Célébrer Aïd Al Adha à l’ère de la Covid-19 | Les Marocains divisés

Célébrer Aïd Al Adha à l’ère de la Covid-19 | Les Marocains divisés

Aïd Al Adha est à nos portes. Dans le contexte actuel marqué par la crise sanitaire due au nouveau Coronavirus (Covid-19), la célébration de cette fête religieuse ne fait pas l’unanimité, bien qu’elle occupe une grande place dans la société marocaine.

Le 20 mars 2020, le Maroc a décrété l’état d’urgence sanitaire sur l’ensemble du territoire national. Cette décision prise pour préserver la santé du citoyen et maintenir sous contrôle la situation épidémiologique sur l’ensemble du territoire national a été accompagnée d’un confinement qui a duré plus de trois mois. Ce cantonnement sanitaire inévitable, a eu un impact direct sur des secteurs névralgiques de l’économie marocaine.  

Les éleveurs pris entre le marteau et l’enclume

Les effets du nouveau Coronavirus ont été particulièrement ressentis par les petits agriculteurs et les éleveurs. En réalité, la Covid-19 a aggravé la crise structurelle du monde rural. Il faut dire que l’année agricole 2019-2020 s’est caractérisée par des conditions climatiques défavorables. Le déficit pluviométrique aigu a eu de graves conséquences sur l’agriculture de manière générale, et sur l’activité l’élevage en particulier. En effet, les éleveurs font aujourd’hui face à une situation délicate qui se répercute sur leur activité saisonnière liée à la vente directe de moutons à l’occasion de Aïd Al Adha. A cause des retombées de la sécheresse et la hausse des prix des aliments composés destinés au cheptel, nombreux sont ceux qui ont été contraints de brader leurs troupeaux dans les marchés hebdomadaires, lesquels ont récemment

pu rouvrir leurs portes après trois mois de fermeture. Dans des circonstances normales, la baisse des prix des moutons destinés à l’abattage pour Aïd Al Adha, aurait fait le bonheur du citoyen modeste. Seulement voilà, la crise économique et sociale engendrée par la Covid-19 a accentué la pression sur les ménages marocains. Cette année, à Casablanca, les ovins sont vendus entre 44 et 49 dirhams le kilo, soit une baisse de 10% par rapport aux prix pratiqués en 2019. Cette baisse des prix au kilogramme s’explique selon les éleveurs, en grande partie par un recul considérable du pouvoir d’achat des Marocains.

Zapper l’Aïd à contre cœur

Face à cette situation difficile, beaucoup de ménages se sont fait à l’idée de ne pas célébrer Aïd Adha 2020. Avant la pandémie du nouveau Coronavirus, ne pas célébrer la fête du grand sacrifice relevait du choix personnel. D’un côté, il y avait ceux qui n’accomplissaient pas ce rituel par choix personnel. Mais de l’autre côté, nombreux étaient les foyers qui pouvaient se priver de tout pour pouvoir se procurer un mouton costaud, qui pourrait faire l’affaire et leur éviter les remarques déplacées des uns et des autres. Cette année, c’est la Covid-19 qui a pris le dessus et dicté ses règles.

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Les chiffres font froid dans le dos. A fin mars 2020, 131.955 entreprises sur un total de 216.000 affiliées à la Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNSS), ont déclaré être impactées par les effets du nouveau Coronavirus. Ce chiffre représente environ 61% de l’ensemble des entreprises inscrites à la CNSS. Il s’agit de deux entreprises sur trois environ qui se sont déclarées affectées par les répercussions de la Covid-19. A fin avril, pas moins de 900.000 salariés exerçant dans plus de 134.000 entreprises marocaines ont été déclarés en arrêt temporaire d’activité. Ces chiffres donnent une idée sur l’ampleur des dommages subis par le tissu économique national au même titre que les travailleurs qui se sont retrouvés du jour au lendemain, privés d’une partie ou de la totalité de leurs revenus professionnels. Les plus grands économistes, prévoient une poursuite du ralentissement de la machine économique, à l’horizon 2023, dans le meilleur des scénarios. C’est dire si la Covid-19 a tout ravagé sur son passage. Face à ce tableau noir, le fait de célébrer Aïd Al Adha serait synonyme de suicide volontaire.

Ceux qui ne reculent devant rien

En dépit de tous ces facteurs aggravant et guère réjouissants, force est de constater que dans les quartiers populaires notamment à Casablanca, ne pas célébrer Aïd Al Adha est considéré comme une atteinte à la religion. Ici, il est juste impensable de passer l’Aïd sans égorger la bête. C’est ce qu’explique au Reporter un jeune marchand ambulant de fruits et légumes. Pour Mustapha, marié, père de trois enfants, accomplir le rituel du sacrifice n’est pas un sujet à débat. «Je suis pauvre et alors! Corona ou pas, je compte bien acheter un mouton pour l’égorger le jour de l’Aïd et advienne que pourra», lance-t-il d’emblée. Et le jeune père de famille d’ajouter qu’il a grandi dans une famille qui se privait de tout pour pouvoir acquérir un beau mouton pour l’Aïd «Dans les familles issues de milieux populaires, on ne badine pas avec le mouton d’Al Aïd. Le jeune père de famille confessera, quelques instants plus tard, qu’il tient à participer convenablement à ce rituel pour ne pas être la risée de son voisinage: «Il est vrai que l’Aïd El Kebir est devenu très difficile à supporter, financièrement parlant. Mais que voulez-vous qu’on fasse? Nous avons grandi dans des milieux populaires qui voient d’un mauvais œil le fait de ne pas accomplir le rituel du sacrifice», avant d’ajouter que s’il faut recourir aux crédits pour célébrer cet événement, il le fera sans la moindre hésitation.

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Un rituel soumis à des conditions

Du côté des théologiens, accomplir le rituel du sacrifice est certes une sunna Mouakkada (recommandation prophétique appuyée), il n’en demeure pas moins que la célébration de cette grande fête religieuse, est tributaire de la capacité financière de chaque individu. Le président du Conseil des Oulémas local de Fnideq Elmadiaq, Tawfiq Elghelbezoui, explique dans une déclaration au Reporter, que «l’Islam accorde une importance majeure au bien-être des individus. «Le sacrifice du mouton est une sunna appuyée pour ceux qui ont les moyens d’acheter un mouton. En d’autres termes, il ne faut pas avoir besoin de cet argent pour honorer d’autres engagements de la vie quotidienne. Le sacrifice du mouton ne doit pas se faire à crédit. Il est strictement interdit de s’endetter pour fêter l’Aïd El Kebir», explique Elghelbezoui. «Le musulman doit d’abord accomplir ses devoirs envers son Créateur avant de polémiquer sur la question de la fête du grand sacrifice: «Certains Musulmans ne font pas leurs prières, d’autres ne jeûnent pas ou s’adonnent à des pratiques prohibées par l’Islam. Ils viennent ensuite blâmer ceux et celles qui n’ont pas la capacité financière pour accomplir le rituel du grand sacrifice. C’est aberrant et illogique», s’indigne le président du Conseil des Oulémas local de Fnideq Elmadiaq, Enfin, les sociologues expliquent qu’au fil du temps, Aïd Al Adha s’est transformé en un signe de vanité au sein de la société marocaine.

Mohcine Lourhzal

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