Fin du Reportage : Et pisser dans la rue…

Civisme pisser dans la rue

Dernière étape du périple, la rue. Roter, cracher des molards et même uriner, des comportements étonnants, mais faisant partie du quotidien du Marocain. Des comportements tellement fréquents qu’on n’y accorde plus d’attention. Ils font partie de notre paysage. «C’est normal», expression qui revient dans la bouche de tous. Ce qui l’est moins, c’est ce mur étanche que les Marocains dressent entre leur «chez soi» et ce qui est dehors, bien que ce soit des biens en commun, des espaces partagés par tous les citoyens.

Le thé est servi. La famille d’Ayoub est un savant mélange entre des origines fassies et marrakchies. Chez eux, comme presque partout au Maroc, on accueille les invités chaleureusement. Thé à la menthe, viennoiseries, gâteaux marocains et d’autres mets appétissants ornent la table, ronde, conçue pour «se réunir» tout autour et, surtout, partager.
«Je pense que, jusqu’à maintenant, c’est le pays (le Maroc) le plus accueillant que j’aie visité pour cette série», déclarait Antoine de Maximy, le globe-trotter de l’émission intitulée «J’irais dormir chez vous», diffusée sur France 5. En effet, le Maroc n’a de cesse de gravir les échelons du classement établi par le forum économique mondial (WEF) qui classe annuellement les pays les plus accueillants du monde pour les touristes. En 2014, le Maroc s’est vu attribuer la 3ème place, derrière l’Islande et la Nouvelle-Zélande, respectivement, premier et second pays du classement.

Chez moi, au moins c’est propre

Dans la maison de la famille d’Ayoub, un appartement spacieux où tout a été soigneusement décoré et agencé dans la pure tradition marocaine. Des salons l’un en face de l’autre, un petit et un plus spacieux, l’un pour les petites invitations, l’autre pour les grandes. Ils reçoivent beaucoup et, de ce fait, la maison se doit d’être constamment bien tenue.
«Nous faisons le grand ménage chaque jour. Nous avons une grande maison et beaucoup d’enfants qui nous rendent visite à l’improviste. Nous ne pouvons pas nous permettre de faire le ménage une fois par semaine», dit la mère d’Ayoub.
Cependant, une fois dehors, difficile de ne pas prêter attention à la poubelle éventrée, débordante d’ordures et dégoulinant de partout. Ce sont les voisins de palier qui ont l’habitude de laisser leur poubelle sur le pas de la porte. La maîtresse de maison qui nous a raccompagnés, a regardé ce spectacle désolant en haussant les épaules et a fini par dire: «On n’y peut rien! Chez eux, c’est bien propre, mais dehors, ils s’en fichent. On ne peut pas leur parler, ils ne payent même pas les frais de syndic».
Après quelques secondes d’hésitation, son fils décide de sonner chez les voisins. Ils semblent trouver ça «normal». D’après eux, «c’est dehors». L’essentiel est que ça sorte de chez eux. La notion de copropriété ne leur dit pas grand-chose, apparemment. Et puis, de toutes façons, «le concierge viendra enlever ça demain matin», même s’ils ne le payent pas.
Des immeubles avec des problèmes de copropriété, il y en a beaucoup, si bien que les litiges sont portés devant la justice, étant donné que certains ont accumulé des années d’impayés. «Si je devais les attendre (3 mauvais payeurs dans l’immeuble de 10 appartements) pour vivre, je ne sais pas ce qu’il serait advenu de moi. Heureusement qu’il y a certaines âmes charitables ici qui se soucient de moi», raconte Hassan le concierge. Hassan a deux filles de 5 et 2 ans et une femme au foyer à sa charge.
Afin d’éviter les conflits causés par de mauvais payeurs, dans certains immeubles, les concierges n’ont plus le droit d’avoir un logement de fonction. Le petit studio du rez-de-chaussée est loué au noir et au prix fort à des étudiants désespérés de trouver un logement. L’argent de cette «location» servira à payer les frais d’un gardien, d’une femme de ménage et remplira les caisses du syndic. Ce phénomène s’est démocratisé depuis quelques années. Désormais, dans les immeubles récemment construits, on prévoit deux ou plusieurs petits studios à cet effet.

Code numérique Tollé autour de la liberté d’expression

«V» comme Victoire!

Qu’est qu’une banque, une boulangerie et une administration ont en commun? Si ce n’est qu’il y a un comptoir séparant les clients et les employés, il y a la fameuse et tant redoutée file d’attente!
Les trois endroits sont énormément sollicités chaque jour, des centaines de clients à servir, de longues minutes d’attente et beaucoup de gens pressés aussi. Ce sont ces facteurs qui jouent sur le comportement de certains concitoyens qui n’ont pas envie de respecter certains codes de conduite établis au sein de la société. Attendre son tour? Très peu pour eux.
A la banque par exemple, alors que trois files d’attente sont bloquées depuis plus d’un quart d’heure. Une jeune femme aux cheveux d’un blond étincelant, marche d’un pas assuré et se dirige directement vers sa cible. Les autres ne sont pas comme elle. Elle, c’est une cliente VIP, d’après un employé. Elle a automatiquement droit à un traitement de faveur.
Dans l’administration publique, il n’est pas rare de trouver des personnes entrant par la porte réservée aux fonctionnaires, glissant des papiers à légaliser à leurs «amis» pour éviter de faire la queue comme tout le monde. Ces prétendus «amis» reçoivent en contrepartie un petit billet.
Et à la boulangerie, un homme, de loin, a fait un signe de la main à la vendeuse. «V», un signe souvent interprété par «Victoire» mais, en réalité, il disait 2 baguettes. L’homme en jogging passe vite fait à la caisse, paie et dit à la femme qui se présentait à la caisse: «Je n’ai que deux baguettes», un large sourire aux lèvres. Les autres clients censés passer avant lui n’ont pas eu le temps de comprendre ce qui venait de se passer qu’il était déjà dehors…

Misogynie ordinaire

Ce matin de samedi bruyant, des cris se font entendre de partout. Ajoutés à une chaleur intenable et à la foule, les gens n’ont pas envie de s’éterniser au souk de fruits et légumes. Samedi, c’est le fameux jour de la semaine où les légumes sont frais dans ce quartier. Dans d’autres quartiers, ce sera lundi ou mercredi. Cependant, ici, c’est samedi, n’importe qui dans le coin le sait.
Devant ce marchand de légumes, les curieux s’immobilisent quelques secondes, le temps d’analyser la fraîcheur de ses légumes posés sur une bâche jaune poussin. La majorité des clients sont des femmes. Ce sont les femmes qui font les courses. Les hommes attendent dans la voiture. Néanmoins, certains hommes préfèrent veiller à la qualité des produits achetés, ils sont connaisseurs et n’aiment pas se faire rouler.
Les clients défilent devant ce marchand assis sur une caisse en bois. Il sert les hommes en premier… «Mets-moi deux kilos de tomates, 3 d’oignons, 3 de pommes de terre…», ordonne cet homme. Le vendeur exécute la commande. Quand les femmes essayent de faire la même chose, elles ont comme réponse: «Prends, tout est devant toi». Et donc, elles s’accroupissent pour récolter une tomate par-ci, une tomate par-là, «obligées» -en quelque sorte- de se plier aux us et coutumes machistes qu’elles-mêmes entretiennent chez elles…
Chez les vendeurs de fruits qui, eux, ont une charrette sur laquelle ils disposent leurs fruits…, les plus beaux à la surface, pour appâter les clients. Les moins esthétiques, voire pourris, en dessous. Tout le monde est logé à la même enseigne. Femmes et hommes ne choisissent pas eux-mêmes, c’est le vendeur qui choisit les fruits. Cette femme à la jellaba bleu ciel lui demande deux kilos de mandarines. Il les prend du bas. De petites mandarines à la peau sèche. Même commande chez un homme à la voix rauque, le vendeur prend les mandarines juteuses du haut. La femme n’a pas l’intention de se laisser faire, elle demande au vendeur de mieux la servir. Il recommence la même opération faisant mine de ne pas avoir compris. Elle râle et décide de ne pas prendre les mandarines. Le vendeur lui demande de revenir. Fière, elle se dirige vers un autre. Il l’insulte.

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Les plaisirs de la conduite

Sur la route, les altercations entre automobilistes, il y en a: en veux-tu en voilà. Ce jeune homme a une petite citadine italienne blanche qui n’a pas encore de plaque d’immatriculation et dont il a tout l’air d’être fier. Derrière la petite italienne, un autre jeune, à moto, veut le doubler et finit par lui toucher le pare-chocs arrière sans causer de dommages. L’automobiliste s’arrête et sors la main, le ton s’élève entre les deux. Il descend de son auto et ils finissent par se cogner dessus. Les badauds regardent le spectacle, tandis que les klaxons des automobilistes fusent, les noms d’oiseaux aussi. Deux hommes descendent de leur voiture et s’attaquent verbalement à celui qui a immobilisé la circulation. Sentant la menace sur sa personne et sur la voiture toute neuve, le jeune conducteur remonte dans sa voiture et s’en va.
Au passage piéton prochain, où il n’y a ni panneau «stop», ni feu rouge, les passants essayent de traverser, sauf que personne ne semble leur prêter attention. Les automobilistes passent, se succèdent et les piétons restent là à attendre, en vain. D’autres, voyant que personne ne les respecte, traversent en passant entre les voitures, malgré le danger. «J’étudiais à Donetsk, en Ukraine. Je suis retourné momentanément au Maroc à cause de la guerre. En revenant ici, je traversais uniquement sur les passages piétons; j’attendais qu’on daigne me laisser passer, alors que c’était mon droit. Mais j’ai vite repris le mode de vie marocain: j’ai pris mon droit par moi-même, parce qu’il n’y a aucune considération pour les piétons ici», raconte Walid, un étudiant en médecine.
«Ils n’y a ni respect, ni rien du tout! Pour eux, ceux qui n’ont pas de voiture sont des sous-hommes. Ils ont oublié qu’il y a quelques années, aucun d’eux ne pouvait s’offrir de voiture, pas même leurs parents. Et là, ils pensent être supérieurs», déclare cette vieille femme, attendant qu’on lui fasse une faveur, qu’on la laisse passer sans se faire écraser. Ce qu’a dit cette femme âgée semble intéresser les autres personnes à côté. L’un lance: «Oui, Lalla, maintenant les crédits ont tout facilité. La plupart d’entre eux ont pris des crédits pour s’acheter ces 4×4 avec lesquels ils friment». Une autre femme, quant à elle, pense que ce n’est pas uniquement les conducteurs de 4×4 qui ont ce comportement, même ceux avec de petites voitures se sentent supérieurs. Quand ils la laissent passer, c’est avec un signe dédaigneux de la main qu’ils le font. Ils le font d’une façon si méprisante que ça la dégoûte de la vie au Maroc. Ils passent tous, enfin, avec le fameux signe dédaigneux que la femme a décrit

Ne parlons pas de Achoura !

Sans transition, faudrait-il rappeler aussi que la période de l’Achoura est là?
Qui dit Achoura, dit Zemzem. Et qui dit Zemzem, dit grenades et pétards (interdits de vente et pourtant !) balancés des balcons sur les gens, sous les voitures, devant les portes, dans les capuchons…
Qui dit Zemzem, dit aussi les œufs écrasés sur les têtes, des mélanges à base de vitriol (acide sulfurique), d’eau de javel, d’épices et d’eau dont les garnements aspergent les passants.
Quand donc apprendrons-nous ce que veut le mot civisme ou, en arabe, «al mouwatana»? Les générations passent et ces tares-là restent? C’est tout petit qu’on apprend ou n’apprend pas les valeurs de la citoyenneté et, donc, du civisme. Or, peu de gens s’en soucient. L’impression que donne le Maroc est qu’il y a démission générale à ce niveau. Le civisme, c’est pourtant l’une des premières conditions d’accès à la catégorie des pays émergents et, puisque c’est d’actualité, une importante unité de mesure de la richesse immatérielle des Etats.

Reportage réalisé par YS

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