rendre plus difficile encore l’émergence d’une position européenne commune ?
En Libye, Paris se retrouve dans le camp de la Russie, de l’Egypte et des Emiratis, au côté d’un général, qui, de plus, a perdu du terrain ces dernières semaines sur le plan militaire.
Mercredi 1er juillet, la France a décidé de se retirer temporairement de l’opération de sécurité maritime de l’OTAN en Méditerranée, Sea Guardian, jusqu’à l’obtention de réponses à ses demandes concernant les différends qu’elle entretient avec la Turquie. Le retrait symbolique de la France s’explique par l’échec de l’enquête lancée par l’OTAN à sa demande contre le comportement de la Turquie lors de l incident naval. Sur le fond, elle accuse aussi la Turquie de violer l’embargo sur les armes à destination de la Libye. Selon Emmanuel Macron, la Turquie du président Recep Tayyip Erdogan « ne respecte aucun de ses engagements (…), a accru sa présence militaire en Libye et elle a massivement réimporté des combattants djihadistes depuis la Syrie ». Pour ces motifs, le président de la République a jugé, lundi 29 juin, que la Turquie avait une « responsabilité historique et criminelle » dans ce conflit, en tant que pays qui « prétend être membre de l’Otan ».
Moins explicitement, la France en veut-elle à la Turquie d’avoir fait reculer les troupes du maréchal Khalifa Haftar, qu’elle a soutenu pendant longtemps, selon l’ancien ambassadeur Michel Duclos ? Emmanuel Macron s’en défend, selon Le Figaro, et affirme vouloir œuvrer pour « une solution de paix durable ».
Mais l’aide turque, selon les observateurs, a été décisive pour repousser le maréchal Haftar, homme fort de l’Est de la Libye soutenu par les Emirats arabes unis, l’Egypte et la Russie, alors qu’il marchait sur la capitale, Tripoli, en mai. Le gouvernement de Sarraj a repoussé son offensive « grâce à l’intervention de l’armée turque, appuyée par des milliers de djihadistes syriens », expliquait Le Canard enchaîné, mercredi 24 juin. L’ancien ambassadeur Michel Duclos livre, pour l’Institut Montaigne, une même analyse: «Les troupes d’Haftar n’étaient pas loin d’investir Tripoli, grâce en particulier aux mercenaires et à l’équipement fournis par la Russie. C’est alors que la Turquie a décidé de mettre son poids dans la balance en soutenant, là aussi par des mercenaires et un appui militaire direct, le camp gouvernemental ».
Pour Michel Duclos, c’est « un revers important pour la France » qui, « jusqu’en 2017, a aidé militairement l’ancien militaire kadhafiste, passé ensuite par la CIA », écrit-il. Et aujourd’hui, « les autorités françaises se trouvent relativement isolées dans le procès qu’elles instruisent à la Turquie depuis plusieurs mois », estime l’ancien ambassadeur. Car d’autres intérêts, notamment pétroliers et gaziers, se greffent autour du conflit libyen, compliquant encore l’affaire. Grâce à la Turquie et ses ambitions dans le bassin méditerranéen (Libye, champs gaziers au large de Chypre et de la Grèce…), les relations entre la France et l’Égypte sont en train de se réchauffer après une période glaciale, expliquent plusieurs sources interrogées par La Tribune. Un réchauffement orchestré jusqu’ici par le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian. Il était déjà l’homme qui avait rapproché, en tant que ministre de la Défense, Paris et le Caire, à partir de 2014, avec le succès que l’on connait dans le domaine de l’armement. « Jean-Yves Le Drian a pris la main », assure un bon observateur de la région et des ventes d’armes.
La posture ferme de Paris face à Ankara et la bienveillance de Rome vis-à-vis de Recep Tayyip Erdogan en Libye ont été un déclic au Caire, qui a eu pourtant beaucoup de mal à encaisser la leçon sur les droits de l’homme d’Emmanuel Macron en janvier 2019. Actuellement, la France semble avoir une nouvelle carte à jouer en Égypte. Mais ce réchauffement reste encore à confirmer. Ce jeu politique et militaire très compliqué explique en partie la reconduction de Jean-Yves Le Drian au poste sensible de ministre des affaires étrangères.
Patrice Zehr